‘’Montagne / ''Montagne (adrar)’’, selon Camille Lacoste-Dujardin

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A moins de 50 kilomètres à l’est d’Alger, la montagne de Grande Kabylie, ou Kabylie du Djurdjura, s’étend sur 150 km d’ouest en est, depuis Thénia jusqu’à Béjaïa, et 60 km du nord au sud, depuis la mer Méditerranée jusqu’à la vallée de l’Oued Sahel-Soummam.

Elle comprend :-Au nord, la chaîne côtière, dite de la Kabylie maritime (1278 m à Tamgout des Ath Jennad) ;-Au sud, une grande barre rocheuse, l’arc convexe de la grande sierra calcaire du Djurdjura (2308 m, à Lalla Khedidja) ;- et, entre les deux, est un massif ancien, ensemble de longues croupes sud-nord, entre des ravins profondément creusés ; d’une altitude moyenne de 800 m, ce massif montagneux est la partie de la Kabylie la plus densément peuplée par les Igawawen qui donnent son nom au massif Agawa.

L’omniprésence de la montagne marque profondément les représentations kabyles, comme toutes la vie de ses hommes et leurs activités. Le Djurdjura inhabité avec ses sommets hérissés de rochers fendus de larges crevasses verticales, stimule l’imagination. Il recèlerait l’eau d’entrechoquement des montagnes (aman ouanda tsemiagaren idourar), eau merveilleuse, eau de jeunesse et source de vie, que le héros de certains contes doit aller chercher au péril de sa vie. Dans la montagne, règne la nature sauvage au climat rude que seuls peuvent affronter des hommes d’exception. C’est le Djedjer ou Adrar budfel (la montagne des neiges) où la neige se maintient jusqu’en avril ou mai, où les grottes et les gouffres qui s’ouvrent dans les fissures de ses parois karstiques (qui recèlent parfois de la glace) sont censées être autant de portes vers le monde souterrain.

Les Kabyles situent nombre de mythes préislamiques en montagne- comme celui du ‘’pauvre buffle’’ créateur des bêtes sauvages, ou celui des premiers hommes et des premières femmes, sortis de la montagne dans son massif de l’Haïzer- et aussi de nombreuses légendes dans des amas rocheux où se sont longtemps perpétués des pèlerinages contre la stérilité ou les disettes. Cette haute montagne inspire à la fois la magie et le sacré. Elle a été habitée autrefois par des ermites et des saints musulmans, en des lieux que l’on visite encore, tel l’ermitage de Lalla Khedidja, la sainte qui a donné son nom au plus haut sommet du Djurdjura.

Mais cette montagne inhospitalière, même lorsqu’elle est assez proche, est propre à désespérer le paysan. Il est, en effet, dans la littérature, un exploit impossible à réaliser par le héros sans le concours du surnaturel : c’est le défrichage et l’aplanissement d’une montagne à transformer en jardin. Inhospitalière aux étrangers et dissuadant les envahisseurs, la montagne est aussi le précieux refuge des Kabyles, qui aiment à dire :  » Qui a les siens dans la montagne n’a rien à redouter dans les plaines « . Car, les montagnards kabyles, surtout arboriculteurs de fruitiers sur leurs pentes aux maigres parcelles, et artisans industrieux dans leurs villages-refuges, ont toujours eu besoin du complément des productions céréalières des plaines qui se trouvaient trop souvent à la merci des razzias et fréquemment occupées.

La montagne accueille désormais le tourisme, quoique encore timidement, avec le Parc national du Djurdjura, des pistes de ski et, plus bas, beaucoup de résidences et bourgs modernes, tandis que nombre de montagnards kabyles, installés à Alger, en France et ailleurs dans le monde, y vivent de ressources dont une part revient aux vieux restés en Kabylie. La montagne, moins que jamais, ne saurait suffire à faire vivre ses habitants : les Kabyles.

in Dictionnaire de la culture berbère en Kabylie

Ed. La Découverte-2005

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