Ces femmes qui veulent en finir avec l’analphabétisme

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Une des enseignantes à la Maison de jeunes d’Amizour, Mme Ahamziou, nous relate l’histoire d’une femme de 36 ans, Salima, qui s’était inscrite parmi les première femmes afin d’apprendre à lire et à écrire. Elle était la plus intelligente et la plus curieuse de son groupe, son ambition et sa ténacité ont réalisé, donc, ce que personne n’aurait imaginé. Elle a pris des cours privés de français et d’anglais, et a gardé le contact avec son enseignante qui est devenue par la suite son amie.

Après avoir passé trois ans, du premier cycle d’apprentissage à l’école de filles, elle a été transférée au CNEPD pour y continuer son parcours scolaire. Elle est, donc, passée du cycle moyen au cycle secondaire, puis elle a obtenu son bac après deux échecs. Elle s’est inscrite à l’université de Béjaïa en 2008. Parallèlement, elle a suivi une formation en management à l’INSIM de Béjaïa. Une autre femme, Saïda, qui a passé ses premières années d’alphabétisation, également à l’école de filles, continue actuellement son parcours au CNEPD. Sa sœur, rencontrée sur les lieux, qui suit aussi des cours d’alphabétisation, nous dira : “Saïda est ma sœur, après avoir passé les niveaux 1, 2 et 3, récemment, elle suit ses études au CNEG ; elle est en première année moyenne, elle trouve des difficultés concernant les langues étrangères. Pour le français, elle a de la chance car les analphabètes des anciens groupes l’ont étudié, mais pour l’anglais c’est mon frère qui est en deuxième année moyenne qui lui donne des cours de soutien.”

Une autre fille qui suit ses cours d’alphabétisation en niveau 2, s’est inscrite récemment pour une initiation à l’informatique. “J’ai commencé cette formation depuis 15 jours, c’est très agréable et très intéressant que chacun apprenne des choses”, dit-elle. Mieux vaut tard que jamais, des femmes, donc, ayant vécu dans “l’obscurité”, se motivent, veulent s’épanouir et affronter les obstacles, malgré leur âge, (les difficultés de mémorisation, les responsabilités familiale…), elles s’intéressent aux études et souhaitent être créatives pour leur entourage. Une femme de 68 ans nous dira : “Quelle joie de prendre un papier et de lire ce qui est écrit ou de regarder la télévision et de comprendre ce qu’ils disent. Quand j’étais jeune, je détestais ma vie, heureusement qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire, j’ai une mauvaise mémoire, mais je me sacrifie pour réaliser le rêve de mon enfance.”

Dalila quant à elles nous dira : “Apprendre à lire et à écrire est mon rêve depuis toujours, combien de fois je voyais à la télévision des recettes de gâteaux que je voulais réaliser mais je n’y arrivais pas à les comprendre ni à les écrire”. Une autre enchaîne : “J’ai deux enfants, quand ils me demandent de les aider, j’étais triste d’être incapable de le faire, surtout quand ils me disent, “maman, la mère de mon camarade sait lire et écrire pourquoi pas toi ?””.

Le problème du français

En outre, des analphabètes ayant apprécié les études exigent l’apprentissage des langues étrangères, notamment le français, qui est considéré, selon les femmes interviewées, la langue la plus répandue dans la société algérienne, et la communauté kabyle. Elles veulent l’étudier même s’il faut payer pour cela. Safia, une jeune fille de 28 ans, dira : “Je veux apprendre le français, l’arabe est insuffisant. Les enseignes des magasins ; des salons de coiffure, des bus… sont toutes écrites en français”. Noria, femme de 48 ans ajoute : “Je suis inscrite dans ce centre non pas pour apprendre uniquement la langue arabe, toute ma famille vit en Europe. Pour cela, je paye 2 000 DA pour quatre séances afin d’apprendre le français chez le privé. J’aurai aimé l’apprendre dans ce centre”. Rebiha, 42 ans, de son côté, dira : “Je me déplace presque tous les jours, d’Amizour à El-Kseur, à pied jusqu’à la Maison de jeunes pour y être présente à quatorze heures, et apprendre l’arabe seulement. C’est le français qui prédomine dans notre vie quotidienne, les ordonnances médicales, les factures de téléphones, d’électricité… sont toutes rédigées en français”. Elle ajoute : “On souhaite faire d’une pierre deux coups”. Une autre dira : “Je dois apprendre le français et ça m’est égal de payer, car j’en aurai besoin, que ce soit dans mon parcours scolaire ou dans ma vie privée”. Quelques analphabètes, par contre, optent pour le français par besoin d’utilisation de l’outil informatique. Une femme d’une quarantaine d’années dira : “On ne peut pas faire une formation en informatique sans apprendre le français.”

Adversités

Du manque de français au manque de formation, la période de trois ans de formation est insuffisante. Avoir trois niveaux (1, 2 et 3) pour continuer la formation au CNEPD ne permettra pas de suivre des études. En trois ans, des analphabètes arrivent à peine à lire et à écrire. D’après une jeune femme de 32 ans, “non seulement on a besoin du français, mais en trois ans, on arrive à peine à lire et à écrire correctement”. Au moment où certaines femmes aspirent à apprendre uniquement à lire et à écrire, certaines, qui se déplacent de différents villages de la commune d’Amizour, du Feraoun, de Barbacha d’Ighil Ialouenen… comptabilisent les longs trajets et les conflits qu’elles subissent. Une femme de 47 ans, qui a décidé de quitter définitivement le centre de l’alphabétisation, nous dira “malgré l’envie que j’ai de m’instruire, mon mari refuse car c’est trop loin”. Selon les deux enseignantes, la Maison de jeunes n’est pas vraiment éloignée, certaines femmes du niveau 1 n’ont pas l’habitude de bouger, elles ont toujours l’esprit de femme au foyer et pour cela il leur semble que c’est loin. La Maison de jeunes est le meilleur endroit pour apprendre plusieurs activités (couture, cuisine, coiffure) et où les analphabètes ont accès au savoir.Le directeur du centre, M. Medjebar, dira : “On a inclu récemment l’informatique. Ceux ayant la volonté d’apprendre et qui ont le niveau 2 fort ou le niveau 3 peuvent s’y inscrire”. Il ajoute : “Concernant la langue française, dans le programme institué par l’Office national de l’alphabétisation, il n’y a que la langue arabe à enseigner.” A l’instar des différents progrès remarqués chez des analphabètes, une grande importance est accordée à la psychologue ayant entamé son travail mercredi 18 du mois en cours. A sa rentrée en classe et en se présentant, toutes les femmes ont demandé des rendez-vous pour des consultations, et n’ont pas hésité pas à révéler leurs problèmes. Hayet, 40 ans, révèle le problème de perte de mémoire qui la menace : “Je souffre énormément de troubles de mémoire, quand je révise, j’oublie rapidement, parfois je suis tentée d’abandonner. J’ai commencé mes cours depuis trois mois, et je n’arrive pas à lire ce que j’écris”, se plaignent-elles à la psychologue. Deux autres femmes, par contre, se sont inscrites pour des séances de suivi. Il semble que le rêve des femmes analphabètes s’est enfin réalisé. Dans trois ans, les analphabètes rattraperont leur retard de plusieurs années. Et pour cela, elles aspirent à l’inclusion des langues étrangères dans leur programme.

Fatsiha Touche

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