Un “ OVNI ” nommé LMD

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L’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou (UMMTO) compte pour cette année universitaire 2007/2008 un effectif global voisin de 40 000 étudiants. L’effectif de l’année précédente était de 37 230 dont 36 007 en graduation et 1 223 en post-graduation. 1 787 évoluent dans la nouvelle architecture LMD. L’UMMTO, un des plus importants pôles universitaires du pays, totalise 8 facultés englobant 29 départements. Il compte pour cette année universitaire 2007 / 2008 un effectif global voisin de 40 000 étudiants.

Le nombre des étudiants évoluant en LMD est de 3 644 dont 1 846 nouvellement inscrits et 1 798 réinscrits. 403 étudiants en droit (Licence de droit public et privé) ; 2 887 en sciences techniques et de la matière, 354 en maths informatique. Les licences ouvertes à la formation, LMD sont: génie civil, electrotechnique, électronique, automatisme, maths, Informatique, chimie, physique, droit public et privé. Relevant au passage que concernant la faculté de droit, concernée au départ à raison de 150 étudiants, en guise de section échantillon, a vu son effectif croître pour atteindre 403 étudiants.

Genèse de la réforme LMD

Vers la fin des années 90, la mue géostratégique se profilait à l’horizon d’une Europe qui se voulait de plus en plus unie et solidaire. Ses pays membres, constitués en communauté, se concertaient sur les questions cruciales régionales et internationales, notamment économiques, sécuritaires, sociales, immigration…

Le 25 mai 1998, les ministres en charge de l’enseignement supérieur de France,d’Allemagne, du Royaume-Uni et d’Italie se sont réunis à la Sorbonne, sur l’idée d’ »harmoniser l’architecture du système européen de l’enseignement supérieur”. Le 19 juin 1999 à Bologne, les ministres de l’Education de 29 pays européens poursuivront la réflexion sur la base de la déclaration de la Sorbonne et se fixeront une série d’objectifs dont la réforme actuelle est l’aboutissement. Le 30 mars 2001, à Salamanque, plus de 300 institutions européennes se concerteront afin de rappeler les principes d’harmonisation du système européen de l’enseignement supérieur et de préparer une conférence à Prague où le 19 mai 2001 les ministres européens de l’Education adoptèrent une déclaration : “Déclaration de Prague” affirmant leur volonté de poursuivre leurs efforts sur les six points cardinaux de la déclaration de Bologne, à savoir : adoption d’un système de reconnaissance rendant les diplômes universitaires plus transparents et lisibles, mise en place de cursus universitaires fondés notamment sur un premier cycle de trois ans, introduction d’un système de crédits, promotion de la mobilité des étudiants, des chercheurs ainsi que du personnel administratif, développement d’instruments communs permettant d’évaluer la qualité des enseignements, accroissement de la dimension européenne du contenu des cursus universitaires.

Suite à quoi, un comité est installé au niveau de chaque université pour élaborer un projet « Nouvelle offre de formation », sous réserve d’habilitation du ministère. Ledit comité a pour tâche d’élucider le projet local d’application du dispositif LMD, de répondre aux doléances des étudiants et des enseignants. Les associations européennes des universités, en plus de la législation soumise à l’étude sous tous ses aspects, n’ont cessé de multiplier enquêtes, séminaires, sondages, comptes rendus de séminaires et de colloques pour présenter et décortiquer les nouvelles notions induites dans chaque université par la mise en place du dispositif. En France une échéance de dix ans: 2000-2010, a été retenue pour intégrer le dispositif LMD, en plus des capacités et moyens dont les universitaires disposent.

Le  » LMD  » ou l’invité surprise de l’UMMTO

Lorsque ce travail d’investigation sur le terrain au sujet du thème: “le LMD à l’UMMTO”, sur proposition d’un confrére, il y a de cela un peu plus d’une année, la réalité du terrain était déjà très complexe. Les choses se corsaient de plus en plus, le flou et la contestation menait le bal au sein d’une région fortement  » bâillonnée  » par un marasme de plus en plus généralisé. La communauté universitaire n’était pas vraiment préparée à recevoir le fameux nouveau système de l’enseignement supérieur, plus connu sous le nom de  » système LMD « . La communauté universitaire fortement ébranlée, presque… à l’abandon, ne savait plus quel bout de ficelle tirer suite aux événements tragiques que la région a vécu, entre 2001-2004. Evénements dont les séquelles restent indélébiles et n’ont pas encore livré tous leurs dessous. La communauté universitaire était la caisse de résonance où les premiers signes de dégradation retentissaient : baisse de niveau perceptible chez la communauté estudiantine ; Le service offert par les œuvres universitaires en matière d’hébergement, de bourse, de restauration et de transport, est supplanté par le flux d’étudiants sans cesse grandissant… L’hémorragie ayant affecté l’encadrement magistral ne cessait de prendre une allure de plus en plus inquiétante. En somme la région de Kabylie, en particulier la famille universitaire, portait déjà les prémices d’un grand retard qui n’a cessé et ne cesse de s’accumuler, avec son cortége de retombées autant négatives que funestes.

