Des valeurs sociales à réhabiliter

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 Par Amar Naït Messaoud

Dans un pays où la fébrilité du front social est alimentée à longueur d’années par des revendications émanant des catégories de la population supposées saines de corps et d’esprit, que peut bien être la condition de vie de ceux que la nature ou un accident de la vie a classés dans la catégorie des handicapés ? On imagine bien les difficultés de ces derniers, dont le nombre dépasse allègrement les deux millions, à faire valoir leurs droits, non seulement à cause du handicap qui les affecte, mais aussi en raison du fait que leur voix est diluée dans le brouhaha des conflits et revendications de la société. En instituant une journée nationale des handicapés, à savoir le 14 mars de chaque année, les pouvoirs publics ont pris conscience de la souffrance de cette frange de la population, dont certains de ses éléments, du fait de la gravité de l’infirmité motrice ou mentale, sont complètement dépendants des autres (proche famille). Mais, une journée nationale, comme on a l’habitude de la célébrer avec ses émotions, ses fastes et la pitié qui caractérise les gestes de la cérémonie, ne peut guère prétendre régler les problèmes profonds de nos populations handicapées. Elles ont besoin de l’aide, de l’assistance et de la considération de la société pendant les douze mois de l’année. Que l’on se souvienne des années soixante-dix du siècle dernier. Avec ses insuffisances et ses errements, l’économie algérienne, représentée de façon hégémonique par les entreprises publiques, réservait une partie de ses postes aux personnes handicapées dont l’infirmité ne s’opposait pas à l’exercice de certaines fonctions.

Ce sont des postes aménagés qui jouaient sur l’aspect d’intégration sociale de cette catégorie de la population de façon à ce qu’elle ne se sente pas marginalisée. Mieux encore, des petites entreprises ont été montées pour certains handicapés, à l’image de l’unité de fabrication de brosses confiée aux aveugles et malvoyants. De même, l’élan solidaire de la politique sociale du pays a pu réserver des écoles aux sourds-muets dans différentes régions du pays.  Avec la libéralisation de l’économie nationale, la tendance qui s’est dessinée au cours de ces dernières années, c’est bien le caractère folklorique de la célébration de la journée des handicapés, consistant à visiter certains centres réservés pour eux, ou à organiser des réceptions fastueuses mais sans lendemain. La plus grande souffrance est sans doute celle vécue par les handicapés enfermés chez eux, chez leurs parents. Des enfants, des filles, des vieilles filles, sont complètement pris en charge par les membres de la famille, même si la solidarité sociale au sein des familles a subi les coups de boutoir de l’individualisme et de l’égoïsme. C’est que, principalement dans les villages de Kabylie, deux facteurs jouent en faveur du maintien de cet élan de solidarité: d’abord, la société kabyle, instruite par les difficultés de la vie, de l’adversité du milieu et du dur labeur pour gagner son pain, sait que cela, c’est-à-dire le handicap, n’arrive pas seulement aux autres.

Nul n’est immunisé contre un accident de la vie, même s’il a échappé à une malformation génétique. Ensuite, l’honneur de la tribu fait que l’on ne supporte pas que notre handicapé soit livré à son sort ou au bon vouloir de bienfaiteurs étrangers à la famille ou au village. Dans sa volonté de relayer ce schéma de la solidarité sociale à l’échelle du territoire national et de lui donner les moyens que permet l’état des finances du pays, l’État, tout en réservant pensions et autres prises en charge aux handicapés, n’a pas brillé par une gestion juste, efficace et transparente de ce domaine de la vie sociale. Les pensions demeurent généralement insignifiantes par rapport au cours de la vie et à l’inflation. Les trafics au niveau des services de la santé et des caisses d’assurance sociale en matière de taux de handicaps pour les victimes d’accident de la route ou d’accidents professionnels (chuteS dans les chantiers, accidents dus à la manipulation de machines ou d’outils spécifiques,…) sont malheureusement légion. Les services du ministère de la Solidarité sont, quant à eux, interpellés à mieux cibler les actions de soutien en direction de cette frange de la population.

L’on ne peut que déplorer que des soutiens ou des dons prennent une autre destination, pour des catégories qui sont au-dessus du besoin, dans un moment où une grande partie des handicapés souffrent et piaffent d’impatience pour une revalorisation de la pension accordée par l’État. De même, l’action d’intégration sociale et professionnelle est d’autant plus sollicitée que l’économie algérienne est en train d’évoluer pour embrasser tous les secteurs d’activité. L’État, à travers ses leviers réglementaires, est tenu d’être le garant de ce dispositif, sachant que l’entreprise privée, à quelques exceptions près, ne s’investira pas de gaieté de cœur dans une action de solidarité nationale.

A. N. M.

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