Rien n’est donné. Tout est construit

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Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. Accéder à la science, c’est spirituellement rajeunir, c’est accepter une mutation qui doit contredire un passé.

La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion, de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit les besoins en connaissance. En désignant les objets par leur utilité elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion. : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant comme une sorte de morale provisoire une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et qui qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit.

Gaston Bachelard (1884-1962) .

in Le Nouvel esprit scientifique

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