C’est au cours de l’année universitaire 2004/2005 que le système LMD a fait son entrée à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou (UMMTO), au niveau de la faculté des sciences à Oued Aissi. Dès le départ une campagne est lancée en défaveur de la nouvelle réforme, le flou ayant régné autour du dossier, pourtant des bureaux d’information étaient prévus au cours de la période des pré-inscriptions au début de l’année, ce que nous avions constaté nous-mêmes.

Ignorance, inconscience des étudiants ?… laisser-aller et absence de vulgarisation du processus, volontaire de la part des administrateurs, l’université de Tizi-Ouzou ayant une renommée de contestataire? L’année universitaire 2005/2006 s’était bouclée avec le sentiment d’avoir été floués pour les étudiants après l’échec de la majorité. Que fallait-il faire pour parer à ce creux qui allait emballer la scène locale ?…

De l’avis de nombreux observateurs locaux, enseignants et universitaires, le nouveau système LMD à atterri à l’université Mouloud- Mammeri de Tizi-Ouzou sans préavis, du moins sans un travail de préparation au préalable.  » Cela aurait pu aider à dissiper les nuages et brumes qui se sont emparés de la patience et de l’esprit de la communauté universitaire notamment les étudiants… Un vide pesant a entouré l’introduction du dossier LMD « ; nous dira d’emblée un enseignant très au fait des réalités sociologiques du terrain à Tizi-Ouzou.

Un bras de fer est alors engagé entre la communauté estudiantine et l’administration ; faculté et vice-rectorat chargé de la pédagogie. Deux mois de grève, activités pédagogiques perturbées, organisation de marches sur le siège de la wilaya …C’est carrément le tunnel.

Colère et tourmente chez les étudiants

L’année universitaire 2006/2007 est entamée avec morosité et un manque d’enthousiasme par la communauté universitaire. Les étudiants ayant essuyé un échec cuisant revendiquent le retour à l’ancien système. Grèves, rassemblements, marches se succédent…

Au niveau de la wilaya on a clairement signifié aux délégués des étudiants que  » cela n’est pas de leur ressort « .

 » De toute façon, le LMD passera ; que vous le voulez ou non. Allez ou vous voulez « ,  » que voulez- vous, on n’y peut rien « ,  » Ailleurs les enseignants gonflent les notes pour masquer l’échec ; à Annaba, Jijel,… »,  » à Biskra on a gelé les activités pédagogiques pour demander l’arrêt du processus LMD « ,  » c’est une réforme qui nécessite beaucoup de moyens  » est le cocktail de commentaires auxquels ont droit les nouveaux étudiants. Pis, le staff du vice- rectorat chargé des questions pédagogiques, dirigé alors par Cherif Kais, invité à donner des explications lors d’un rassemblement tenu par la communauté estudiantine de la faculté des sciences de Oued Aissi, n’a pas été à la hauteur des attentes des étudiants, il n’a pas su apaiser la tension et apporter des éclaircissements. Selon les étudiants, « Ce jour-là, les intervenants n’ont fait qu’enfoncer le clou  » …

Au secrétariat du vice-rectorat chargé de la pédagogie, ils ont eu droit à la circulaire n°7 du 04 juin 2005, initiée par la publication du décret n°4-371 du 21 novembre 2004, fixant les modalités de présentation, d’évaluation et d’habilitation des offres de formations dans le cadre du dispositif LMD. Les étudiants ne savaient plus que faire : les examens approchaient, le champ fut ouvert à tous les discours et commentaires de tous bords…

L’échec qui a suivi était patent. A la question : Que savez- vous sur le LMD ? Hormis les quelques étudiants syndicalistes, la majorité des étudiants s’arrêtent à réponse :  » Le LMD, c’est licence, master et doctorat. « .

