La grande arnaque des spéculateurs

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Même si la wilaya de Bouira est classée parmi les premiers producteurs de pomme de terre à l’échelle nationale, cette distinction ne se reflète pas sur les prix du tubercule qui ne cessent d’augmenter.

La récolte de la pomme de terre d’arrière-saison bat actuellement son plein aussi bien sur les terrains fertiles du plateau d’El Esnam que dans la plaine des Arribs, dans la région d’Aïn Bessem. Des superficies immenses sont ainsi travaillées par des centaines d’ouvriers saisonniers venus pour la plupart des wilayas de l’Ouest du pays. Dès les premières heures de la matinée et sous des températures très basses, des jeunes et moins jeunes courbent l’échine en ramassant des pommes de terre qu’ils entassent dans des sacs de 50 kg. À El-Esnam, dans une exploitation privée, pas moins de 28 ouvriers sont employés pour ramasser des patates. Selon l’exploitant qui requiert l’anonymat, ces saisonniers sont tous originaires de Mostaganem et d’Aïn Témouchent. «La main-d’œuvre locale se fait de plus en plus rare et coûte très chère. Ce sont pour la plupart des habitués qui reviennent chaque année ici durant la récolte d’arrière-saison, et parmi eux il y a même des étudiants à l’université qui viennent se faire un peu d’argent de poche», déclare cet exploitant. À ses dires, les ouvriers agricoles sont rémunérés au sac de patates récolté, en plus du gite et du couvert qui leurs sont assurés : «Nous payons nos ouvriers à 50 000 DA le mois, d’autres saisonniers sont rémunérés à hauteur de 100 DA le filet de pomme de terre récolté. Ces frais s’ajoutent à d’autres dépenses incontournables. Pour l’exploitation d’un hectare, nous déboursons 1 000 000 DA entre les frais de location, l’achat des semences, la manutention et autres». Il faut dire que même si la récolte est qualifiée de satisfaisante, les producteurs de pomme de terre sont mécontents car en cette période d’arrière-saison, ils dénoncent les prix imposés par les marchés de gros des fruits et légumes. «La pomme de terre se vend entre 16 et 22 DA/kg sur les champs. Ce sont les marchés de gros de Souk Lekhmiss et de Chelghoum Laid qui fixent les prix et au vu de cette tarification, cela couvre à peine nos investissements», déplore un producteur qui souligne que la vente de la récolte n’est pas une mince affaire, d’autant plus que les cours de la pomme de terre varient d’une journée à une autre. «Aujourd’hui, nous avons deux camions qui viennent d’embarquer leur chargement de pomme de terre à raison de 21 DA/ le kilo, mais hier, nous l’avions cédé à 19 DA. Ces prix sont décidés par les grossistes. Nous, nous ne faisons que nous conformer au marché», soulignera notre interlocuteur, expliquant qu’uniquement pour l’acquisition de la semence de tubercule de qualité, il doit débourser pas moins de 150 DA/ le kilo, sans parler du traitement du terrain avec de l’engrais soluble et vitaminé chaque 15 jours. Par ailleurs, il fera savoir que près de 30 millions de centimes sont à prévoir pour le traitement contre le mildiou, la teigne, les acariens…

Les agriculteurs se sentent floués

Ainsi et avec l’ensemble de ces dépenses, la pomme de terre est, pour ainsi dire, bradée aux alentours de 20 DA/ le kilo. Mais comment se fait-il qu’elle est affichée entre 45 et 55 DA/ le kilo sur les étals, et ce à quelques centaines de mètres d’où elle est cultivée ? Là encore, les spéculateurs sont montrés du doigt pour expliquer cet écart de prix qui n’est certainement pas dû aux frais de transport. D’autant plus que l’année dernière, les services de la DSA avaient affirmé que la production de pomme de terre augmentera encore avec l’aménagement du périmètre irrigué, et que le prix de revient de cette production sera à moindre coût avec l’installation de bornes et de vannes. Si pour la mise en service du périmètre irrigué, c’est chose faite, force est de constater que le challenge n’est pas relevé en matière de baisse du prix de ce tubercule. Cependant, les explications fournies par des commerçants de Bouira peuvent être plausibles, du fait que la pomme de terre vendue à Bouira ne provient pas d’exploitations agricoles de la région. «Nous nous approvisionnons sur le marché de gros du chef-lieu de wilaya, mais sur ce marché, la pomme de terre proposée provient d’Aïn Defla, de Mascara et du Sud du pays. Il est quasiment impossible de trouver les patates produites à Bouira», explique-t-on. De ce fait, la cherté des tubercules serait due aux frais de transports, notamment avec les dernières augmentations du prix du carburant effectuées en début d’année.

