La chaîne du message littéraire englobe, dans un tout solidaire, l’acte d’écriture, le geste de la lecture et l’environnement de la critique. Ce dernier peut être d’origine universitaire-académique ou, comme c’est souvent le cas dans une première étape, d’origine médiatique (presse écrite et supports audiovisuels). C’est généralement cette ambiance globale d’un va-et-vient ou feed-back qui imprime sa marque sur une œuvre littéraire ; une marque que le temps et l’histoire décideront de retenir pour quelque temps, pour longtemps ou bien pour l’éternité.
Nécessairement, des exceptions arrivent à déroger à cette ‘’règle’’ en faisant que des œuvres littéraires de valeur ne connaissent une fortune qui leur rende justice que des années ou des décennies plus tard, à titre posthume. Ces œuvres n’auront pas profités aux générations contemporaines de l’auteur mais aux générations suivantes. Des exemples sont connus à l’échelle du monde de ces écrits littéraires qui n’ont brillé et ne se sont imposés que bien des années après que leurs auteurs eurent passé des nuits blanches à noircir le papier. Ce fut le cas du roman Le Maître et Marguerite que le Russe Mikhaïl Boulgakov avait entamé en 1928 et qui ne verra le jour qu’à la fin des années 1960. En Kabylie, l’exemple des Cahiers de Bélaïd écrit par Bélaïd Aït Ali dans les années 1950 est le plus célèbre.
En tout état de cause, lu et exploité dans l’immédiat, ou renvoyé par les vicissitudes de l’histoire à la postérité un ouvrage littéraire est nécessairement porteur d’un message au lecteur quand bien même son auteur pourrait éventuellement s’en défendre.
Le débat sur le rôle et le message de la littérature est aussi vieux que l’exercice de l’écriture elle-même. Avec la vision classique, on a considéré un certain moment l’écrivain comme un mémorialiste, un historien de l’instant qui enregistre les événements et les faits dont il est témoin. C’est, bien entendu, une vision très restrictive qui ne prend pas en considération les motivations psychologiques, esthétiques ou même politique du message écrit.
Certes, des écrivains ont assumé avec brio cette tâche de transmettre aux générations successives les faits et gestes des rois, les hauts faits de guerre et les menus détail de la vie commerciale, économique et sociale d’une époque. Le cardinal de Retz, Saint-Simon ou, bien avant dans l’Antiquité Salluste, Polybe et Hérodote, ont admirablement su décrire les personnages et les événements de leurs époques respectives. Mais, au sens de la littérature, tel que le concept est forgé depuis l’explosion du roman à partir du 18e siècle, une autre race de ‘’ceux qui écrivent’’ a jeté les bases d’une nouvelle conception de l’écriture, donc de nouvelles motivations qui fondent l’acte d’écrire et même l’acte de lire.
Le langage comme matière
En 1948, Jean-Paul Sartre, philosophe, romancier et dramaturge, s’interrogeait et interrogeait ses contemporains sur le sens de l’activité littéraire. « Pour lui, écrivent les auteurs de ‘’Littérature et Langage’’ (Fernand Nathan, 1977), l’écrivain surtout l’écrivain en prose, est ‘’engagé’’, qu’il le veuille ou non, du fait même qu’il a choisi le langage comme matière de son travail. Parler, écrire, c’est parler du monde, donc de ceci plutôt que de cela. Toute parole oblige. L’écrivain est constamment marqué idéologiquement et politiquement désigné par ses mots et par ses silences. D’où la légitimité et la nécessité d’une critique des contenus, qui sera en somme une lecture idéologique des œuvres, analysant leur discours manifeste, explicite et leurs non-dits ».
L’ouvrage de Sartre, ‘’Qu’est-ce que la littérature ?’’, a essayé de sonder le monde de l’écrivain et a préparé le terrain à la sociocritique moderne qui a rationalisé sa démarche par un appel combiné à la linguistique et au marxisme. « N’a-t-on pas coutume de poser à tous les jeunes gens qui se proposent d’écrire cette question de principe :’’Avez-vous quelque chose à dire ?’’ Par quoi il faut entendre : quelque chose qui vaille la peine d’être communiqué. Mais comment comprendre ce qui en ‘’vaut la peine’’ si ce n’est par recours à un système de valeurs transcendant ?’’, écrit Sartre.