Interrogé à ce sujet, un étudiant à la faculté des sciences nous déclare :  » Après notre grève, on nous donne ça « ,brandissant la fiche distribuée. Sur cette dernière, on peut lire : Règlement portant modalités de l’évaluation des connaissances et des attitudes et de progression dans les études de la licence  » nouveau régime  » du dispositif LMD. Le tout en trois chapitres, le premier chapitre porte sur l’organisation et déroulement des enseignements, le second sur le contrôle des connaissances, et le troisième sur la progression et l’orientation dans les études.  » Le LMD c’est la privatisation de l’université, c’est l’économie de marché « , lancera un étudiant face à ses pairs, sirotant un café juste après le dîner au comptoir de la cafetéria de la cité.  » Mais où sont donc les instituts privés, les unités industrielles… « , Rétorquera l’un d’eux. Un élément de la coordination locale des étudiants sollicité à s’exprimer s’étale sur la question :  » A Béjaïa, les étudiants en sciences biologiques sont au master ; mais tout le monde n’est pas admis. Les étudiants sont bernés au départ quelque part.Ici comme là bas on refuse aux étudiants de revenir à l’ancien système. Je suis persuadé que les initiateurs de la réforme LMD ne sont pas vraiment convaincus.Ce ne sont que des arrivistes ; leurs enfants sont à la Sorbonne, à Oxford, à Harvard et ailleurs. Alors que d’autres organisations, UGEL, ENA, qui ne sont nullement représentatives, défilent au niveau du ministère. Nous qui sommes représentatifs d’au moins 30 000 étudiants depuis le 11 décembre (2006), on sollicite pour la deuxième fois une audience chez le ministre et par l’intermédiaire du wali…aucune réponse, à ce jour ! « 

Les enseignants; entre perplexité et mécontentement

Tous les enseignants que nous avons approchés convergent vers un même constat, à savoir la nécessité d’apporter des réformes à l’ancien système et la disproportion entre les moyens mis en œuvre en vue d’assoir le nouveau dispositif de la réforme LMD et atteindre ses objectifs.

M. Moh. Djerdjer Mitiche, actuel vice-recteur chargé des questions pédagogiques(VRP), depuis son installation à la fin de l’année universitaire écoulée tente de combler les lacunes, malgré toutes les difficultés rencontrées sur le terrain. Certains enseignants, administrateurs et non administrateurs, ont une conscience accrue des réalités du terrain, et surtout de l’urgence et de la nécessité d’une réforme du secteur de l’enseignement supérieur dans notre pays. Quant à son appellation ;  » LMD  » ou autres, cela importe peu…  » Ils essayent tant bien que mal d’accomplir leur mission : prendre le train de la réforme, même avec un retard traîné en véritable boulet, essayer de relever le défi…Toutefois, il est légitime de s’interroger, c’est notre devoir même ! Comment s’y prendre pour réussir la réforme ? A-t-on mis en place les moyens nécessaires, humains (encadrement) et matériels pour aborder le défi avec des atouts? « , Lance un enseignants ayant fait ses études à Tizi-Ouzou, rencontré face au rectorat de l’UMMTO,

M. Mitiche, enseignant à la faculté des sciences et actuel VRP, n’a pas tergiversé sur la question de la réforme LMD :  » Au fait, on a à choisir entre suivre et prendre le train de la réforme, qui, par ailleurs, se généralise à travers le monde ou la subir, avec tout ce que cela impliquera comme conséquences et retombées sur les cadres nationaux à l’avenir, ici et ailleurs « , dit-il d’emblée, tout en se voulant ouvert et réceptif à une critique objective sur la question.

Sinon comment, expliquera-t-il, d’un ton interrogateur :  » L’année passée, 10 000 exemplaires(fiches d’information) étaient distribués aux nouveaux bacheliers, une cellule d’information a été mise en place ; il n’y avait pas de contestation…Deux mois après la rentrée de cette année, la contestation commence.  » Et d’ajouter ; « Un document expliquant l’objet de la réforme et le bilan de l’ancien système, distribué aux enseignants dont la majorité n’avait pas pris cela au sérieux. Affiché au département de physique, un seul étudiant avait demandé un exemplaire ! Toute réforme génére des résistances.  » et d’ajouter d’un ton interrogateur :  » L’émission de réserves se limite généralement à des préjugés. J’aimerai discuter avec les spécialistes pour situer les failles et imperfections pour y remédier. Une réforme qui se mondialise correspond- t- elle à nos préoccupations” ?

