Du traumatisme… à la détressel

Partager

Les gouvernants n’ont pas cessé de mettre en avant les efforts qu’ils ont progressivement déployés pour prendre en charge les doléances des familles sinistrées. On aligne, bien sûr, les chiffres sur le nombre de sites de chalets réalisés, ici et là, après avoir fait disparaître, sept mois plus tard, les camps de toile.Malheureusement, l’atmosphère est pesante, lourde dans les nouveaux centres de transit. virée à Bordj Menaïel, au chef-lieu de wilaya. Mardi il est 17h. Immeubles et villas bordent les longues artères reliant le centre-ville de Bordj Menaïel aux cités voisines de Tahrir et la Cascade. Le spectacle cache bien la détresse des sinistrés. Derrière une forêt jouxtant les cités Diar Milioune, après un trajet sur un chemin cahoteux, des dizaines de petites cases blanches s’offrent au regard du visiteur. Elle ont été posées sur une terre agricole où l’on cultivait, jadis, blé, pastèque et vigne.

Gourbi et ChaletA l’entrée du site vachier, une hutte est en contraste avec les petites cabines en formica. On sait que les sinistrés vivent avec peine. Mais personne n’aurait imaginé que l’un d’entre eux, en l’occurrences Mokrane, puisse être contraint de planter, là, face à son chalet une autre “bicoque”. Masure principalement construite de terre et de pointes de roseaux. Mokrane est père d’une famille de sept enfants, dont trois filles ayant dépassé la vingtaine. “Mes multiples requêtes adressées aux responsables locaux pour l’obtention d’un second chalet sont restées vaines”, se désole-t-il.Et ne pouvant plus supporter la promiscuité du logis de 36 m2 il optera alors, de concert avec son fils aîné âgé de 30 ans, pour la construction de ce gourbi en plein sur le site. Notre interlocuteur poursuit : “Mes enfants vivaient avant le séisme dans un appartement assez spacieux. Ici je ne peux leur offrir que cette baraque de fortune”. Certains l’ont pris pour un arriéré. Il n’en a que faire d’une telle opinion. En tout cas, il n’y a presque aucune différence entre le chalet et le gourbi. Car dans ces logis posés à la hâte, pas de place à un semblant de confort. Ni chauffage pour affronter le froid en hiver ni climatiseur pour maintenir l’espace habitable, durant les fortes chaleurs, à une température supportable. Ni endroit où installer les machines ménagères. On déplore surtout les coupures fréquentes d’électricité, l’absence d’éclairage public, dans plusieurs blocs du site. De nombreuses ruelles n’y sont pas encore bitumées. “Notre luxe, ironise-t-on, c’est l’électricité qu’on paye à la carte”.La consommation énergétique augmente notamment en saison froide, et “les factures d’électricité nous donnent le tournis”, enchaînent d’autres résidents déplorant au passage l’inexistence de loisirs. A la nuit tombée, le site se vide. En raison de l’éloignement du centre-ville de Bordj Ménaïel aucun chef de famille sinistrée ne s’attarde dehors.A l’approche de l’été, on redoute et la chaleur intenable du logis et les conséquences désastreuses de l’inexistence d’un plan de viabilisation du site.Très vite, on remarque en effet, là, au site vachier, ces grandes égouts à ciel ouvert. Fosses anarchiquement creusées dans les terrains vagues, à peine couvertes de dalles, pour l’écoulement des eaux usées. On a quitté l’enfer des camps de toile, ces bâches qui se détachaient au moindre souffle du vent, pour un centre transitaire où l’on croyait que la vie est plus agréable. Au fil du temps, on dût déchanter.

Longue liste de “chikayate”Nos requêtes pour l’assainissement des lieux ou la réparation des chalets pour se prémunir notamment contre les inondations n’ont jamais eu de suite. Alors “on improvise parfois, des actions de volontariat pour nettoyer l’espace”, expliquent encore d’autres résidents. Pratiquement rien n’est fait par les services concernés pour préserver notre santé, clame-t-on.Le site vachier regroupe au total plus de 450 familles. De nombreux sinistrés ont perdu parents proches et biens immobiliers lors du séisme. On s’efforce de renouer avec le quotidien. Continuer à vivre sans les être chers qu’on ne reverra plus. Mais l’on est confronté à moult problèmes.Hommes et femmes, ayant des enfants à charge, déplorent l’absence d’une école fondamentale durant ces deux années post-séisme. Les seuls établissements, y compris pour les nouveaux inscrits, sont situés à 2 km du site. Trotte quotidienne éreintante pour ces petits, à travers des chemins bourbeux, poussiéreux. “Lors des dernières fortes intempéries aucun responsable n’a pensé à nos petits enfants”, a-t-on encore relevé. Longue liste de “chikayate”.Une note d’espoir, cependant. Six classes en préfabriqué sont en cours de construction dans ce camp. Leur ouverture est prévue pour septembre prochain.On ne recherche pas l’assistanat, mais seulement des conditions de vie acceptable. Et une possibilité d’obtenir ses droits en tant que sinistré. C’est pourquoi on accable l’administration locale de moult manquements.“Je ne sais pas quand, ni comment je pourrai évacuer ma famille de cette baraque”, s’inquiète à juste titre M. Rebihi, un septuagénaire. Il pose un problème purement bureaucratique. Son ancienne bâtisse individuelle est classée rouge 5 suite à l’expertise des services du CTC. Deux ans après le cataclysme, sa maison n’a pas encore été démolie, à cause des atermoiements des services concernés.“Et sans l’acte de démolition, je ne peux réclamer l’aide financière à la reconstruction promise par le gouvernement, et dont le montant s’élève à 100 millions de centimes”, fulmine le vieil homme.Dans chaque commune de Boumerdès, meurtrie par le séisme, on recense des centaines de familles sinistrées confrontées à ce genre d’obstacles. Officiellement, elles ne seront pas concernées par le relogement dans des bâtiments en dur. Mais l’aide financière permettant la réhabilitation de leurs bâtisses traditionnelles n’est pas encore débloquée. Ce qui signifie pour eux qu’ils vont pourrir avec leur progéniture dans ces logis en préfabriqué, avant le lancement des travaux de reconstruction de leur habitation.

