Il était une fois le printemps berbère…

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“Le 20 avril restera une date historique malgré les années qui passent, on s’en soucie moins, c’est visible, mais on en parle à chaque fois que cette date revient”

Avril 1980-Avril 2011, trente et un après les évènements du Printemps Berbère, la symbolique est toujours vivante chez les kabyles. La date ne repasse toujours pas sans que, d’une manière ou d’une autre, la rue ne marque le rendez-vous. Mais on s’en souvient toujours et diversement. Chaque génération aura commémoré à sa manière, cette tranche de l’histoire. La commémoration a certes perdu de son intensité mais « Avril » représente toujours quelque chose pour les kabyles. En effet, on très loin de l’engagement des années 80. Le fameux méga concert nocturne à la cité universitaire de Rehahlia (Oued Aïssi) n’est plus qu’un lointain souvenir pour les plus nostalgiques. Pour d’autres, les jeunes d’aujourd’hui (qui n’étaient pas encore nés), ça reste juste un gala dont ils n’en pas eu l’occasion de vivre l’ambiance et les sensations. Difficile de se rendre compte de ce que l’on a raté quand on n’a pas eu l’opportunité de vivre la chose. Surtout qu’elle ne risque pas de se reproduire. Certainement pas, car déjà un des piliers qui faisait l’évènement n’est plus de ce monde. Matoub, c’est bien lui. Lounès, « Est-il arrivé ? Il chantera à quelle heure ? Va-t-il passer avant Aït Menguellet ?… » C’était le genre de question qu’on se posait parmi la foule, raconte Saïd, la quarantaine passée et ancien étudiant en Génie civil, aujourd’hui entrepreneur (propriétaire d’une société de bâtiment). « C’était grandiose, au soir du 20 avril, on venait de partout. Exceptionnellement, la cité universitaire de Oued Aïssi était ouverte à tout le monde. Une grande scène était, à chaque fois, installée du côté du stade de l’enceinte, c’était le seul espace qui pouvait contenir la marrée humaine, et encore ! La soirée durait jusqu’au petit matin. On venait en famille, c’était mixte, tranquille et bien coloré. Tous les artistes connus de Kabylie répondaient présents. Ils défilaient, un par un, sur scène, chacun pointait pour faire un passage. Ils se bousculaient même. C’était tellement grandiose. C’était le seul rendez-vous où vous pouviez voir réunis les Aït Menguellet, Matoub et Ferhat Imazighen Imula. Je parle de ces trois car c’étaient les grandes figures, les stars que tout le monde attendait. Il y’avait aussi Benmohamed. Eh oui ! Tout ça est bien loin dans le temps… Tout s’est arrêté un jour. Je n’ai plus l’année exacte en tête, mais cette fois là l’ENTV s’était aventurée pour filmer le gala, et ce fut une fête gâchée. La soirée a tourné court pour être expédiée en queue de poisson. Depuis, il n y a plus eu de gala, ni d’union entre les kabyles. Chacun, aujourd’hui, tire de son côté. Les animateurs de l’époque sont, aujourd’hui, chacun là où il est. Forcement, ils ne peuvent pas se retrouver au même endroit, puisque chacun a pris sa route, avec ses ambitions», raconte Saïd. « Le 20 avril restera une date historique malgré les années qui passent, on s’en soucie moins, c’est visible, mais on en parle à chaque fois que cette date revient », ajoute t-il en guise de conclusion. Madjid, proche de la cinquantaine et fonctionnaire à la wilaya, a un tout autre souvenir qui lui remonte à l’esprit à chaque fois qu’il entend évoquer le 20 avril : « Ce que je retiens, au-delà des évènements, c’est cette incursion des services de sécurité en plein nuit, à la cité universitaire pour matraquer les étudiants, c’est la mobilisation particulière des populations des différents villages. Ils arrivaient en renfort à bord de gros camions sur la ville de Tizi-Ouzou. Vous vous imaginez des bennes de camions pleines à craquer d’hommes munis de pelles, pioches&hellip,; c’était impressionnant de les voir débarquer, prêts à tout. C’est des images qui me restent en mémoire à ce jour. Avant, il n y avait pas de fourgons, c’était soit le bus ou le taxi. Les manifestants venaient même en tracteurs, c’était à la fois bouleversant et émouvant. Le Monoprix (ex galeries du centre-ville, aujourd’hui transformées en