Est-ce la fin des distorsions ?

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Les plans d’aménagement de wilayas sont en train de subir, au cours de ces trois dernières années, une refonte totale dont les grandes orientations sont directement inspirées du Schéma national d’aménagement du territoire.

C’est le Centre national d’études pour la population et le développement (CENEAP) qui a pris en charge l’élaboration de ces documents précieux de prospectives et d’orientation du développement local. Les concertations qui ont eu lieu avec les différents acteurs locaux (APC, daïras, directions d’exécutif, associations, membres de l’APW,…) dans chaque wilaya, ont visé à enrichir toutes les phases de l’étude de façon à ne rater aucun maillon de la logique de développement telle qu’elle se décline sur les territoires considérés. Le bureau d’études s’est basé dans ses grands axes, sur les orientations du Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT) qui vont jusqu’à l’horizon 2025. Équilibre territorial, équité régionale et gestion rationnelle des ressources, telles sont les bases de réflexion qui sont proposées aux acteurs locaux pour apporter leur précieuse contribution aux plans d’aménagement des wilayas. Le défi est d’autant plus grand que, selon les termes de la loi de finances 2012, toute inscription de programme ou de projet de développement est liée à sa programmation dans le document du plan d’aménagement. Ce sera donc une espèce de base de données et un portefeuille de projets d’où seront puisés les actions et les programmes de développement à moyen et long termes. Incontestablement, le Schéma national d’aménagement du territoire revêt un caractère particulier en raison des défis auxquels ne cesse de faire face notre pays en matière d’administration des territoires (espaces urbains et espaces ruraux), de répartition des populations et des activités économiques et, enfin, de gestion/exploitation des ressources naturelles. Ce schéma a été élaboré sur la base d’un travail de fond qui a nécessité la collaboration de tous les secteurs d’activité. Les projections et les ambitions qui animent cette œuvre d’envergure sont de réserver une place de choix à l’Algérie aux horizons de 2025. Cette projection s’articule autour de l’espace, de la répartition des population et de la gestion des ressources de façon à obtenir un développement rationnel, harmonieux et intégré qui s’appuie sur les vocations des sites et des régions et qui valorise les potentialités et domestique les contraintes. L’aménagement du territoire « implique une idée de gestion appliquée à l’ensemble des ressources nationales, et notamment de l’espace qui devient par endroits un bien rare. L’urbaniste américain Adam le définit comme «la science, l’art et la politique dont l’objet est de créer le milieu nécessaire à la production et au développement des valeurs humaines », selon le spécialiste Stéphane Hénin (inEncyclopédia Universalis). En tant qu’outil de gestion et de prospective, le Schéma national d’aménagement du territoire est présenté par le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’environnement comme pouvant  » anticiper les ruptures et les risques pesant sur l’espace algérien en tant que lieu de vie à protéger et à préserver ». Il se propose de fixer les grandes orientations spatiales en matière d’investissement et de politique de développement, localisation des infrastructures de base et des équipements publics, voies de communication, ouvrages hydrauliques, zones à urbaniser, zones touristiques,…comme il prévoit aussi les actions qui pourront valoriser les espaces particuliers caractérisés par une sensibilité exceptionnelle comme les zones littorales, les couloirs steppiques, les zones désertiques, les franges frontalières et les zones de montagne.