Pénible, l’attente dans les chaletsAu site dénommé ferme pilote, toujours à Bordj Ménaïel, l’eau est coupée depuis presque une semaine. Des petits enfants s’arment de sceaux, se cramponnent à des brouettes et se rendent à une usine voisine pour s’approvisionner en eau potable. “Sans eau, on ne peut vivre pardieu”, s’exclame Ahmed, 40 ans. L’exiguïté du chalet accentue son angoisse. Il n’a même plus cette latitude de disposer d’un nombre suffisant de jerricans pour pallier les coupures d’eau. Par la force des évènements, aucun détail n’échappe, donc, maintenant aux sinistrés. Escale la veille du week-end à Zemmouri. Il y’a deux ans, jour pour jour, l’épicentre du terrible tremblement de terre a été localisé à 7 km de cette ville. Avec ses 600 chalets, le site Mousquet est l’un de s plus importants centres de transit de la municipalité. Chalets à petites fenêtres généralement fermées. Mais “où tout pourtant, s’épie et se sait aussitôt”, s’inquiète d’emblée un quinquagénaire. Les cloisons sont si minces que les voisins t’entendent même quand tu parles, chez toi, à voix basse. Ceci en plus d’autres problèmes vécus suite aux aléas du climat. Mais “le chalet tel qu’il est conçu ne peut assurer aucun semblant de confort”, ajoute-t-il.Pas besoin d’intimité, de nombreux chefs de familles sinistrées bétonnent à présent leur logis, quand ils ne tapissent pas les clôtures de couvertures ou les façades à l’aide de pointes de roseaux.En raison de la gravité de son sinistre, la municipalité de Zemmouri a bénéficié d’importants moyens humains et matériels pou renouer avec la sérénité. C’est là qu’ont été installés les premiers sites de chalets. L’opération fut minutieusement menée. Résultat : ruelles bitumées, propres et relativement spacieuses. En collaboration avec des ONG internationales – handicap international HI, Comité international de développement des peuples (CISP), Unicef et le CRA, la DAS de Boumerdès y a mis en place des structures de prise en charge psycho-sociales, soutien psychologique et formation professionnelle aux enfants des sinistrés. Mais du côté des familles infortunées, une seule phrase revient comme un leitmoti : “18 mois déjà dans les chalets et on ignore la liste des bénéficiaires des premiers quotas de logements dont la distribution est prévue à la fin juin prochain”. Notez ce principal souci des familles sinistrées, enchaînent les concernés. A cause de l’exiguïté du logis, les enfants ne peuvent ni s’épanouir ni suivre normalement leur cursus. On veut un espace habitable où l’on peut se mouvoir aisément, installer au moins une petite table pour écrire, disposer de quelques meubles. Respirer la vie… Les pouvoirs publics se préoccupaient, eux, au lendemain du cataclysme, des milliers de sans-abri dénombrés. Pour eux, apparemment, l’essentiel c’est d’avoir pu réaliser ces centres de transit plus décents que les guitounes. Dans les sites, par contre, les réclamations sonnent sempiternellement comme des SOS. Réclamation récurrente de dispensaires, voire petite salle de soins d’urgence, règlement définitif du problème d’eau. A S’ghirat, site situé entre Boumerdès et Zemmouri, nous avons recensé une dizaine de bébés souffrant de problèmes respiratoires, de nombreuses personnes hypertendues et diabétiques.“Alors, qu’attend-on pour leur faciliter des soins sur place ?”, clame-t-on.A Haï El Louz, entre Tidjelabine et Thénia, on nous parle du difficile accès au site, de l’éloignement du centre urbain. “Les coupures d’eau durent parfois deux semaines, preuve qu’on nous oublie”, se lamente une vieille femme. Scolarité, santé, entretien du cadre de vie au sens technique et purement psychologique demeurent, ici et là, depuis deux ans, les principaux soucis des sinistrés installés dans ces centres transitaires. Et donc, ils guettent la moindre information sur le taux d’avancement des chantiers de réalisation des bâtiments en dur.

Salim Heddou

Partager