Pour la création d’un office interprofessionnel

Pour M. Boudhane, producteur et président de l’association des maraichers de la wilaya de Bouira, il est regrettable de constater un manque de régulation du marché de la pomme de terre. Il pointe du doigt le système de régulation des produits agricoles de large consommation (Syrpalac), destiné au stockage du surplus de production, pour éviter que les prix s’effondrent. Depuis plusieurs années déjà les producteurs de pomme de terre exigent la création d’un office interprofessionnel afin de ne plus s’occuper de la vente de leurs produits. Un office qui peut être calqué sur le modèle de l’OAIC des céréales. «Nous avons mieux à faire que d’aller vendre nos patates au kilo sur les marchés. Il faut nous laisser dans notre rôle de producteurs», soutient M. Boudhane qui affirme qu’une troisième récolte de pomme de terre par an est envisageable. «Actuellement, nous faisons deux récoltes de pomme de terre par année et nous sommes en train de faire des tentatives pour créer une troisième récolte, chose inimaginable auparavant mais réalisable avec le périmètre irrigué», avance M. Boudhane. En effet, «la première saison est celle de la récolte du mois de juin, semée en janvier, la seconde récolte s’effectue en septembre avec les semis du mois de mai et une troisième serait possible avec l’ensemencement au mois d’août et une récolte au mois de décembre», selon notre interlocuteur.

Un rendement avoisinant les 300 quintaux à l’hectare

En cette arrière-saison, nous apprendrons que le rendement est de l’ordre de 300 quintaux à l’hectare. Toutefois, et selon des producteurs exploitants dans ce secteur, il arrive parfois que ce chiffre soit dépassé pour atteindre les 350, voire 400 quintaux par hectare, vu la qualité produite, surtout si les semis de pomme de terre succèdent à une récolte de céréales. Une production jugée néanmoins insuffisante par le ministre de l’Agriculture, du Développement Rural et de la Pêche, lors de sa dernière visite à Bouira. Le premier responsable du secteur avait alors insisté pour accroître ce rendement au vu des immenses superficies exploitées et irriguées. Ce rendement jugé «appréciable» par les producteurs dans ces plaines fertiles, demeure en effet en deçà des normes mondiales, où le rendement à l’hectare est évalué à 17 tonnes et se situerait entre 40 et 50 tonnes dans les pays développés d’Europe et d’Amérique du Nord. Selon les statistiques du ministère de l’Agriculture, «l’Algérie commence à s’imposer sur le marché international avec une production moyenne annuelle de 4,5 millions de tonnes (mt), et les prévisions du secteur tablent sur une augmentation de la production de ce tubercule de 2 millions de tonnes d’ici à 2019». Autant dire que l’Algérie commence à devenir un véritable gros producteur de pommes de terre.

Bouira toujours pas dotée d’unité de transformation ni de stockage

La wilaya de Bouira, malgré sa production régulière de pomme de terre, ne dispose toujours pas d’unité de transformation pour ce tubercule. Aucun n’investisseur n’a pour le moment jeté son dévolu sur ce créneau alors que les potentialités dans le domaine sont immenses et demeurent inexploitées. En effet, il n’y a aucune unité de conditionnement ni même de stockage, ce qui oblige les producteurs de stocker leurs récoltes dans d’autres wilayas du pays, engendrant par la même des surcoûts élevés. Cependant, en cette récolte d’arrière-saison, de nombreux producteurs contournent le stockage dans les chambres froides et ont recours à de simples hangars pour stocker les tubercules, car les températures très basses en ce moment de l’hiver permettent de stocker la pomme de terre à moindres frais. Il faut dire toutefois que l’accroissement des superficies destinées à la culture de la pomme de terre ainsi que la hausse de la production met à jour un grand déficit dans la gestion de la chaîne logistique, notamment en ce qui concerne le stockage et le conditionnement. Des projets incontournables pour structurer l’offre et s’inscrire dans l’exportation durable et à long terme.

La pomme de terre de Bouira suscite l’intérêt à l’étranger

D’ailleurs à ce sujet, certains producteurs affirment que «la pomme de terre algérienne suscite la curiosité de quelques importateurs», c’est le cas pour la Hollande, la Russie et des pays du Golf. «La pomme de terre de Bouira a su convaincre des importateurs et des spécialistes qui ont découvert notre production. Nous sommes convaincus d’avoir les potentialités d’exporter la pomme de terre à l’étranger en respectant les normes internationales. D’ailleurs, nous avons envoyé de petites quantités à Dubaï et les Émiratis se sont montrés très intéressés par l’échantillon algérien. L’année dernière, des Espagnols ont montré un vif intérêt également à nos patates, de même que pour les Russes. C’est l’occasion pour nos opérateurs économiques de se positionner sur ce marché mondiale et ils gagneraient à participer à l’écoulement de notre marchandise vers l’exportation. Il en va de l’intérêt économique de notre pays en ces temps où les mesures d’austérité frappent plusieurs secteurs», estime Boudhane. Par ailleurs, dans la région d’Aïn Bessem, une expérience a été faite l’année dernière et un quota de tubercules a été acheminé à destination de la France.

Hafidh Bessaoudi

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