Une mémoire lucide contre une amnésie rampante

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La justice (ou la raison d’Etat ?) a choisi un certain Mbarek Boumaârafi, sous lieutenant du Groupe intervention spécial, aux sympathies islamistes, pour être son exécuteur assassin. Cependant, sa famille refuse la piste islamiste que le pouvoir tente vainement d’accréditer. Ils étaient nombreux, mercredi dernier, à rendre un hommage à cet homme juste d’entre les justes, au palais de la Culture Moufdi-Zakaria à Alger. Laconique intervention de Ali Haroun, membre du HCE, mais pertinente lorsqu’il déclare que l’idée de faire appel à Si Tayeb El Watani (nom de guerre de Boudiaf ) a sauvé le pays du chaos. Pour sa part, Redha Malek, président de l’ANR et négociateur des accords d’Evian, estime que la mission de Boudiaf mission quoique brève, 170 jours à la tête de l’Etat, a relancé beaucoup d’idées et de perspectives qui ont permis à l’Algérie de rester debout, notamment ce message fort de lutter contre le terrorisme aveugle qui voulait transformer l’Algérie en un autre Afghanistan. “Mohamed Boudiaf, au destin exceptionnel, ajoute Redha Malek, était un homme d’une grande envergure, un des fondateurs du FLN, un parti qu’il a dû quitter au lendemain de l’indépendance en raison des errements et des luttes d’appareils”.

A propos de son lâche assassinat, le négociateur des accords d’Evian souligne  » que tirer dans la nuque est le paroxysme de l’inconcevable. L’Algérie a reçu cela comme un séisme. « . Pour lui, les idées prêchées par Si Tayeb El Watani ne meurent pas, mais demeurent enracinées dans les profondeurs du peuple. Il s’interroge pourquoi avoir fait appel à Boudiaf.  » Boudiaf est un symbole aux idées modernistes et un représentant de la révolution nationale. Il était un homme incontesté et incontestable « , affirme-t-il. L’intervenant considère que son souvenir continue de nous interpeller, car Boudiaf constituait un point de ralliement. « Il était le premier à rejoindre le FLN et le premier à le quitter, lui qui était fidèle à la franchise. Sa pureté, sa rectitude ne lui permettaient pas les compromis dont certains s’accommodaient », affirme Redha Malek.

Dès son installation à la tête du Haut Comité d’Etat (HCE) Boudiaf s’est attelé, indique le conférencier, à s’attaquer à la difficile tâche du redressement national, éliminer le terrorisme, briser les tabous et poursuivre une nouvelle politique au profit de la jeunesse. Redha Malek, en brossant la vie et l’itinéraire de celui qui a écrit Où va l’Algérie note que la politique prônée par le défunt Tayeb El Watani, contrairement à celle de nos gouvernants, ne s’accommodait pas des replâtrages, encore moins d’une approche technique dans la lutte contre le terrorisme qui était pour lui une réelle volonté. « Son discours ne résidait pas dans les discours emphatiques et les promesses, Mohamed Boudiaf se définissait en homme de rupture avec tout ce qui parvenait du pouvoir », précise l’intervenant, dans une allusion contraire au discours de bois servi par le pouvoir à longueur de journée et d’antenne. Rédha Malek conclut son excellente intervention en estimant que la meilleure manière de venger son « assassinat sauvage » et lui rendre hommage consiste à permettre à cette jeunesse en laquelle il croyait obstinément de reprendre le flambeau. Sa famille et ses amis se sont recueillis dans la dignité, hier, en sa mémoire au cimetière d’El Alia. Rappelons à toutes fins utiles, qu’aucun officiel, hormis Sidi Said, secrétaire général de l’UGTA, n’a daigné se présenter pour cette commémoration. « C’est la culture de l’amnésie qui prend le pas sur la mémoire. Une culture dans laquelle le pouvoir et ses relais excellent à merveille » murmure-t-on dans les travées du Palais de la culture. Même la Télévision nationale, qui devait accomplir son devoir d’information, n’a consacré au sujet- la commémoration- dans son journal de 20 h que  » quelques secondes  » de couverture expéditive. Et pourtant l’homme-symbole qu’était Mohamed Boudiaf méritait bien mieux….

Hocine Lamriben

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