Une question que, par un travail de diagnostic spéculaire et d’introspection, se posent beaucoup d’écrivains, comme ne manquent pas de la poser les journalistes et le ‘’commun des curieux’’ aux écrivains. Dans ses ‘’Notes et contrenotes’’ (1964), Eugène Ionesco écrit : « ‘’Pourquoi écrivez-vous ? ‘’Demande-t-on souvent à l’écrivain. ’’Vous devriez le savoir’’, pourrait répondre l’écrivain à ceux qui posent la question. ‘’Vous devriez le savoir puisque vous nous lisez, car si vous nous lisez et si vous continuez de nous lire, c’est que vous avez trouvé dans nos écrits de quoi lire, quelque chose comme une nourriture, quelque chose qui répond à votre besoin. Pourquoi donc avez-vous ce besoin et quelle sorte de nourriture sommes-nous ?
‘’Si je suis écrivain, pourquoi êtes-vous mon lecteur ? C’est en vous-mêmes que vous trouvez la réponse à la question que vous me poser ».
Ionesco pose ici le problème de la relation auteur/lecteur en termes d’une connivence dialectique dont le premier explique le second et vice-versa. L’on peut schématiser cette série de questions en disant que le besoin de dire rejoint le besoin de lire. Mais, peut-on ou doit-on exiger de l’écrivain qu’il réponde exactement à nos attentes en matière de questionnements ou de goût ? « Dès que quelqu’un a écrit un sonnet, un vaudeville, une chanson, un roman, une tragédie, les journalistes se précipitent sur lui pour savoir ce que l’auteur de la chanson ou de la tragédie pense du socialisme, du capitalisme, du bien, du mal, des mathématiques, de l’astronautique, de la théorie des quanta, de l’amour, du football, de la cuisine, du chef de l’Etat. ‘’Quelle est votre conception de la vie et de la mort ?’’ me demandait un journaliste sud-américain lorsque je descendais la passerelle du bateau avec mes valises à la main. Je posai mes valises, essuyai la sueur de mon front et le priai de m’accorder vingt ans pour réfléchir à la question, sans toutefois pouvoir l’assurer qu’il aurait la réponse. ‘’C’est bien ce que je me demande, lui dis-je, et j’écris pour me le demander », ajoute Ionesco.
Dans bien des cas, sans doute dans la plupart des cas, l’écrivain nous transmet ses inquiétudes existentielles, partage avec ses lecteurs l’angoisse des questions sans réponse ; il est inquiétant parce qu’il est inquiété ! L’écrivain essaye parfois de nous suggérer un ordre, une imbrication des choses telles qu’il les perçoit. C’est ce que propose la romancière américaine Toni Morrison en disant : ‘’J’écris pour créer de l’ordre, de la beauté de la vie à partir de ce qui m’entoure et qui n’est que chaos, misère et mort’’.
Se mettre au service d’une cause ?
Tentant de replacer le concept d’engagement dans son acception la plus pertinente après qu’il fût malmené par des idéologues attitrés, Alain Robbe-Grillet souligne dans ‘’Pour un nouveau roman’’ (1963) : « L’art ne peut être réduit à l’état de moyen au service d’une cause qui le dépasserait, celle-ci fût-elle la plus juste, la plus exaltante ; l’artiste ne met rien au-dessus de son travail, et il s’aperçoit vite qu’il ne peut créer que pour rien ; la moindre directive extérieure le paralyse, le moindre souci de didactisme ou seulement de signification, lui est une insupportable gêne ; quel que soit son au parti ou aux idées généreuses, l’instant de la création ne peut que le ramener au seul problèmes de son art (…) Redonnons donc à la notion d’engagement le seul sens qu’elle peut avoir pour nous. Au lieu d’être de nature politique, l’engagement c’est pour l’écrivain, la pleine conscience des problèmes actuels de son propre langage, la conviction de leur extrême importance, la volonté de les résoudre de l’intérieur. C’est là pour lui, la seule chance de demeurer un artiste et, sans doute aussi, par voie de conséquence obscure et lointaine, de servir un jour peut-être à quelque chose – peut-être même à la révolution ».
Pour Mouloud Mammeri, on écrit quand on a quelque chose à dire ; mais ‘’d’une part, on ne dit pas n’importe quoi et d’autre part, on ne le dit pas n’importe comment (…) Cela ne veut pas dire qu’il y a des sujets plus prestigieux ou plus louables que d’autres…La valeur vraie d’un livre ne se confond pas avec les valeurs, elles de convention, des événements qu’il relate et redire un héros ne rend pas plus héroïque la narration (…) Je crois qu’il n’y a pas de littérature s’il n’y a pas de souci de ce que les manuels de mon enfance appelaient : la forme’’ (in Entretien avec T. Djaout 1987).
