Quand les associations prennent les choses en main !

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Il est prévu d’éradiquer l’analphabétisme, notamment chez la population âgée de 15 à 24 ans, d’ici 2015. Ce sont-là les données avancées par l’Office national des Statistiques qui a omis de préciser les spécificités géographiques des différents programmes d’alphabétisation qui ont touché le pays, depuis l’indépendance.

En effet, s’il y a encore une fois une région qui a été oubliée, c’est bien la Kabylie et en particulier la wilaya de Tizi-Ouzou. Le taux d’analphabètes que recèle la région, notamment chez les adultes et les jeunes exclus du système éducatif national, défie toute personne, Qui aurait jugé que la région n’a jamais eu besoin de résoudre son problème d’analphabétisme. Il est évident qu’une population analphabète ne puisse prétendre un jour résoudre le moindre problème, ni faire avancer sa région quelle que soit sa volonté.

L’abandon dont souffre Tizi-Ouzou dans ce domaine est mal vécu par la population. On se demande pourquoi, on la prive de ses droits les plus élémentaires, alors que l’on permet à d’autres d’y avoir accès sans même l’avoir demandé. Sur quelle base juge-t-on que les analphabètes de la wilaya de Tizi-Ouzou ne veulent pas aller au-delà de leurs limites pour éradiquer l’analphabétisme. Qui a demandé leur avis ? Aucune réponse pour toutes ces interrogations. En attendant, on regarde avec envie les autres.

Ceux-là même qui ont eu le choix dans d’autres régions.

Pour Na Ouiza, 76 ans : « Ma sœur qui n’a pas eu la chance d’aller à l’école comme moi parce que notre oncle qui a pris en charge notre éducation, suite à la mort de nos parents, a décidé que l’école n’était pas conçue pour les filles et encore moins pour nous qui étions une charge pour lui.

Alors que bon nombre de nos voisines, même si elles se comptent aussi sur les doigts de la main, ont fréquenté l’école pour quelques années ; nous sommes restées à la maison et n’avons appris que la meilleure façon de traire les vaches et de nettoyer les écuries.

La vie a fait que chacune de nous deux soyons mariées à des jeunes gens de notre village. Ma sœur a eu la chance de partir sur Alger où elle vit toujours d’ailleurs. A la fin des années 90, elle m’a annoncé qu’elle s’était inscrite à l’école pour apprendre à lire et à écrire. Elle devait fréquenter l’école primaire de son quartier avec bon nombre de ses voisines.

Cela m’a fait rire au départ mais j’ai vite compris la chance qu’avait ma sœur de ne pas vivre isolée comme nous ». Na Ouiza aurait bien voulu avoir la possibilité de choisir comme sa sœur mais aucun choix ne s’est présenté à elle pour rattraper les erreurs d’un oncle aux idées archaïques et révolues. Elle envie bien sa sœur surtout quand elle voit qu’elle est arrivée à lire et à écrire, même dans une seule langue. La sœur à Nna Ouiza peut même lire le journal alors que le seul accès à l’information de Nna Ouiza consiste dans la brève traduction que lui font ses enfants, souvent agacés, des informations du journal télévisé du soir. Si Nna Ouiza n’a jamais été à l’école, Saâdia, elle, a fréquenté l’école jusqu’à l’âge de 10 ans et a dû quitter ses bancs en raison de son état de santé, jugés contraignant selon ses parents. Le rachitisme privait Saâdia des « grands » déplacements. Atteindre l’école primaire, à quelques centaines de mètres pourtant de la maison, était un supplice pour elle. Ses parents, au lieu de réfléchir à une solution pour leur fille, ont opté pour la facilité. Arrêter l’école était la solution la moins contraignante pour eux mais pas pour leur fille.

Mais ça, ils n’ont même pas cherché à le savoir selon elle.

Pour Saâdia, qui a maintenant 49 ans, et qui regrette d’avoir fini comme femme de ménage dans une école primaire de son village : « J’aurai pu finir ma scolarité. J’aurai pu me débrouiller dans les administrations si on avait la possibilité de bénéficier des différents programmes d’alphabétisation qui ont touché d’autres régions. Ma tante qui habite le Sud du pays en a bénéficié. Elle n’a plus besoin de l’aide de qui que ce soit pour régler ses problèmes administratifs. Moi j’ai toujours besoin que quelqu’un me lise ou me remplisse des formulaires et autres papiers.

En général c’est ma fille de 16 ans qui le fait à ma place alors que j’aurais pu être un exemple pour elle ». Saâdia est déçue de ne pas pouvoir arranger sa situation. Du côté des hommes, on est plus pudiques pour raconter son regret d’avoir « raté le train », notamment chez les plus jeunes.

Ceux-là même qui n’ont pas pu s’accrocher ou qui n’étaient pas conscient de la nécessité de le faire. Chez les plus vieux, on évoque les difficultés de la vie d’antan et les obligations qu’ils avaient envers leurs familles dont ils étaient souvent responsables. Mais les générations sont unanimes. Si la possibilité leur est offerte, ils n’hésiteraient pas une seconde de reprendre les bancs de l’école.

