De l’ubuesque à l’ubiquité

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C’est peut- être vrai dans une certaine mesure. Mais, quand bien même ces chevaliers de la plume décideraient d’enterrer la hache de guerre, force est de reconnaître que certains hommes politiques ne leur en laissent pas le loisir. Le chroniqueur peut fermer les yeux quand il s’agit de discours obscons, de positions archaïques ou de déclarations péremptoires et irréalistes. Il peut ignorer les frasques privées de tel ou tel dirigeant politique. Par contre, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un chroniqueur satirique, il ne peut ne pas traiter tout ce qui relève de l’ubuesque, car c’est ce qui alimente précisément son espace. En la matière, deux chefs politiques qui se ressemblent d’ailleurs comme deux gouttes d’eau, battent tous les records : il s’agit de Aboudjerra et de Soltani. Aboudjerra est chef d’un parti politique. Il s’est mis une “Alliance” au doigt pour contracter un mariage de raison. Il a beaucoup fait pour que Soltani, dont le nom prédestiné dérive de “Solta”, soit au gouvernement. Soltani est donc au gouvernement et il en profite rudement bien. Aboudjerra et Soltani sont de la même famille. Ils sont inséparables. En tout cas, tous les soirs que Dieu fait ils se rencontrent autour d’un thé pour deviser tranquillement. Aboudjerra est alors en gandoura d’un blanc immaculé, la tête couverte d’une chéchia de même couleur. Soltani, lui, préfère les costumes Pierre Cardin, coupés dans un alpaga gris-souris et refuse de s’affubler d’un quelconque couvre-chef en dépit d’un début de calvitie qui se fait de plus en plus voyant. C’est au cours d’un de ces thés intimes que ce dialogue a eu lieu :Aboudjerra : Bouteflika commence à exagérer. Je ne peux plus continuer à supporter ses provocations.Soltani : De quoi s’agit-il donc ?Aboudjerra : Cette façon qu’il a d’attaquer nos intérêts est insupportable. Il est en train de s’attaquer à nos fondements mêmes…Soltani : Je ne comprends toujours pas. Sois donc plus précis.Aboudjerra : En réformant le système éducatif, il nous a pas mal dérangés déjà. Voilà que maintenant il décide de supprimer la filière islamique au lycée…Soltani : Ah, c’est donc ça ! Tu sais que j’ai tout fait pour empêcher cette ignominie…Aboudjerra : Oui, mais tu as quand même fini par déclarer que c’est une décision courageuse du président…Soltani : Quand on est dans ta position, on peut vilipender la politique de Bouteflika. Mais quand, comme moi, on a le président en face, les yeux dans les yeux, crois-moi que c’est difficile de lui dire non. En fait, il a un regard insoutenable…Le lendemain de cet entretien, Aboudjerra Soltani donne une conférence de presse. Il affirme aux journalistes qu’il est à la fois le pouvoir et l’opposition. Nous nous sommes habitués à ses sorties ubuesques. Nous ignorions par contre qu’il possédait le don d’ubiquité. Conclusion : pour survivre, Aboudjerra Soltani a fait comme les microbes. Il s’est divisé.

A. R.

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