Mammari s’inscrit en faux contre l’engagement qui, dans certains pays à l’image de l’Algérie du parti unique, signifiait embrigadement inconditionnel, pensée unique et uniformisation stérilisante : ‘’Il traîne après lui des relents d’encasernement…le petit doigt sur la couture du pantalon et que je vois une seule tête. J’avoue que personnellement, à la fois par tempérament et par principe, je suis allergique à ce genre de sport. Des têtes, je pense personnellement que plus on en voit et mieux c’est…Quelle fête formidable on peut faire quand plusieurs têtes entrent dans le jeu…et quel paysage morose, aride déprimant quand il n’y a qu’une qui pense ou qui fait semblant…une qui parle, une qui dicte ce que les autres doivent dire et penser. Quand mille voix dociles bêlent à l’unisson la voix de leur maître, quel immense bêlement bien sûr, mais aussi quel bâillement immense !
Force est de constater que presque toujours, le terme (engagement) a pris chez nous un sens univoque ; il veut dire défendre par l’écrit la vérité officielle. Etrange avatar d’un concept inventé pour défendre les victimes, l’engagement a fini par consister à être du côté du prince. En tout cas, l’engagement, il vaut mieux le pratiquer que le crier (…) Comment un écrivain algérien peut-il décrire la réalité algérienne sans être par cela même engagé’’ ?
Pour Mouloud Feraoun, parlant de écrivains algériens de sa génération, il dit :’’ Les plus significatives de nos œuvres contiennent toutes l’essentiel de notre témoignage : on le retrouve un peu partout, discret ou véhément, toujours exprimé avec une égale fidélité et le même dessein d’émouvoir. Chacun a parlé de ce qu’il connaît, de ce qu’il a vu ou senti et, pour être sûr de dire vrai, chacun a mis dans son livre une grande part de lui-même. Mais puisque la vision reste la même sous des angles différents, des drames identiques ont été observés : drames sociaux d’où résultent le chômage et l’émigration ; drames politiques avec les luttes intestines, les brimades administratives ou l’inhumaine opposition des races ; ceux enfin de l’ignorance, qui sont aussi cruels que les autres et auxquels on voudrait imputer l’origine de tous nos mots.
L’écrivain ayant dénoncé la faim comme un mal profond mais guérissable qu’il importait vite de soigner a désiré faire connaître le malade, non établir des ordonnances ou proposer des remèdes(…) Nous sommes des intellectuels issus d’un monde à part et nous possédons la culture française. Notre paradoxe- ou notre drame, comme l’on dit communément- est fort compréhensible. Attachés par toutes les fibres de notre âme à une société figée, ignorante et misérable, en marge du siècle nouveau, nous avons la claire conscience de ce qui nous manque et le devoir de le réclamer. L’aspect revendicatif de notre œuvre n’a donc rien de surprenant. Ce qui peut surprendre et rassurer à la fois, c’est cette absence de passion qui marque presque toujours nos propos’’ (in‘’L’anniversaire’’).
Le cas de Kateb Yacine est un peu différent. Ayant pris conscience des limites de l’impact de l’écrit dans une société analphabète, il se redéploiera d’une façon résolue sur le terrain du théâtre lequel, pense-t-il, établit un lien charnel entre l’auteur et le spectateur. Son expérience dans le domaine a, de l’avis de tout le monde, été concluante. En tout cas, la mission de la littérature telle que la conçoit Kateb- dans sa version écrite ou dans son expression sur les planches- demeure l’éveil des consciences. Sans pouvoir faire l’impasse sur le souci de l’esthétique- le chef-d’œuvre ‘’Nedjma’’ est à ce sujet un exemple extraordinaire de réussite littéraire-elle fait partie des instruments de la libération et de la désaliénation des peuples.
« Je tente toujours de communiquer quelque chose qui n’est pas communicable, et d’expliquer quelque chose qui n’est pas explicable », disait Franz Kafka. Quels sont les motivations et les mobiles intimes qui font que le lecteur s’approche de l’incommunicable et apprivoise l’inexplicable ? Dans un monde de plus en plus happé par le désordre entropique, l’angoisse existentielle et la dissolution des repères traditionnels, l’écrivain et le lecteur sont condamnés quelque part à faire jonction et cause commune dans un élan instinctif de conservation.
