Le Noual, une tradition ancestrale

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Sur les hauteurs des Ath Zmenzer, à plus de 700 m d’altitude, se trouve Ath Anane, un village d’où l’on domine par une vue imprenable toutes les plaines et collines avoisinantes. D’en haut, on voit d’un nouvel angle Tizi Ouzou, Boukhalfa, Imezdathen, Ivethrounen, Maâtkas, Souk El-Tenine, Aït Abdelmoumène… Le tableau est des plus pittoresques ponctué, au loin, par le majestueux et imposant Djurdjura. Pour les habitants de ce village, le plus important de la commune en superficie et en nombre de population avec ses 5 000 âmes, la préservation des valeurs et legs des aïeux n’est pas un vain mot. C’est le cas de la fête de Noual célébrée en l’honneur des Saints gardiens des lieux depuis des temps immémoriaux.

C’est un rite que les habitants d’Ath Anane perpétuent chaque année. La visite que nous avons effectuée récemment à l’occasion de ce rendez-vous annuel renseigne sur l’état d’esprit qui règne au sein des villageois par rapport à l’évènement et combien la volonté, l’enthousiasme et l’engagement sont de mise pour sa réussite. Au pied du village qu’on peut rallier en peu de temps à partir du chef-lieu de la commune Alma, des jeunes sont aux petits soins avec les visiteurs qu’ils veillent à bien orienter. Ils s’attellent aussi à éviter tout anicroche qui peut altérer l’organisation, comme c’est le cas pour la circulation automobile. «Bienvenue.

Garez votre voiture ici et continuez à pied. C’est pour ne pas créer des embouteillages plus haut», dira le jeune chargé de la régulation de la circulation et qui ne laisse passer que les véhicules transportant les personnes âgées qui ne peuvent supporter la pente qui mène au milieu du village au bout de la montée. «Les préparatifs commencent bien avant le jour J. Des réunions sont tenues et les tâches distribuées, rien n’est laissé au hasard. C’est une vieille habitude héritée de nos aïeux. Tout le monde est de la partie, notamment les jeunes.

Les sages sont aussi mobilisés des jours à l’avance pour tenir le rôle qui est le leur, à savoir recevoir les visiteurs, réciter le Saint Coran, recueillir les offrandes et réciter la Fatiha. L’accueil, l’organisation, ça nous tient beaucoup à cœur. Nous avons une réputation établie depuis des siècles à défendre», dira Aouaneche Saïd, vice-président du comité de village, entouré de ses collaborateurs qui veillent également au grain.

Les sages sont aussi mobilisés des jours à l’avance pour tenir le rôle qui est le leur, à savoir recevoir les visiteurs, réciter le Saint Coran, recueillir les offrandes et réciter la Fatiha. L’accueil, l’organisation, ça nous tient beaucoup à cœur. Nous avons une réputation établie depuis des siècles à défendre», dira Aouaneche Saïd, vice-président du comité de village, entouré de ses collaborateurs qui veillent également au grain.

Là-haut, à Ldjemaâ Oufella

Avec l’hospitalité légendaire connue des gens des montagnes, les organisateurs invitent à une visite des lieux où se tient le Noual. Ce dernier est célébré sur deux sites, deux mosquées, Ldjammaa oufela (la mosquée d’en haut) qui culmine au sommet du village et L’djammaa bouadda (la mosquée d’en bas). Les deux endroits sont juste séparés par quelques maisons, entre modernes et anciennes, dont une sorte de «cénacle», une maison assez spacieuse, bâtie à l’ancienne, laissée ouverte (sans porte) et dotée de tribunes qui servent d’espace pour les réunions et assemblées générales du village et se rejoignent par de ruelles typiques aux villages kabyles.

Le mausolée se trouvant en haut appelé «Thazrouts», «du nom d’une Sainte femme, sert pour les besoins de restauration, lieux d’offrandes», explique-t-on. Erigé avec un style connu aux mausolées de Kabylie, il est aménagé de sorte à avoir une cuisine et deux salles de restauration, dont celle de l’étage supérieur qui est réservée aux femmes. Lors de notre passage, le hall était occupé par un groupe de vieux du village qui psalmodiaient des versets du Coran et entonnaient des chants religieux du célèbre Mokrane Agaoua. C’est à leur niveau que les offrandes (sadaka et louadha) se font, suivies de la Fatiha à l’égard des bienfaiteurs.

