« Seule son officialisation fera avancer Tamazight ! »

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A travers cet entretien, Mouloud Lounaouci donne son appréciation de l’avancée de la question amazighe et se projette dans son futur. Il estime que le combat doit continuer pour concrétiser son officialisation. Cependant, la cause n’a plus besoin de passer par la rue, estime-t-il.

La Dépêche de Kabylie : La Kabylie célèbre le 33e anniversaire du Printemps berbère. En tant qu’acteurdes événements de 80, appréciez-vous le moment présent ou bien vous retrouvez-vous mieux dans l’histoire ?

Mouloud Lounouanci : Il faut préciser peut-être que le 20 avril 1980 fut l’aboutissement d’un long mouvement qui avait commencé à la naissance du mouvement national, avec l’Etoile Nord Africaine. Il faut rappeler que les fondateurs de l’Etoile Nord Africaine étaient essentiellement des kabyles. Il y avait parmi eux Messali El-Hadj qui était, lui, de Tlemcen et c’est lui qui a été porté à la présidence parce qu’il fallait donner une image de vérité à la population, sinon c’étaient les ouvriers kabyles qui militaient dans les syndicats. Sans oublier que nous étions à l’époque du communisme. Et c’est donc là qu’ils ont appris à revendiquer et à contester et c’est comme qu’ils ont eu l’esprit de contestation pour une Algérie indépendante. Ce qui a poussé Amar Imache à démissionner c’est parce qu’il voyait en l’Algérie une république démocratique et sociale, tout en s’appuyant sur des traditions et coutumes, ainsi que la gestion de la cité amazighe, ce qui n’était évidemment pas du goût de Messali El-Hadj. Vers la fin des années 40, il y eut le groupe qu’on a appelé « les berbèro-nationalistes », parce qu’ils avaient remis sur la table la question amazighe. Nous avons abouti à un Etat central avec l’arabe comme langue unique et l’islam comme religion unique. Dans l’Algérie indépendante, il n’y avait pas de place pour Tamazight en tant que langue et identité. Mais en même temps, quand il y a une dure réaction à une revendication légitime, il y a forcément de la résistance. Et c’est comme ça qu’en écoutant Messaoud Mohand Arab, de l’académie berbère, et en fréquentant et écoutant la sagesse de Mouloud Mammeri, est né le groupe berbériste d’Alger. C’est-à-dire tous ces étudiants de la fac centrale d’Alger. À l’époque il y avait une seule fac en Algérie. Avec tous ces étudiants qui activaient pour la cause berbère, notamment, si mes souvenirs sont bons, en 1969 où 1970, une décision politique qui consistait à supprimer la chaîne  a été prise. Mais il y a eu une grosse pétition qui a été faite par les étudiants berbéristes, dont la plupart résidaient à Ben-Aknoun et effectivement la chaîne  n’a pas été supprimée. Il y eut aussi le rôle, on oubli d’ailleurs souvent de le signaler, de Cherif Kheddam. Car autour de lui il y avait des étudiants qui prenaient part à ses chorales. Mais c’était une raison et un prétexte pour se rencontrer et faire autre chose que du chant de chorale. Mais comme c’était l’époque de Boumediene, il fallait se protéger. Donc il fallait toujours avoir un parapluie pour se protéger. Vous m’imaginez, moi, chanter dans une chorale alors que je chante comme une casserole, Saïd Sadi et les autres aussi. Par la suite, en parlant de ce que j’ai vécu, nous nous sommes retrouvés à Tizi-Ouzou dans un cadre professionnel. J’ai donc retrouvé tous les anciens ici à Tizi-Ouzou. Ce fut une pure coïncidence. Car nous n’avons pas fait exprès de nous faire tous muter ici. Nous avons donc redémarré notre mouvement et nous avons intégré le FFS en 1978. Nous avons également participé à la rédaction de la plateforme du FFS en 1979. Tout ça c’était dans la même direction, en l’occurrence celle de la revendication amazighe. Effectivement, le 20 avril 1980 fut l’apogée du long combat de nos ainés et de nos camarades.

Comment évaluez-vous cette lutte pour la reconnaissance de l’identité amazighe, 33 ans après ?

Le 20 avril, nous avions acquis une force qui était intolérable pour le pourvoir qui a réagi violemment, d’où les arrestations, dont les 24 détenus. Mais la mobilisation populaire a fait que, très vite, ils étaient obligés de libérer les détenus. Car la Kabylie était dans un état de pré-insurrection. Le combat a continué et il y eut des séminaires du mouvement culturel berbère, à la suite desquels des acquis ont été eus, tel l’enseignement universitaire de Tamazight dans le département de Tizi-Ouzou et, un an après, au niveau de Bejaïa, qui fut le résultat de la grande marche du MCB en 1990. Il y a eu également la grève du cartable qui a été un geste de solidarité et de sacrifice merveilleux. Certains de nos camarades pensent toujours qu’il ne fallait pas le faire, mais je ne suis pas du tout d’accord avec ça. J’ai perdu une année, mais ça ne m’a pas empêché de devenir médecin. Dans une vie, il est parfois nécessaire de faire un sacrifice. L’année de 1994 était perdue, peut-être, en termes d’enseignement, mais gagnée en terme de combat. J’ai été parmi ceux qui étaient d’accord pour cette grève. A ce moment là j’étais père de famille. Mes enfants aussi étaient scolarisés à Tizi-Ouzou et ils ont perdu leur année comme tout le monde. Il faut que les choses soient clarifiées à ce sujet. Cette grève a également donné le HCA qui est une institution pensée pour une récupération politicienne, mais malgré tout, une fois que le HCA existait sur le terrain il ne fallait pas casser, mais plutôt travailler avec eux, autant qu’il est possible. Et c’est comme ça que beaucoup de gens, tout en condamnant l’institution en tant qu’institution politique de récupération, ont travaillé et aidé le HCA pour promouvoir la langue amazighe. Ceci dit le travail qui a été accompli aurait pu être mieux fait.

