Ecrite par Youcef Taouint et mise en scène par Yasser Nacerddine, ce nouveau-né du théâtre de Béjaïa a fait son baptême des…planches jeudi dernier, devant les amoureux du quatrième art.
Des murs décrépis (de ce qui semble être une cave désaffectée, ou un dépôt communal), quelques caisses en bois, un portemanteau, et un paravent font office de décors. Un habillement minimaliste qui ne va pas sans rappeler cette conception de «l’espace vide», chère à Peter Brook, que défend le metteur en scène, Yasser Nacerddine. Le décor gravite essentiellement autour du mouvement du corps du comédien, nous explique le metteur en scène. Cette cave, el Maâmoura ou la tranchée est le point de chute de quatre musiciens «ratés»… La trame narrative de l’histoire est bien ficelée, Mamou (celui qui semble le meneur du groupe) fait son entrée sur scène, il chatouille les cordes de son luth, son rapport à l’instrument est quasi charnel… L’un après l’autre, les autres comédiens investissent la scène : Soussou (Djouher Deraghela), Bachir ( Bachir Laallali) et Mohamed (Mohamed Lefkir) . Ils font état de l’effervescence qui règne à l’extérieur, avant qu’un bruit assourdissant les cloue d’effroi…ce remue-ménage suscite moult interrogations sans qu’aucune réponse claire ne soit fournie, une certitude est établie cependant : le quatuor est coincé à l’intérieur de la cave, après avoir perdu la clé et une sorte d’ogre (un chien immense !) les guette dehors… Dans ce huit clos infernal, l’humanité de l’individu est soumise à rude épreuve. Par un sempiternel dialogue entre les quatre protagonistes, des scénarios (parfois farfelus) sont échafaudés pour se sortir de leur retraite involontaire. Il en ressort un mélange de tragédie et de comédie où se disputent le parodique, le cynique et l’ironique… La peur, la faim, le froid, la folie, et un sentiment de révolte, donc d’existence motivent leurs faits et gestes (séduction, manipulation, et une tentative de corruption sur le prétendu envoyé spécial des Nations Unis pour les sauver). La déraison semble avoir raison d’eux…dans un accès de colère non maîtrisée, Mamou poignarde Bachir et le tue…Un état psychédélique s’empare du groupe qui se confond dans un dialogue inintelligible, un dénouement suivi avec grand intérêt par le public qui, pour certains, aurait préféré un happy end à cette sinistre fin ! C’est la déchéance de l’individu dans une société de plus en plus cynique, l’ascendant du mal sur le bien que peint La Tranchée. Certains y ont vu une spéculation (légitimé ou non) quant à la mission de l’ONU à l’égard des pays vivant les révolutions récentes (bien que le texte y soit antérieur). Chacun y va de son interprétation, et c’est cela même la force du théâtre Brechtien qui veut faire du spectateur un élément actif ; éveille son activité intellectuelle et le pousse à porter sa réflexion sur l’homme, objet de l’enquête de son théâtre …. L’auteur du texte, Youcef Taouint, qui a fait le déplacement depuis Alger, a salué la performance des comédiens et du metteur en scène. Pour lui, c’est la situation déplorable de l’artiste (ici des musiciens) qu’il a voulu mettre en avant, il regrette le sort tragique qui leur est, souvent réservé «ils tombent et meurent dans l’anonymat, le cas de Larbi Zekkal, Ouriachi et tant d’autres…»
Nabila Guemghar