C’est le cas de Dda Hcène, 79 ans, retraité : « Je serai peut être la risée de mes amis et même de mes propres petits-enfants mais je suis prêt à prendre un cartable et aller à l’école comme un enfant. Je ne sais ni lire ni écrire. Le peu de français que j’ai appris à parler c’est grâce aux longues années où j’ai travaillé en France. Mais je ne sais pas encore déchiffrer une lettre. Je dois attendre que quelqu’un me lise le journal. Généralement je dois attendre le retour de mon petit-fils de l’Université, le soir. Dommage que je ne puisse pas réaliser ce rêve ».

Des associations pour combler le vide

Homme ou femme, jeune ou vieux, le jugement est le même. Si la chance leur a été offerte, ils n’auront pas réfléchi à deux fois. Ce serait oui pour l’école quel que soit son âge. Seulement aucune possibilité ne s’est présentée à la population de la wilaya de Tizi-Ouzou. Hormis quelques tentatives du mouvement associatif, aucune initiative en vue de réduire le taux d’analphabètes, quelle que soit sa tranche d’âge, n’a été prise.

Et les associations à avoir pris les choses en main se comptent sur les doigts d’une main. Elles sont plus exactement deux à activer dans ce sens sans aucune aide ni soutien. Elles ont juste décidé qu’il fallait faire le pas. Il s’agit des associations « Amusnaw » et « Un cœur sur la main ». En plus de la formation qu’elles prodiguent, notamment pour les femmes en difficultés, ces associations se sont tracés l’objectif de résoudre le problème de l’analphabétisation, notamment des femmes et des enfants de mères célibataires qui atterrissent chez elles pour une quelconque aide. Seulement si nous avons pu nous mettre en contact avec la première association, « Un cœur sur la main » reste « introuvable ».

D’adresse en adresse, nous n’avons pu joindre les responsables de cette association pour plus d’éclaircissements. Concernant ses activités, notamment dans le domaine de la formation et de l’alphabétisation. « Amusnaw « , quant à elle, a eu l’idée d’introduire l’alphabétisation dans la liste de ses activités, par la force des choses. A force de recevoir des personnes, notamment parmi la gent féminine, qui ne savent ni lire ni écrire en plus des nombreuses difficultés sociales qui les ont menées à l’association, l’idée s’est installée toute seule. On ne peut pas former une personne et prétendre lui offrir un métier si elle ne sait même pas lire et écrire. Pour une meilleure insertion sociale, tous les ingrédients sont, donc, réunis.

Les enfants des mères célibataires, ils sont une vingtaine à fréquenter les boancs des classes conçues à l’alphabétisation au niveau du siège de l’association. Pour protéger leur intégrité et leur innocence, ils ne sont pas mêlés aux enfants souffrant de difficultés scolaires, qui trouvent également de l’aide au niveau de l’association. Parmi ces derniers, des enfants de familles démunies qui ne peuvent assurer des cours de soutien payants. Ils sont une quarantaine à bénéficier de cette aide dans toutes les matières. Les enseignants sont des bénévoles, entre psychologues et assistantes de la cellule d’écoute de l’association. Ils sont cinq au total.

Les manuels sont les mêmes que les différents paliers du programme de l’éducation national. Une convention avec le ministère de l’Education nationale serait en cours, selon une assistante rencontrée au siège de l’association, en vue de suivre l’éducation des enfants des mères célibataires une fois leur situation légale et administratives réglée. En effet, une fois la situation de l’enfant résolue, il est contraint de refaire le chemin à partir de la première année du primaire quel que soit son âge et son niveau. L’association est en train de négocier pour que l’enfant puisse rejoindre la classe correspondante à son niveau, se basant sur ce qu’il a pu acquérir comme connaissances dès sa première formation au niveau de l’association.

Ce n’est pas une tâche facile, vu la barre que se sont dressés les pouvoir publics concernant l’éducation nationale et vu les moyens dont disposent les associations pour pouvoir « scolariser » ces enfants en difficultés à leur niveau. Les autorités concernées doivent aider ces associations à bien mener leur mission dans les meilleures conditions possibles en leur offrant l’encadrement et le soutien nécessaires. Ceci concernant les enfants des mères célibataires. Celles-ci sont également nombreuses à postuler pour se débarrasser de cet obstacle qui leur entrave l’accès à l’emploi et aux nombreux avantages vitaux leur permettant de vivre dignement et de subvenir aux besoins de leur progénitures.

Elles sont nombreuses aussi à ignorer l’importance de l’alphabétisation et à s’inscrire dans la liste des absents. C’est malheureusement le cas de nombreuses femmes qui font d’ailleurs le désespoir des responsables de l’association. Même si elles n’affichent pas la volonté de s’en sortir en refusant, elles sont orientées vers le marché du travail sans aucune qualification ni instruction. Cela marche pour certaines et cela casse pour d’autres. D’autres tentatives et aides sont conçues pour ces dernières.