Volontarisme et précipitation

Le volontarisme et la précipitation avec lesquels ont été menées les actions de développement pendant les années 1970/80 répondaient à des objectifs immédiats tendant à «satisfaire les besoins de la population» sans tenir compte des conséquences ou des mouvements dommageables que cette logique allait générer sur les flux migratoires, l’épuisement des ressources biologiques, hydriques ou foncières. C’était l’époque de la montée vertigineuse de la gestion rentière de l’économie où aucune espèce d’imagination ou de créativité n’était exigée des cadres et techniciens qui étaient chargés de l’administration des territoires et de l’économie nationale ainsi que des équilibres naturels supposés être basés sur la gestion rationnelle des ressources. C’est là un des travers du développement anarchique que l’Algérie a hérités du processus de construction nationale après l’Indépendance. Aux yeux des aménagistes et des économistes, le déséquilibre de la répartition spatiale de la population, l’injection aléatoire des investissements et le déficit de rationalité et d’imagination dans la gestion des ressources naturelles (y compris le foncier) ont largement contribué à la chute du mythe « développementiste » où le volontarisme populiste a pris la place d’une gestion démocratique et rationnelle et de la bonne gouvernance. L’Algérie, qui s’est dotée depuis les années 1970 de structures administratives inhérentes à l’aménagement du territoire, s’était ainsi rapidement laissée griser par la rente pétrolière qui a permis une urbanisation effrénée et anarchique, suivie de pôles industriels autour de certaines grandes villes. Cette situation a drainé des populations de l’arrière-pays montagneux et steppique au point où l’exode rural est devenu une réalité avec laquelle il faut compter dans tous les autres programmes de développement. C’est une vérité et une donnée fondamentale issues d’un diagnostic sans complaisance de l’Algérie du troisième millénaire : la concentration démographique, industrielle et commerciale a élu domicile dans la partie la plus septentrionale du pays, à savoir la bande côtière limitée par l’Atlas Tellien. Plusieurs facteurs historiques, climatiques et sociologiques peuvent expliquer cette ‘’préférence’’ de vivre sur un territoire spécifique au détriment du bon sens et de la rationalité. Ces distorsions ont amené la densité de la population à avoisiner les 300 habitants/km2 en moyenne dans les wilayas du Nord tandis que sur les Hauts Plateaux, elle descend parfois au-dessous de 50 habitants/km2. Les territoires du Sud, en revanche, enregistrent les densités les plus faibles allant de 10 à 20 h/km2. Aujourd’hui, avec 37 millions d’habitants, tous les indices montrent un engorgement de la partie nord du pays. La concentration des activités économiques y a créé des problèmes de circulation presque insurmontables, d’autant que le réseau du chemin de fer n’a subi aucun changement depuis l’époque coloniale jusqu’au milieu des années 2000. D’autres problèmes d’infrastructure et d’équipement annoncent une asphyxie prochaine de la bande littorale (AEP, décharges publiques, réduction drastique de réserves foncières pour les programmes d’équipement,…). La devise d’ « équilibre régional » ayant accompagné les plans quadriennaux et les plans spéciaux est, on en convient aujourd’hui, un slogan qui n’avait pas de prolongement sur le terrain.

Réformer la vision spatiale du développement

Notre pays souffre visiblement d’une vision spatiale du développement (territoires et ressources) peu portée sur la rationalité et les équilibres territoriaux, handicap majeur retardant la mise en synergie du capital humain avec le milieu dans lequel il vit et agit. Ce genre de distorsion se traduit par la disparité des degrés de développement des régions du pays, l’instabilité chronique des populations actives appelées à gagner leur vie là où l’offre d’emploi est la plus présente et par des réactions culturelles (replis identitaires, intégrisme religieux, retard dans la formation de la ‘’citadinité’’,…) qui expriment une tension à la limité du pathologique. En effet, la répartition géographique de la population et sa mobilité inscrite dans l’espace et dans le temps induisent des comportements et des attitudes particulières quant à la manière dont sont appréhendés, intériorisés et vécus les éléments de l’environnement. La symbiose qui a pu s’établir en Algérie entre l’homme et la nature avant les grands bouleversements coloniaux et les profonds changements apportés par l’indépendance du pays n’est sans doute plus qu’un souvenir que ravive l’imaginaire collectif dans une situation fort tendue où ni l’individu ni la communauté ne trouvent leur compte. Le nouveau cadre de vie façonné par un développement problématique en mal d’harmonie, tend de plus en plus à échapper aux hommes et aux structures administratives, si bien que de lourdes menaces commencent à peser sur l’ensemble de la collectivité. Ces menaces sont à identifier dans les travers qui obèrent le cadre de vie urbain, les constructions illicites réalisées sur des zones inondables, les montagnes de détritus élevées en dépotoirs sauvages et d’autres comportements qui remettent en cause l’harmonie et le bien-être. Bien avant la mise en application des plans d’aménagement territoriaux, les pouvoirs publics ont commencé à s’inspirer des grands principes qui y sont contenus dès la conception et le lancement de certains programmes spéciaux destinés à des territoires spécifiques (Hauts Plateaux, Sud), pour réorienter l’effort de développement dans le sens de la rationalité et de l’équilibre territorial. Les nouveaux instruments d’aménagement destinés aux wilayas sont supposés à même de consacrer ces principes à tous les échelons (daïras, communes et localités), pour peu que la volonté politique soit au rendez-vous.

Amar Nait Messaoud

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