locaux divers) a volé en éclat et en un rien de temps. C’était l’époque où on découvrait les bombes lacrymogènes… On voyait ça pour la première fois. Et croyez moi, ce n’était pas aussi facile de s’en prendre à l’autorité à l’époque. Les étudiants l’ont fait, car tout est parti d’eux, même si après, c’est toute la Kabylie qui est sortie dans la rue.» C’est là le témoignage de Madjid. Moh, étudiant en deuxième année sciences commerciales à l’université Mouloud Mammeri, parle d’un air très sérieux du sujet : « C’est une date historique pour la Kabylie. Tout est parti de cette conférence de Mouloud Mammeri qu’on a interdite. Ils l’ont bloqué à Boukhalfa, ce qui a poussé les étudiants à protester et les gendarmes ont, alors, envahi l’université ». Lynda, également étudiante, parle du sujet sans grande passion : « C’est une journée fériée, on met de la musique à la fac, il y a des activités culturelles et des marches… » Chez les moins jeunes, le message ne semble pas vraiment passer. C’est du moins ce qui en ressort de ces propos, recueillis auprès des lycéens d’un établissement de Tizi ville. Celui qu’on appelait dans le temps « Nouveau lycée ». C’était à la sortie des classes, au début de l’après-midi, devant le portail. Sakina prépare son bac. Le 20 Avril pour elle ? « Oh ! Je sais, c’est la grève générale. C’est la fête des Imazighen.» Mais encore ? « Je sais pas moi, c’est Matoub ou quelque chose comme ça…? » « Mais non, ils ont tué Guermah Massinissa, tu te rappelles ? Toutes les marches, la grève, les CRS&hellip,; » tentait de la corriger sa copine qui venait de retirer son oreillette MP3. Elle concédait volontiers avec un sourire qu’elle était branchée Bob Dylan. « Ça dé-stresse, après quatre heures de classe !». Toute la phrase est d’elle (La copine à Sakina qui ne veut pas du tout confier son petit prénom). Une troisième, paraissant plus âgée que ses camarades se joint à la discussion, « Moi c’est Souad. Si vous voulez, je vous réponds, mon frère est un acharné de la politique, lui et mon père se taquinent souvent. » Plus tard, on aura appris qu’elle est originaire de Fort National. « C’était pour avoir Tamazight langue nationale et, je ne sais plus qui était le président, à ce moment là qui refusait. Alors, il y’a eu de grandes manifestations… » « Oui c’est lui, comment il s’appelle… ? Bon dieu, je n’ai plus son nom&hellip,; je me rappelle, il portait des lunettes… », la coupait Sakina comme pour se rattraper. Au fil de la discussion on aura comprit que Souad parlait de Zeroual! Visiblement, chez ces jeunes filles, sensiblement influencées par le satellite et le Net (elles évoquent avec force et détails le quotidien d’EZEL, une série turque qui fait ravage sur Abu Dhabi TV, ou encore Bab El Hara sur la 2M marocaine), parler du 20 avril n’était pas le sujet indiqué. Chez les garçons aussi, quoique à un degré moindre. En effet, ils semblent plus se retrouver en évoquant le dernier Réal-Barça, Piqué et sa copine Shakira, Messi, Ronaldo et ces stars de l’écran… Le 20 avril, pour eux, c’est « la grève », ne cherchez pas plus. Kamel lancera, avant un grand éclat de rire, qu’ « El Chaâb Youridou Isqat El Nidham… » (Le peuple veut la chute du régime), le fameux refrain en vogue chez les révoltés des pays arabes… ça a suffi pour plonger les autres dans une furie de rires, avant de se retirer. « Je dois recharger mon téléphone », balançait cet autre, comme pour justifier son retrait de la discussion dont il n’en avait visiblement rien à cirer. Et il est vite rejoint par les autres. C’est certes un échantillon réduit, mais assez significatif et révélateur de la « consommation » quotidienne des jeunes d’aujourd’hui, qui raffolent plus des nouvelles des peoples d’outre mer que de tout le reste. C’est une génération plus avisée sur la Play Station, le Net, les télés qui les arrosent du ciel, la mode, le visa, les Muçuçu… Pour eux, Mouloud Mammeri « est un grand. Il y’a aussi Matoub, Tahar Djaout, et d’autres dont ils ont entendu parler un jour. Par hasard, peut-être. Brièvement… » Mais n’espérez pas avoir plus d’eux. Est-ce pour autant leur faute…?

Nassima Chebbah.

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