M. Aired Salem, ex- VRP et enseignant à la faculté des sciences agronomiques et biologiques nous dira :  » En Belgique, avec 100 000 étudiants on y a consacré cinq ans. En France, ils consacrent une dizaine d’années, et avec standardise et une armada de moyens humains (surtout) et matériels. Ici, chez nous, l’opération est bouclée de fait ! On lance le chantier LMD sans toutefois le faire accompagner, au préalable, par les moyens nécessaires… Sans se préoccuper de ce qui adviendra Au niveau de notre faculté, rien n’est fait à présent. On ne veut pas faire dans la précipitation.  » Et d’argumenter en s’interrogeant:  » L’étudiant a 25h/semaine, le reste est à sa charge. A- t-on mis un micro à la disposition de chacun, une bibliothèque bien fournie? »

L’avis de M. Matti de la même faculté, a sonné comme un verdict juste et équitable, qui emballe sur plusieurs pistes de réflexion:  » Je viens de signer une lettre de recommandation à une étudiante. Elle ira à l’étranger pour faire une ou deux années de recyclage…C’est que nos diplômes ne sont plus reconnus. Le dispositif LMD a été introduit en vérité progressivement en 2000.On a accusé un grand retard à plusieurs niveaux. Concernant le LMD, l’UMMTO est à la traîne comparativement à d’autres universités. La période de crise qu’avait connu la région a pénalisé en premier lieu les universitaires, qui, ne savaient plus sur quel pied danser, étant pris de court par la gestion des différents volets générés par la crise. « 

Le retour à l’évidence,…une nécessité

Ne dit-on pas que lorsqu’il faut aller, il faut y aller ! La campagne menée, qui n’ en est pas vraiment une, pour expliquer et décortiquer le système LMD à la communauté estudiantine a largement suffit pour ouvrir le débat, malgré les réticences et les appréhensions du départ. Certes, il y avait des résistances, mais cela n’a pas empêché l’assimilation progressive, du fait que la nécessité de s’adapter à la réforme est l’unique recommandation de l’heure ! L’écho enregistré de part et d’autre abonde dans ce sens, que ce soit chez les étudiants ou les enseignants, récalcitrants au départ.  » Sincèrement, je commence à “me réviser” concernant la question du LMD. Mais, on a su répondre aux questions foisonnantes par ailleurs, que l’on se posait. Il s’agit de vulgariser le système en menant une vraie compagne tambour battant et de mettre les moyens nécessaires en o euvre » ; déclare un étudiant en 2ème année LMD, avide d’explications et de détails sur les divers éléments que la réforme induira.

Sollicitée pour s’exprimer sur le thème, Mme B. Fadhila, enseignante à la faculté des sciences, nous livre son appréciation et commentaires:  » L’été dernier, l’école doctorale a tenu un séminaire, en présence d’éminents professeurs dont deux Français et un Algérien. Parait-il, la moitié des étudiants français ont refait l’année au départ, après avoir revu et remodelé les programmes, cela marche mieux. Du point de vue recherche, le système n’est pas mal. Chez nous, les programmes sont denses, comparativement au niveau des étudiants …Le système d’endettements est un boulet.

De toute façon, on a intérêt à suivre avant qu’il ne soit trop tard… je pense que le master professionnel posera problème chez nous ; Nos enseignants, en majorité de par leur formation ne sont pas qualifiés pour le technique, ils sont plutôt théoriciens et académiciens de profil. »

Chabha, une étudiante en fin de cycle à la faculté de biologie, dont la soutenance est prévue ses jours-ci, informée que la faculté agro- bio, éventuellement, pourrait être concernée par le LMD pour l’année universitaire 2008/2009, nous dira : « Dans l’état actuel des choses, je suis contre la mise en place du système LMD au niveau de la faculté, mais pas contre le système lui-même. J’estime qu’il y a un manque flagrant de moyens…Pratiquement, il n’ y a rien…Pour ouvrir la faculté au LMD, il faut au moins un grand laboratoire, un terrain d’expérimentation, des sorties pédagogiques, une bibliothèque bien nourrie, un abonnement aux revues scientifiques …Et, bien sûr, revoir la méthode de travail… Je fais confiance à nos enseignants ; ils n’accepteront pas le LMD sans les moyens nécessaires.  »

Enquête réalisée par Ahmed Kessi

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