L’apport du Pr Haddadou à tamazight débattu

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Organisé les 1er et 2 octobre passés, à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, le Colloque national en hommage à feu le professeur Haddadou a été un moment nostalgique. D’abord avec les témoignages très émouvants de sa fille et ses anciens étudiants et collègues, ensuite, via les communications données par les aux conférenciers conviés à ce rendez-vous. Sous le thème «Tradition et renouvellement en lexicologie et lexicographie berbère : l’apport de M. A. Haddadou», le Dr Saïd Chemakh, auteur et enseignant chercheur à l’université de Tizi Ouzou, Département de langue et culture amazighes, a relaté le cheminement de la lexicographie et la lexicologie berbères depuis les premiers travaux. «Aux XVIIIe et XIXe siècles, c’étaient des travaux à des fins militaires. Vont suivre ensuite, au XVIIIe siècle, les travaux des religieux.

Enfin, les universitaires ont pris le relai du XVIIIe au XXIe siècle», souligne-t-il, avant d’ajouter : «Après l’indépendance, on verra l’arrivée des Nord-africains dans le domaine universitaire (la néologie de l’Amawal de M. Mammeri) et, bien évidemment, l’apport de M.A. Haddadou (de 1990 à 2018).» Intervenant dans le même sens, le directeur du Centre national de langue et culture amazighes de Béjaïa, le Dr Mustapha Tidjet, et Djeloudi Liza, doctorante en linguistique, axeront leur communication sur «Lecture critique, dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie», en soulignant l’importance accordée par l’auteur à l’onomastique, en général, et à l’onomastique algérienne, en particulier.

«Ainsi, le Pr Haddadou a touché aussi bien à l’aspect anthroponymique, étude des noms propres de personnes, qu’à celui de la toponymie, étude des noms propres de lieux. Mais il nous semble que l’un de ses travaux les plus aboutis, relatifs à ce domaine, reste le «Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie», sorti aux Éditions Achab, Tizi-Ouzou, 2012. Ce dictionnaire nous livre une lecture de l’espace sous un éclairage particulier», expliquent les conférenciers. Pour sa part, la doctorante Merakeb Dihia s’est penchée sur le dernier dictionnaire du Pr Mohand Akli Haddadou qui, selon elle, apporte un nombre remarquable de nouveaux mots au lexique de tamazight.

L’intervenante s’est intéressée essentiellement à la subdivision des parties de ce dictionnaire, la présentation des entrées des mots nouveaux et l’importance de l’élaboration de cet ouvrage. Enfin, et l’oratrice de conclure : «Le Dictionnaire tamazight tatrart, dictionnaire des mots nouveaux, amazigh-français-arabe» est d’ordre pédagogique et didactique pour toute personne ayant une destination bien précise dans le processus d’apprentissage de tamazight.». Pour évaluer à sa juste valeur la pénible mission de l’élaboration d’un dictionnaire, Yacine Meziani du Département de langue et culture amazighes (DLCA) de Béjaïa entamera sa communication, en paraphrasant J. J. Scaliger, écrivain du XVIe siècle.

Il cite : «Les pires criminels ne devrait être ni exécutés ni condamnés aux travaux forcés mais condamnés à rédiger des dictionnaires, car toutes les tortures sont dans ce travail !» Dans sa contribution, l’intervenant a présenté les différents travaux du défunt ainsi que les travaux qu’il a dirigés et encadrés, relatifs aux domaines de la lexicologie et la lexicographie, en précisant à chaque fois l’apport des études lexicologiques à la lexicographie du domaine amazigh. «Le professeur Haddadou est conscient que la lexicologie est le socle de la lexicographie.

Il a entamé cette carrière de linguiste berbérisant dans sa thèse de troisième cycle intitulée «Structures lexicales et signification en berbère (kabyle)», soutenue en 1985 à l’université d’Aix-en-Provence. Une thèse dirigée par l’éminent chercheur dans le domaine berbère, Salem Chaker. Cette thèse est publiée en 2011 sous forme d’un manuel intitulé «Précis de lexicologie berbère» chez les éditions ENAG, en Algérie », a-t-il affirmé. Et de poursuivre : «Par ailleurs, on remarque qu’à la fin de sa carrière, Haddadou s’est consacré à la lexicographie. Il a publié un nombre considérable de dictionnaires et encadré pas mal de mémoires de magistère et de thèses de doctorat dans le domaine de la lexicographie. Ces mémoires et thèses portent sur la critique des dictionnaires existants ou sur la confection de nouveaux dictionnaires.»

Les cinq recommandations du colloque

Les participants au colloque national ont recommandé cinq propositions lors de sa clôture. Parmi ces recommandations, on y trouve la proposition de baptiser l’amphithéâtre du Département de langue et culture amazighes de Tizi Ouzou au nom du Pr Mohnad Akli Haddadou. La dernière journée de ce colloque a été marquée également par l’intervention de quelques participants à ce rendez-vous scientifique et commémoratif, notamment par les universitaires de Tizi Ouzou et de Bouira. Le Dr Kosseila Alik, docteur en linguistique et ancien élève de Pr Haddadou, s’est longuement étalé sur le travail de son ancien enseignant dans une communication intitulée : «Le testament de Haddadou Mohand Akli : Pistes et réflexions».