Pa les chemins de la critique
La profusion des écrits littéraires, même si elle peut renseigner d’une manière approchée sur l’état de ‘’santé culturelle’’ d’un pays, ne peut s’inscrire dans la durée de l’histoire littéraire que par un travail de sélection, de classification et de promotion des œuvres. Il est tout à fait évident qu’un premier travail d’ ‘’élagage’’ s’effectue par une sorte de décantation naturelle qui fait émerger le ‘’bon goût’’ du moment, selon l’expression classique. Cependant, une intervention de l’élite intellectuelle composée d’universitaires et d’hommes de culture, permet de baliser les idées, de consacrer des tendances et, souvent, de faire émerger des courants.
Cette intervention, généralement non institutionnalisée, se fait dans le monde moderne par le moyen de la presse écrite, de la radio, de la télévision, des colloques et des écrits universitaires.
Ce que l’on nomme tout simplement la critique littéraire a une fonction culturelle, idéologique et esthétique certaine. Son histoire- même si elle remonte sur le plan formel aux heures de gloire de la renaissance littéraire européenne-, ne se confond pas toujours avec l’histoire de la création littéraire elle-même. Des décalages temporels, parfois considérables, séparent l’œuvre de son analyse critique.
L’un des plus prestigieux critiques littéraires du 19e siècle, Sainte-Beuve, avait, dans ses deux ouvrages intitulés ‘’Portraits’’ et ‘’Causeries du lundi’’, assis une méthode toute classique de l’analyse des œuvres littéraires de son époque et des créations plus anciennes. Taraudé par le destin du classicisme et l’agitation du romantisme, il conclut que le premier a valeur de consentement et le second d’inquiétude devant le siècle. Dans une critique acerbe de Lamartine, Sainte-Beuve renie le courant romantique, lequel, dit-il, ne sied qu’à la jeunesse.
Depuis les restrictions des libertés d’expression sous l’Empire, Sainte-Beuve ne veut plus parler de politique ; il pense que la philosophie est suspecte ; il est interdit de ne pas faire l’éloge de l’Église catholique. Quant à la morale, Sainte-Beuve s’en est éloigné depuis la condamnation Baudelaire, Flaubert et Feydeau ont été condamnés.
Il lui restait alors la ‘’littérature pure’’ qu’il voulait dégager comme entité qui n’aurait aucune relation avec la politique, la religion et la morale. Il avait alors excellé dans les biographies et les portraits d’auteurs qui remplissaient la République des lettres.
Cela ne l’empêche évidemment pas de faire sa propre analyse, de tracer les jalons du bon goût et de dire crûment son opinion à propos de l’ouvre.
‘’Le propre des critiques en général, comme l’indique assez leur nom, est de juger, et au besoin, de trancher, de décider’’.
Les thèmes des ‘’Causeries’’ sont d’une extrême diversité et dictés par l’actualité éditoriale ou les goûts du critique. Il y embrasse aussi les ouvres littéraires antiques que les créations des Lumières ou de son temps. L’auteur a beaucoup évolué par rapport à son ouvrage ‘’Portraits’’.
D. Madelénat note que ‘’La Causerie’’ marque, par rapport au Portrait, un triomphe de l’essai sur la biographie et du jugement sur la compréhension par sympathie : mutation radicale du point de vue, de la manière et du style. Le critique, désormais, sans négliger l’homme, l’aborde davantage par ses œuvres, sur lesquelles il jette un regard aigu, désabusé moins indulgent sous l’extrême urbanité de ton ; le portrait est plus ramassé les traits s’accusent avec plus de vivacité. Une extrême liberté de composition donne souvent l’impression que le sujet est prétexte à une guirlande de développements brillants ou incisifs. Les partis pris ne se déguisent plus, et des arrêts sont souvent prononcés, d’abord au nom de l’idéal classique, de la raison et du goût, puis, à partir des années 1860, en fonction d’un historicisme nuancé’’.
Pour se préparer à de tels jugements, l’auteur procède au recueil de la matière première : les documents originaux des œuvres, les témoignages et toutes sortes de notes et de renseignement pouvant éclairer son analyse et l’aider dans son jugement.
Ce modèle classique de la critique avait fait des émules parmi la classe intellectuelle européenne jusqu’au début du 20e siècle. Outre la publication d’ouvrages de critique, ceux qui sont passés professionnels en la matière ont souvent eu recours au support du journal et surtout de revues spécialisées.
