Un discret patriote raconte la mission d’un «Moussebel»

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Mohamed Guerchouche dit «Moh Ouguerchouh» fait partie des premiers chargés d’assurer la sécurité des moudjahidine, la transmission des renseignements et l’acheminement des ravitaillements, dès le déclenchement de la guerre de Libération nationale, en 1954.

En effet, le goût du combat libérateur rattrape ce discret combattant tout au début de l’insurrection armée, durant laquelle il a joué son rôle avec diligence et fidélité. Pour rappel, Mohamed Guerchouche naquit en 1939 à Abizar, le plus grand village de la circonscription de Timizart, au nord-est de Tizi-Ouzou. Village où il mène une vie paisible auprès des siens, après avoir servi sa patrie des années durant, et ce dès le début de la lutte armée. Après son départ à la retraite, en 1997, il consacre son temps libre à la lecture. Au cours de la visite qu’on lui a rendue, il a fait part de quelques détails non moins importants à propos de la guerre de Libération.

Engagement dans une équipe de Moussebline

Tout comme dans les différentes régions du pays, à Abizar, la guerre avait commencé, le 1er novembre 1954. En signe d’adhésion au passage à l’action armée, un groupe de moudjahidine avait été envoyé pour mettre le feu à un immense dépôt de liège amoncelé par les colons à Azazga. Ce groupe était composé de : Ben Amar Mohamed dit «Houali», Assameur Boudjemaa dit «Boudjemaa l’Hadj Moh Nehand», Belkacem At Batta dit «Belkacem Oubata», Hend Moh Ouali, Moh Oukaci n’Said Kaci, Moh Arezki n’Amar n’M’hand, ainsi que les deux fils de l’Hadj Moh Ouamar, Hend Ouladj et l’Hadj Amechtouh, Bessi (Takorabt) et Ouachour Moh Ousaid. A noter qu’au fur et à mesure que la lutte armée s’intensifiait, d’autres combattants regagnaient peu à peu le maquis.

En parallèle, des troupes de Moussebeline pour assurer la protection des combattants et la transmission des renseignements ainsi que l’approvisionnement des villages en denrées alimentaires, entre autres, ont été créés. «J’ai fait partie d’une équipe de Moussebline, où j’étais chargé de la collecte des cotisations. Aussi, d’autres Moussebline m’envoyaient des ravitaillements à partir d’Ouaguenoun (commune limitrophe), dont une partie est répartie équitablement dans notre village, alors que l’autre est vite transmise à dos de meules à Imessounène, village relevant aujourd’hui de la commune d’Iflissen El B’har. De temps en temps, ce travail pénible et hautement risqué se faisait la nuit.

Les moudjahidine nous avaient chargés également d’effectuer des actes de sabotage, comme le creusement des routes pour entraver la circulation des convois militaires de l’armée coloniale. Ils nous a ainsi été confiée la dure mission de veiller à leur sécurité, lorsqu’ils tenaient des réunions dans tel ou tel abri dans les environs. Il faut savoir que la maison de l’Hadj Saïd Mehalla, par exemple, était l’un des refuges presque permanents, où les combattants de l’Armée de libération nationale (ALN) trouvaient quiétude et sécurité, lors de leurs réunions secrètes», dira Moh Ouguerchouh. Et de poursuivre : «C’est Hasni Outhemrane (de son vrai nom Mehalla, née Massout Hasni, encore en vie), une digne combattante, et son équipe, qui veillaient à ce que les rencontres se déroulent loin de tout danger. Étant un lieu à la fois sûr et difficilement repérable, cet abri était prisé par les moudjahidine.»

Capture, emprisonnement, sévices et tortures

Daa Moh Ouguerchouh poursuivra sans rupture les missions qu’on lui confia jusqu’à sa capture par les forces armées coloniales, au début de l’année 1959. «Le 25 février 1959, les soldats français ont découvert mon appartenance aux groupes de Moussebline et m’ont emmené alors en prison, après un court séjour au camp militaire d’At Malek, sis au centre d’Abizar. Les militaires français avaient tendu une embuscade à quelques pas de notre maison. Dès que ma mère a ouvert la porte, ils ont tiré des coups de feu pour signifier que toute tentative de fuite était inutile. Quelques minutes plus tard, ils ont investi notre demeure. D’ailleurs, jusqu’à présent, je porte les traces du coup de crosse de la carabine du lieutenant français. En route, à destination du camp d’At Malek, je découvre amèrement qu’on a capturé même mon compagnon Mohamed Ifires dit «Moh Koro» tenant un cheval.

Après trois ou quatre jours de multiples sévices et tortures, au camp d’At Malek, on m’a emmené à la prison de Tigzirt, où on m’a jeté dans une cellule. Construite par les prisonniers, cette prison est transformée, aujourd’hui, en Centre de formation professionnelle. Quelque temps après, on m’a transféré vers la prison de Tizi-Ouzou, où j’ai passé quatre mois. On m’emmena encore une fois à la prison de Tigzirt que j’ai quittée une bonne fois pour toutes à la fin de l’année 1960, après le passage sur les lieux du général De Gaule, qui ordonna notre libération immédiate. Il faut savoir aussi que la majorité des prisonniers étaient mineurs. Je me rappelle qu’on nous libéra, un certain mercredi. L’autocar qui nous transportait vers Tizi-Ouzou était plein à craquer. Après ce long trimbalement de prison en prison, j’étais définitivement expulsé de la Kabylie. Je n’avais d’autre choix que de regagner Alger, où j’ai repris mes activités, au sein d’un groupe de Moussebline, jusqu’au cessez-le-feu.»

Accrochage entre moudjahidine et soldats français à Bougdama

Mohamed Guerchouche fait également part du violent accrochage entre les moudjahidine et les soldats de l’armée française, au lieudit «Bougdama», en février 1956, faisant autant de pertes humaines dans les deux camps. «En février 1956, un terrible accrochage a eu lieu à Bougdama entre les maquisards et les soldats de l’armée française. Hormis leur adjudant, seize moudjahidine sont tombés au champ d’honneur, ce jour-là. Autant de soldats français ont également trouvé la mort. On ignore les noms des maquisards parce qu’ils sont issus de parties lointaines du pays. «Je retiens seulement deux noms : l’un était originaire de Tikoubaine, commune d’Ouaguenoun, et s’appelait Amar Ouslimane, l’autre s’appelait Ahmed Akrouf, originaire d’Afir (Boudjima). On les a enterrés sur place. Après l’indépendance, on a transféré leurs ossements au cimetière d’Agouni Boussouel, où reposent en paix plusieurs autres chouhada», se rappelle-t-il, très ému.

Djemaa T.

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