Conjurer l'adverse fortune

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Les rues et venelles du pays ont repris, hier matin, leur animation sonore et leurs couleurs diaprées à la faveur de la rentrée scolaire qui a vu plus de huit millions d’élèves- des cycles primaire, moyen et secondaire-, reprendre les chemins de l’école. La rentrée scolaire 2015/2016 se déroule dans une atmosphère particulière, où l’école algérienne est appelée à vivre une évolution décisive supposée pouvoir projeter notre système éducatif sur l’orbite des défis du 21e siècle, dont on a consommé déjà une quinzaine d’années.Jamais sans doute, depuis l’épisode Mostefa Lachref (1977-1979), l’école algérienne n’a suscité autant d’interrogations, n’a fait l’objet d’autant d’intérêts et n’a suscité autant de polémiques, qu’avec l’arrivée de Mme. Nouria Benghbrit Remaoun au poste de ministre de l’Éducation en mai 2014. Si, dès la nomination de la ministre, les forces conservatrices de la société et des organisations politiques ont tenté des diversions où il est fait appel à des questionnements sur la filiation exacte de Mme la ministre et à son rôle dans la commission dite Benzaghou, créée par le président de le République en 2001 pour proposer des réformes dans le système éducatif, ces mêmes forces rétrogrades, n’ayant pas été satisfaites de la hauteur que la ministre a prise par rapport à l’abjection de leurs besognes, sont revenues à la charge de manière offensive au cours de la saison estivale, profitant d’une « brèche » qu’ils ont dénichée dans la conférence nationale sur l’évaluation des réformes scolaires, tenue le 25 et 26 juillet 2015. Cette « brèche », c’est l’une des recommandations des ateliers où il est proposé d’enseigner, à titre transitionnel, l’arabe algérien aux premières années du primaire. Il n’en fallait pas plus pour crier à la trahison, à la félonie et au départ de Mme la ministre. En quelque sorte, on l’ « attendait au tournant », subodorant chez elle une tendance « hérétique » en matière de pédagogie et d’organisation du secteur de l’enseignement. Cette tendance, c’est celle de la volonté de moderniser l’école algérienne, de la mettre au niveau des exigences de l’heure, de lui donner une justification économique et sociale et de l’extraire au charlatanisme qui l’a gangrenée depuis plus de trente ans. Bien sûr qu’on est mille lieues des recommandations de la commission des réformes de l’éducation de 2001, où il est proposé entre autres, l’enseignement des matières scientifiques en langue française pour faire la jonction avec le cursus universitaire. Les baathistes ne pardonnent pas à Mme Benghebrit d’avoir fait partie de cette commission. Pour eux, elle « sent le soufre ». Si l’Algérie s’est laissée déposséder de son école au profit de la médiocrité du psittacisme et du charlatanisme, c’est qu’elle avait une « ressource » de substitution, un éphémère viatique qui se cristallise dans la rente pétrolière. Dans une économie tournée complètement vers l’importation, grâce à l’argent de l’or noir, il était peu indiqué de faire des efforts particuliers dans l’enseignement. On a perdu l’enseignement, comme on a perdu les anciens métiers où l’algérien excellait et produisait jusqu’à la fin des années 1970 (artisanat, agriculture et industrie). On a perdu les définitions, les théorèmes, les formules chimiques et le raisonnement scientifique, comme on a été délesté des valeurs du travail, de la morale et de l’honnêteté.

Une griserie rentière qui a cassé l’école

L’illusion de la rente dure ce que peuvent durer les marchés volatiles du pétrole, eux-mêmes liés à la croissance et aux innovations technologiques dans les pays développés consommateurs de l’or noir. Sans parler ici des limites objectives des réserves pétrolières du pays. La griserie causée par la rente pétrolière est allée jusqu’à friser l’absurde, lorsqu’on considère que même dans les industries de la transformation pétrochimique, notre pays est très mal classé se contentant d’envoyer dans les oléoducs le pétrole brut. Le retard dans le raffinage- qui a conduit l’Algérie à acheter des carburants pour trois milliards de dollars/an- en est un symptôme assez éloquent. Exploitant l’ « inutilité » bien consacrée de l’école algérienne, les forces conservatrices de la société l’on investie pour en faire une deuxième mosquée, pire, un lieu d’endoctrinement et de conditionnement. L’école a perdu sa raison d’être. Elle devient un grand jardin public où s’exerce la violence, où se consomme et se vent la drogue. Tant qu’a duré cette griserie pétrolière, une grande partie de la société a fermé les yeux sur la dérive de l’école. Le pouvoir d’achat s’est artificiellement bonifié le soutien des prix a été défendu becs et ongles par le gouvernement pour acheter momentanément la paix sociale, les routes et les artères des villes algériennes sont encombrées de voitures que l’on fait sortir sans justification impérieuse (le carburant étant soutenu par l’Etat); on a vu des lycéens se balader toute la journée avec la voiture de papa au lieu d’aller préparer leurs cours ou leurs examens. Leur demander de faire des lectures ou des recherches supplémentaires serait une « offense » à leur tranquillité et à leur farniente.

L’on se rend compte que tout le monde est complice, y compris les parents d’élèves, dans la chute vertigineuse du niveau de l’école algérienne. Une complicité sustentée par une forme de « corruption » insidieuse installée par l’Etat. On a accepté et même favorisé le « copiage », la fraude par les moyens modernes de communication. Des parents ont sollicité des appuis ou des complicités auprès des surveillants de l’examen du baccalauréat pour laisser leur enfant copier ou lui ramener les bonnes réponses.

Comment remonter la pente?

Dans une situation où la faillite est collective, la remontée de la pente ne peut pas être facile et ne peut pas se faire par un simple tour de prestidigitation. Il est possible, voire souhaitable, que l’actuelle mauvaise passe du pays sur le plan financier serve de déclic pour penser autrement l’école. Certes, de générations entières ont été sacrifiés sur l’autel d’une arabisation au rabais et d’une idéologisation outrancière, où se sont combinés, dans une mixture explosive, la baathisme et l’islamisme qui ont anesthésié l’école, neutralisé les esprits et ravalé l’enseignement au rang de charlatanisme.

Cependant, des signes, sans doute encore insuffisants mais porteurs d’espoir, sont quelque part perceptibles, aussi bien au sein de la nouvelle équipe du ministère de l’Éducation nationale que chez les parents d’élèves. Signes qui disent que la fin de la « récréation » doit être sifflée. Que l’avenir du pays est dans son école et non dans son sous-sol.

C’est face à un tel fol espoir de la reconquête de l’école par les Algériens, que toute la République est ameutée par ceux qui ont peur de perdre le vivier intégro-arabiste, qu’a constitué cette institution jusqu’à présent. Un vivier infesté qui a servi à la reproduction de l’échec, du « panurgisme » et de la soumission. Redresser une telle situation- entreprise qui tient d’une véritable révolution culturelle et mentale- exige non seulement une volonté d’airain, mais aussi des compétences avérées et un esprit d’engagement et de persévérance. Nous croyons apercevoir un certain nombre de ces qualités chez la ministre de l’Éducation. La mission requiert une marge de manœuvre assez large. De larges franges de la société sincèrement préoccupées par l’avenir du pays de leurs enfants, espèrent qu’une volonté politique à la mesure des défis accompagne cette noble entreprise de redressement.

Amar Naït Messaoud

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