L’orateur a abordé l’œuvre du défunt d’une façon globale, ses interviews et ses contributions dans les médias sur l’aménagement de tamazight. Après avoir relaté le parcours universitaire du chercheur, le Dr Alik dira à propos de l’œuvre du défunt «En parcourant la liste des ouvrages ou des articles écrits par M.A. Haddadou, on a le sentiment d’un éclatement de recherches en de multiples directions, une riche bibliographie qui touchera à plusieurs domaines différents, voire interdisciplinaires. Dans le domaine de la linguistique amazighe, le professeur Haddadou s’est focalisé sur les études de lexicologie, en tenant compte des changements lexicaux à travers l’histoire et les rapports de tamazight avec les différentes langues des envahisseurs de l’Afrique du nord».

Selon le conférencier, c’est cette démarche qui mettait en place l’emprunt linguistique comme objet d’étude, sa morphologie, son sens original et son évolution ainsi que les contextes de son intégration dans la langue amazighe en précisant que «c’est dans cette optique que le chercheur Haddadou a dégagé deux types d’emprunts : L’emprunt créatif et l’emprunt non créatif. L’emprunt créatif est à l’origine un mot étranger, mais avec l’évolution de la langue, il a changé complètement son sens original et à travers lequel d’autres mots sont créés. Tandis que l’emprunt non créatif est un mot étranger qui a toujours gardé sa forme et son sens original dans la langue».

Dans le cas du berbère, le Pr Haddadou précisera dans son ouvrage ‘’Défense et illustration de la langue berbère’’ ce qui suit : «Quand l’emprunt est un nom ou un adjectif, il s’introduit généralement dans une série morphologique berbère, le processus de dérivation est bloqué aussi bien à partir de la racine que des termes empruntés. Par contre, quand c’est la racine verbale même qui est empruntée, on assiste à un développement morphologique du paradigme. La racine est alors engagée dans un processus de dérivation et fonctionne comme une base berbère».

«Parcours d’un enseignant-chercheur…»

Pour sa part, l’enseignant/chercheur Tabti, un ami ayant des projets de recherche sous la direction du Pr Haddadou, veut, à travers sa communication, témoigner et rendre hommage à la mémoire du Professeur chercheur et linguiste. Dans une communication intitulée : «Parcours d’un enseignant-chercheur ou la biographie d’un chantre de Tamazight», le conférencier rappellera que «toute sa vie fut un long combat pour la vie, pour la science et pour tamazight». L’orateur précisera que «Le professeur Haddadou dont les œuvres sont pluridisciplinaires, a effectivement été l’auteur kabyle le plus prolifique. Il nous a laissé, en effet, plus de 25 ouvrages en héritage. Comme auteur fécond et chercheur intarissable, il a marqué d’une manière indélébile l’histoire du département de Langue et Culture Amazighes où il enseigna plus de 27 ans.

Amar Laoufi de l’université de Bouira a voulu mettre en lumière le dernier ouvrage du Pr Haddadou : «Introduction à la littérature berbère suivi d’une Introduction à la littérature kabyle» consacré entièrement à la littérature amazighe d’une manière globale et kabyle d’une manière particulière, en présentant et analysant cet ouvrage à la lumière des nouvelles théories de la réception. Dr Lydia Guerchouh, est intervenue sur l’un des dictionnaires de feu Haddadou dans une contribution intitulée «Une œuvre en or : Le dictionnaire des racines berbères communes».

À travers sa communication, l’oratrice a décortiqué «le travail de fourmi qui a été élaboré derrière cet ouvrage en abordant également les difficultés et les entraves rencontrés par un lexicographe lors de l’élaboration d’un dictionnaire en référence à l’expérience de l’auteur et à la méthode employée». Pour étayer ses propos, la conférencière dira : «Nous citerons à titre d’exemple : la reconstitution diachronique et inter dialectale pour aboutir à l’identification de la racine, les variations intra et inter dialectale, la métathèse qui perturbe l’organisation des entrées d’un dictionnaire, l’appartenance catégorielle qui n’est pas souvent clairement établie en plus des chevauchements inter catégoriels».

Enfin, elle a expliqué «l’impact de ce dictionnaire sur l’évolution du lexique et de la terminologie de la langue amazighe qui regroupe 1 023 racines déployées sur plusieurs entrées lexicales chacune. Ces racines nous permettront de penser à l’homogénéité et à la convergence des dialectes en terme de néologie, car l’auteur nous dévoile combien elles sont minces les frontières grossièrement dessinées entre les dialectes berbères».

Hocine Moula

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