Des passerelles qui tardent à s'établir

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Par Amar Naït Messaoud

Plus de la moitié des nouveaux inscrits à l’Université ont obtenu le premier choix auquel ils ont postulé. Cela semble, à lui seul, constituer un objet de satisfaction du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, puisque cela a été dit et répété dans plusieurs organes d’information. Cependant, en menant à bien le parcours du combattant de l’inscription dans une branche ou filière universitaire, les bacheliers cuvée 2014 ont eu affaire indubitablement à des « travaux d’Hercule », d’autant qu’une grande partie s’est déroulée pendant le mois de Ramadhan sous la canicule de juillet. Avec le nouveau système LMD, les études vont s’échelonner sur au moins trois ans pour la première étape, ceci dans l’hypothèse la plus favorable où le cursus se déroule sous les meilleurs auspices. Néanmoins, il se trouve qu’une grande partie de ces « contingents » n’ont pu décrocher la première option pour laquelle ils ont postulé et pour cause, la faiblesse de la moyenne du baccalauréat de certains d’entre eux a fait qu’ils soient orientés vers leur deuxième ou troisième choix. Pire, il s’en trouve même qui sont « parqués » d’office dans des spécialités auxquelles ils n’ont jamais pensé. Un cas, révélé par la presse il y trois ans de cela, illustre le ridicule de cette situation et porte à son extrémité le déficit de logique régnant dans ce domaine, et il y a lieu d’y méditer. Il s’agit d’une bachelière qui avait obtenu la note de 6 dans l’épreuve philosophie et qui se retrouve orientée précisément vers… la philosophie. Pour admettre la fatalité et accepter un tel sort, il faut certainement beaucoup de courage et il convient de prendre les procédures administratives, qui tordent l’esprit de la pédagogie, avec… une certaine philosophie. Hormis les habituels et classiques désagréments et les aléas inhérents aux inscriptions et à l’intendance (chambre universitaire, cantine, transport…), phénomènes induits par la taille à croissance exponentielle de la population universitaire, d’une part, et, d’autre part, par la répartition géographique des universités et des centres universitaires, les acteurs de l’économie nationale émergente (surtout les nouveaux capitaines d’industrie du secteur privé qui misent sur la rentabilité l’efficacité et la compétence) commencent à s’interroger sur le relève, sur le plan des ressources humaines censées manager et prendre en charge les unités de production sur le plan technique et organisationnel. Si la question tarde à être posée en amont, c’est-à-dire à l’échelle de l’autorité politique et des gestionnaires du secteur de l’Enseignement supérieur, de l’Education et de la Formation professionnelle, elle n’a pas, en revanche, tardé à être vivement exprimée par ces acteurs directs, créateurs de richesses et d’emplois. En postulant à un tel rôle social (créer des richesses et de l’emploi), les employeurs et patrons n’ont pas toutes les clefs entre leurs mains. Ils apportent leurs capitaux, leur savoir-faire personnel, acquis ici ou ailleurs sur les bancs de l’université mais il n’existe pas d’entreprise qui soit managée par son seul patron. Le staff technique de direction, la direction technique, les directions des finances et de la comptabilité réclament tous des compétences non négligeables. Ajoutons les intervenants directs dans le process industriel, avec leurs différents rangs (contremaîtres, ouvrier spécialisés, personnel polyvalent,…). En tous cas, chacune avec son organigramme, ces unités de production ou de prestations de services sont censées faire appel à un personnel technique de plus en plus spécialisé particulièrement dans les nouveaux métiers des biotechnologies, des technologies de l’information et de la communication, de l’agroalimentaire… etc. Si les bacheliers qui accèdent pour la première fois à l’université n’ont pas toutes les données pour raisonner en termes pragmatiques et se tracer un avenir professionnel dans une économie nationale en pleine transition, les autorités en charge de l’université (ministère, rectorat, corps professoral…) ne devraient pas, par contre, se contenter de statistiques sur le nombre d’étudiants, de places pédagogiques disponibles et autres arithmétiques exclusivement focalisées sur la logistique. Même si cette dernière a son importance et contribue grandement à la réussite dans les études, elle semble, malheureusement, prendre, presque sans grand résultat, le dessus sur le reste des préoccupations de la famille universitaire. Si l’on relègue au second plan la pédagogie dans toutes ses facettes et dimensions, ou pis, si l’on en fait carrément table rase, l’objet même de l’enseignement universitaire est tout bonnement remis en cause. En d’autres termes, si on ne sait pas pourquoi on forme et comment on forme, il n’est nul besoin de continuer à consommer un budget astronomique, dont le montant peut facilement équivaloir au budget complet d’un petit pays. Si de telles questions arrivent à franchir le filtre de l’autocensure, c’est que la gravité de la situation ne peut laisser personne indifférent. Des cohortes de jeunes universitaires, porteurs de papiers diplômes, remplissent les rues, les cafés, les casernes… ils chôment depuis des années. Même l’accès au pré emploi est devenu presque une « affaire d’État », tant se sont multipliés les obstacles et les interventions, bien que cette option ne représente pas grand-chose sur le plan économique. Comme dispositif social, il sert à atténuer temporairement les effets du chômage pour un salaire sous le seuil du Smig. Les rangs de la fonction publique ont été exagérément gonflés par un tel apport (quelque 900 000 pré emplois). Les concernés sortent dans la rue, depuis quelques mois, pour réclamer leur intégration. Même si, par impossible, une telle option s’avérait réalisable dans l’immédiat, la problématique de la relation entre l’université et le monde du travail demeurera entière, tant que la formation tarde à épouser les préoccupations de l’entreprise, aussi bien dans la nature de la formation (filière) que dans son niveau (compétence). Enchaînés par une mécanique infernale dans la construction d’infrastructures universitaires, les responsables du secteur n’ont pas encore mis sur la table la délicate et essentielle équation de la relation ou de la passerelle étroite et féconde qu’il doit y avoir entre l’université et le monde du travail. Un monde du travail qui ne jure, ces derniers temps, que par la diversification économique. Le nouveau plan quinquennal 2015-2019 peut-il aider à trouver un début de solution à cette problématique?

A.N.M.

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