Des youyous fusaient aussi des groupes de femmes, nombreuses dans cet endroit. Plus bas, c’est le mausolée appelé Sidi Ahmed Ouamar, «un autre Saint qui fait aussi partie de notre patrimoine vénéré», disent encore nos guides du jour. À ce niveau se trouve une mosquée où sont pratiquées les prières au quotidien et quelques pièces adjacentes qui servent aussi de cuisine et de salles de restauration. Là aussi, On trouve également un coin réservé où se tient un groupe de vieux sages pour les mêmes motifs et la même mission qu’à l’endroit cité plus haut.

Aux environs de midi, tout le monde est invité à une succulente «waâda » à base d’un couscous servi à la traditionnelle, c’est-à-dire à même le sol dans une grande terrine commune que des jeunes se chargeaient d’alimenter et veillaient à ce qu’elle ne désemplisse pas. Les morceaux de viande sont également pris dans des paniers de vannerie, exactement comme dans les fêtes d’antan dans les villages kabyles. A ce moment de la journée, l’affluence des visiteurs était déjà grande, notamment de la gent féminine, signe de toute la vénération manifestée pour les lieux, dont les Saints gardiens des lieux sont réputés et cités dans l’histoire de la région pour tout le bien qu’ils ont semé le long de leur existence.

«Thazrouts et Sidi Ahmed Ouamar étaient des salihines, deux personnages très respectés à leur époque. Ils étaient sollicités de partout pour leur sagesse, leur humanisme et leurs facultés de régler des conflits. Ils recevaient les démunis, leur offraient gite et nourriture, d’où le respect et la vénération que leur témoignent les populations de tous les environs”.

Le rituel perpétué à travers les années

“Nous avons également beaucoup d’autres Saints dont les mausolées sont situés en dehors du village, dans les champs et maquis avoisinants et dont nous avons interrompu la célébration à cause de la décennie noire. Mais que nous allons reprendre incessamment. Dans les coutumes ancestrales du village et juste après ce Noual, on célèbre un autre évènement : Thimechret (appelée aussi thawzath). Cela se fait à Harthadhem, période du calendrier agraire qui coïncide avec la mi octobre dans le calendrier grégorien.

Ce rite intervient au tout début du coup d’envoi de la saison agricole et de la campagne oléicole. Il s’agit d’invoquer les Saints pour faire abonder la Çava (fertilité et abondance de l’année agricole). Pour couvrir l’ensemble du village, nous sacrifions de 4 à 5 bêtes, des bœufs en général afin d’avoir suffisamment de viande. Car, chez nous nous avons une coutume qui est celle de réserver une part à chaque personne de passage dans le village. A titre d’exemple, sont intégrés dans le compte tout proche d’une famille, beau-frère, belle-sœur, des neveux maternels, un gendre… qui se trouve au village le jour du sacrifice. De même que des parts sont attribuées aux étrangers qui travaillent dans le village», raconte-t-on.

Vu le nombre important des habitants et pour désengorger le centre du village, «thimechret est tenue le même jour, mais sur deux sites différents, la placette Si Moh Oudahman, et Djemma n’Ahmed Ameziane à Iguelfane, » explique notre interlocuteur. C’est une tradition qui contribue beaucoup pour la consolidation et le renforcement des liens entre les membres de la communauté. D’ailleurs, c’est l’occasion exploitée durant le rite Lkesva (sorte de baptême) qui consiste en l’intégration dans Tajmaat d’un enfant pour la première fois», expliquent nos hôtes. Comme pour le financement du Noual, nos vaillants villageois organisent, sous l’égide du comité de village et des Tamen, une journée de collecte de fonds et des dons sont faits. «Il n’y a pas de cotisations obligatoires.

Chaque personne est libre d’offrir ce qu’elle peut. Certains offrent de l’argent, d’autres prennent en charge des denrées alimentaires, fruits, légumes et la semoule pour le couscous que les familles se chargent rouler. Certains des nôtres proposent tout bonnement d’offrir les bêtes à sacrifier. Le comité de village contribue bien sûr en comblant la somme qui peut éventuellement manquer. Ce qui n’arrive que rarement bien sûr», apprend-on. Ce qui est aussi utile à signaler à l’occasion de la tenue de ce Noual, ce sont les retombées économiques que cela charrie, l’espace de cette seule journée. L’activité commerciale relative à la vente des bijoux et autres produits fabriqués par les femmes, fortement présentes à l’occasion, explose ce jour-là. Des enfants aussi en profitent pour proposer divers produits de consommation, gâteaux, fruits de saison, comme la grenade, de l’eau…, une aubaine pour se faire un peu «d’argent de poche».

Rabah A.

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