…La formation aussi !

Des exemples de femmes qui ont réussie sont heureusement là pour perpétuer les efforts et initiatives. Des jeunes filles qui ne savent même pas écrire leur nom et prénom, se débrouillent pour postuler à des entretiens d’embauches avec l’assurance d’un diplômé universitaire. Des années d’efforts, une attestation en main et l’avenir est devant soi. Les associations, en plus de l’analphabétisme qu’ils se tracent d’éliminer au plus vite, se fixent également l’objectif d’offrir des métiers aux femmes en difficultés. Il faut dire que sans le niveau requis, on n’a pas toujours accès à la formation, sans compter les nombreux concours organisés dans ce sens.

Le bénévolat est également de mise dans ce domaine. Quelque 250 personnes, pour la plupart des femmes ont déjà bénéficié de la palette de formation qu’offre Amusnaw depuis sa création, en 2004. Bureautique, Photoshop, montage vidéo, Internet, comptabilité et couture, sont les formations inscrites sur la liste de la médiathèque conçue entre autre pour prendre en charge la formation des personnes en difficultés, souvent décelée grâce à la cellule d’écoute de l’association. Le programme est — depuis récemment — élargi pour les artisans et artisanes de la wilaya de Tizi-Ouzou. C’est au premier Salon national de l’artisan qui s’est tenu du 22 au 27 avril dernier que l’annonce a été faite. Tout artisan désirant bénéficier d’une formation dans les domaines suscités voit dorénavant ses vœux exhaussés.

Ils sont plus de 70 artisans à avoir entamé une formation, pour la première session du programme qui a commencé le 1er avril dernier. La durée de la formation compte peu pour les responsables de l’association. Prenant compte du niveau d’instruction de tout un chacun, le candidat n’obtiendra l’attestation qu’à la maîtrise totale de sa formation. Celle-ci est généralement choisie en fonction des besoins des artisans. Un exemple à prendre.

Les gens ont besoin d’aide et de guide. L’initiative devrait s’élargir à d’autres associations. Une invitation est, donc, lancée. Cet apprentissage leur permettra, en plus de leur métier, d’assurer la gestion de leur petite affaire en termes de comptabilité et de gestion.

Les jeunes gens rencontrés sur place avaient l’air ravi. Ayant pour la plupart un niveau d’instruction limité, ils sont heureux de pouvoir accéder à des formations dont ils ne pouvaient rêver auparavant.

« Je suis couturière. Je me suis inscrite en initiation informatique pour le moment. je prévois de suivre une formation en Internet une fois cette dernière finie. L’informatique était un domaine que je ne connaissais guère. Je n’osais pas toucher un ordinateur avant d’entamer ma formation.

Maintenant je rêve d’apprendre plus en informatique jusqu’à en maîtriser tous les volets. Je fais déjà mes propres comptes sur ordinateur. Je sais faire une facture.

Et c’est tant mieux ! », nous raconte une jeune fille, candidate à la formation. Elles sont nombreuses à s’être transformées depuis qu’elles suivent cette formation. Il y en a même qui veulent se convertir ! D’autres trouvent une issue professionnelle si jamais leur métier ne pourrait un jour leur assurer l’avenir. Une possibilité de plus qui ne serait pas de refus. En parlant de gestion, pour les personnes voulant créer leurs propres entreprises, l’association s’engage à les aider dans le choix de l’activité, les différentes démarches à suivre auprès des organismes étatiques de création d’entreprise et même en termes financiers pour l’apport personnel. Le tout, bien entendu, selon les moyens de l’association et la situation de la personne.

…En attendant que Tizi soit concernée

L’Algérie va consacrer neuf (9) milliards de centimes pour financer un programme d’alphabétisation des adultes.cela a été annoncé, en fevrier 2008 par Boubekeur Benbouzid, ministre de l’Education, lors de l’installation du conseil d’orientation de l’Office national d’alphabétisation et de l’enseignement des adultes au sein de son département ministériel. il s’agit d’un plan d’action projeté sur 10 ans (2007-2016).

Elle vise, d’après le représentant du gouvernement, l’éradication du phénomène de l’analphabétisation auprès de

6 400 000 personnes en Algérie. Le principe de l’élargissement de la responsabilité de la lutte contre l’analphabétisation à tous les secteurs concernés de l’Etat et à toute la société civile et la consécration du recours à toutes les structures d’accueil relevant de l’Etat et susceptibles d’abriter des activités d’alphabétisation, pouvait-on lire sur la presse.

« Le conseil d’orientation que je viens d’installer aujourd’hui, c’est un nouveau décret qui fait donc des organisations non gouvernementales des partenaires à plein temps et à part entière », avait insisté le ministre. Si ces chiffres sont ambitieux il y a lieu de s’interroger sur la population concernée par ce nouveau programme. la deception serait grande si une fois encore Tizi-ouzou est écartée.

Samia A.B.

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