Vous êtes de ceux qui considèrent que la cause a eu des acquis ?

Certes, il y a eu des acquis, mais ils demeurent insuffisants et qui ne sont pas irréversibles. Si le rapport de force tombe, tous ces acquis disparaîtraient. Rappelez-vous la promesse que Bouteflika avait faite lors de sa campagne électorale en 2007 concernant le conseil supérieur de l’amazighité à l’académie berbère. N’empêche que dès que le rapport de force a baissé six ans après, rien n’a vu le jour, alors que le dossier était prêt à être signé. Il a même été rendu public ! Pour dire que la parole d’un chef d’Etat ne pèse pas aussi lourd que nous le pensons.

La langue amazighe a tout de même obtenu le statut de langue nationale…

Oui, effectivement, il y a eu cette maigre consolation. Mais ça reste un statut symbolique. Seul le statut de langue officielle peut faire avancer les choses. Car l’enseignement de notre langue n’est pas obligatoire et nous n’avons toujours pas le droit de travailler en langue amazighe. Il faut que cette langue soit l’égale de la langue arabe. Encore une fois, même si nous arrivons à acquérir le statut de langue officielle, il faut conquérir les mêmes secteurs d’utilisation que la langue arabe. Parce que nous pouvons jouer aussi au niveau du texte d’application. Et puis pour que cette langue soit fonctionnelle, il faut mettre des bouchées doubles, et tout cela a besoin, comme vous le savez, de beaucoup d’argent et d’équipements. C’est pour ça que je dis souvent qu’il faut appliquer un coefficient de réparation historique. Quand on donne un sou à la langue arabe, il faut en donner deux à la langue amazighe, pour que cette dernière rattrape le temps perdu. Tout cela bien sûr ne peut se concrétiser que s’il y a un rapport de force. Autrement dit, si la jeunesse reprend le flambeau.

Croyez-vous que la lutte a perdu sa valeur ?

Cette question revient souvent. Je tiens à dire que la lutte n’a pas du tout perdu sa valeur. Tous les mouvements populaires ont ce que nous appelons, des flux et des reflux. Même si les grands mouvements de foules que nous arrivions à mobiliser durant ces années-là n’ont plus lieu aujourd’hui. D’abord, il faut savoir que les grands mouvements citoyens ont lieu tous les trente ans. Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons mobiliser les foules. Donc ce recul observé dans la lutte est tout à fait normal. De plus, même le combat change dans sa méthode. Nous étions dans la contestation pure et dure car nous n’avions rien. Il fallait en premier lieu ouvrir le champ politique. A l’époque nous n’aurions jamais pu organiser la table ronde que nous avons animée aujourd’hui à la maison de la culture Mouloud Mammeri. Donc, il fallait passer par la rue. Aujourd’hui, nous ne sommes plus obligés de passer par la rue pour revendiquer et contester. Même si les risques demeurent. Mais ce n’est plus comme avant, qu’on le veuille ou pas. La Kabylie a ouvert les yeux au peuple algérien. Il y a eu les événements de 1988, résultat indirect du mouvement de 1980. Puis il y eut la création de nombreux organes, notamment l’ADDH et l’association des enfants de chahid. Tous ces éléments ont fait que beaucoup d’acquis, malgré leur insuffisance, ont vu le jour. Effectivement aujourd’hui nous avons l’impression que les gens ont un peu baissé les bras, car ils ne sont plus dans le spectacle. Maintenant, le travail se fait plus en douceur, c’est un travail de production non de contestation.

Comme à chaque 20 avril, on vous voit marcher, mais nous voudrions savoir dans quel camp vous vous situez aujourd’hui ?

Ah non ! Je ne me situe dans aucun camp. Quand je marche je le fais dans le cadre du mouvement culturel berbère même s’il n’y a pas de banderole qui porte ces initiales. Comme chaque 20 avril, je marche pour la cause berbère. Je me mets parmi les marcheurs et franchement je suis au dessus des partis politiques. Si demain un quelconque parti politique m’invitait pour donner une conférence dans l’un de ses colloques, j’irais. Autrement dit, toutes les tribunes qui me sont offertes pour contribuer à porter le discours amazigh sont les bienvenues, et j’en profiterai sans état d’âme. Si l’on dit que les partis politiques me manipulent, je dirai tout simplement que je mets cette manipulation au service de la cause.

Samira Bouabdellah

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