Nouveaux outils d’intervention
La naissance d’une ‘’profession’’ qui a pour champ de travail la critique littéraire a lieu en fonction de celle de deux autres corporations, inexistantes avant le 19e siècle, celle des professeurs et celle des journalistes, comme le souligne Albert Thibaudet. Dans son ouvrage intitulé ‘’Physiologie de la Critique’’ (1930), il distingue trois niveaux de critique : « La critique des honnêtes gens, ou critique spontanée, est faite par le public lui-même, ou plutôt par la partie éclairée du public et par des interprètes immédiats. La critique des professionnels est faite par des spécialistes dont le métier est de lire des livres, de tirer de ces livres une certaine doctrine commune, d’établir entre les livres de tous les temps et de tous les lieux une espèce de société. La critique des artistes est faite par les écrivains eux-mêmes, lorsqu’ils réfléchissent sur leur art, considèrent dans l’atelier même ces œuvres que la critique des honnêtes gens voit dans les salons et que la critique professionnelle examine, discute, même restaure, dans les musées».
Une intéressante histoire de la critique nous est offerte par le prestigieux ouvrage de Roger Fayolle intitulé ‘’La Critique’’ (1964). L’auteur y retrace l’histoire de cette discipline et replace certains célèbres critiques (Sartre, Max-Pol Fouchet, Maurice Nadeau, Pierre-Henri Simon,…) dans les rôles qui sont les leurs.
En son temps déjà Albert Thibaudet a distingué une critique qui évalue et apprécie- pour abaisser ou pour exalter- et une critique qui scrute et mesure, pour mieux connaître. Selon les termes de Roland Barthes, on peut parler de critique de ‘’lancée’’ et critique de structure.
Quels que soient les supports matériels de l’expression de la critique (revues, journaux,TV, ouvrages universitaires) et malgré la différence de niveau pédagogique qui les caractérise, la critique littéraire a fini par constituer une discipline à part entière, presque un corps de métier dont les sources et les ressources philosophiques se sont grandement diversifiées au cours de la deuxième moitié du 20e siècle. Structuralisme, psychanalyse, sociologie sont quelques unes des disciplines extérieures auxquelles a fait appel la critique littéraire.
L’expression ‘’nouvelle critique’’ désigne moins une école qu’une tendance commune, ‘’un même type de recherche qui choisit de privilégier l’œuvre, non pas à la façon d’un sanctuaire dont on se tient à distance par impuissance ou par respect, mais comme le lieu même de l’enquête ou, à tout le moins, son point de départ obligé’’, selon ‘’La Littérature en France de 1945 à 1968’’ (Bordas, 1982). Cette nouvelle tendance puise dans la linguistique, la psychanalyse et dans le marxisme (à l’exemple de Lucien Goldman).
Jacques Lacan, Roland Barthes, Marthe Robert, Tzvetan Todorov, Gerard Genette, Julia Kristeva,…sont autant d’analystes qui ont donné à la critique littéraire un souffle et un horizon nouveaux qui l’amène à appréhender les œuvres littéraires sous le regard des sciences humaines aussi diversifiées que la sémiologie, l’histoire, la psychanalyse, la sociologie,…etc.
En Algérie, des efforts méritoires ont été déployés par des individus ou des équipes de chercheurs pour décrypter avec des moyens modernes les œuvres littéraires algériennes. Pendant les années 1980, Dalila Morsly, Christiane Achour, Beidha Chikhi, Boualem Souibès, Zineb Ali Benali, Denise Louanchi, Nadjet Khedda, Mourad Yellès Chaouche, …etc. ont initié des travaux de critique littéraire relatifs aux textes de Mohamed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Assia Djebar, …C’est un véritable capital en matière d’investigation et de recherche universitaires qui permet de situer les œuvres littéraires algériennes dans le contexte de l’imaginaire national, de l’inconscient collectif et de la psychologie individuelle.
La revue ‘’Kalim’’, qui était éditée par l’OPU (Office des Publications Universitaires), était une véritable tribune de recherche et de critique littéraire. Nous pouvons apprécier déjà des titres d’études comme : « Le mythe de la ‘’ville nouvelle’’ dans le discours utopique dibien », «Structures du récit dans ‘’Cours sur la rive sauvage’’», «Nedjma : Quête d’identité et découverte d’altérité» et «Loin de Nedjma : de la locution à la fiction poétique».
Nous pouvons, néanmoins, nous poser la question de savoir quel est le rôle de la critique littéraire dans un pays où l’acte de lecture n’est pas consacré comme principe de formation et de culture et où l’enseignement de la littérature est réduit à la portion congrue. Comme le souligne Antoine Compagnon, professeur à l’université de Columbia, ‘’la critique littéraire est inséparable de l’enseignement de la littérature. Elle sert à légitimer cet enseignement et elle fournit des pédagogies. Elle permet de parler de la littérature autrement que par jugements de valeur. Elle est dépendante de la littérature comme institution scolaire’’.
Amar Naït Messaoud