La voie étroite de la jeunesse

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Si, au niveau national, la situation du chômage demeure généralement préoccupante et ce, malgré le taux moyen de chômage, 10 % de la population active, avancé par les chiffres officiels de l’ONS, la donne, au niveau de l’Algérie profonde, et particulièrement en Kabylie, se distingue par sa singularité en portant ce taux à des hauteurs  »vertigineuses » de 60 à 70%.

L’ancienne réputation qui a fait des villages kabyles des consommateurs de rentes (euro, pensions de moudjahidine) a visiblement vécu. Aujourd’hui, le nombre de vieux pensionnés se réduit en peau de chagrin; les nouveaux émigrés, jeunes avec ou sans papiers, consomment leurs devises  »in situ », c’est-à-dire là où la valeur de l’euro ne prend pas cette proportion mythique que lui donne le taux de change en Algérie. Avec tous les plans de développement annoncés et mis en œuvre depuis treize ans, la moyenne du taux de chômage a pu être ramenée de 30 % à 10 %. Mais, que l’on ne s’y méprenne pas. Ce chiffre est visiblement gonflé par l’emploi temporaire et les différents dispositifs sociaux destinés aux jeunes chômeurs. Donc, sur le plan de la stricte logique économique, il importe de prendre ces chiffres avec des pincettes. En tous cas, d’autres indices de mal-vie et de chômage sont connus dans notre pays en dehors des seuls chiffres de l’emploi. La violence sociale, la ‘’harga’’, le suicide,…ne sont pas tout à fait étrangers au phénomène du chômage et du désœuvrement même si d’autres éléments de la crise sociale et culturelle viennent s’y greffer. Ces gros investissements publics portant sur les infrastructures et les équipements publics, tout en étant nécessaires, comportent leurs propres limites. D’abord, par le caractère de chantiers temporaires. Après la fin des travaux, les ouvriers se retrouvent à la case départ. Censées drainer, au stade de maturation, des investissements créateurs de richesses et d’emplois (privés et publics), ces réalisations ont tardé à le faire. Cela est particulièrement visible dans la wilaya de Tizi Ouzou où les investisseurs font face à une kyrielle de problèmes, parfois objectifs, et d’autres fois pour des raisons occultes où le politique le dispute à la bureaucratie. Les motifs de dissuasion des investissements en Kabylie, particulièrement depuis que le pays vit le grand air de l’aisance financière, n’ont pas manqué et cela depuis les révoltes successives dues au mouvement citoyen de aârchs en 2001, jusqu’aux rapts dont font l’objet les entrepreneurs, les patrons ou leurs enfants de la part de bandes où le résidus de terrorisme se mêlent au banditisme de grand chemin. Sur le plan réglementaire, les outils tels que le CALPIREF et l’ANDI sont supposés booster les investissements par de multiples incitations. En effet, la mise à disposition des assiettes foncières et les dégrèvements fiscaux pour les PME/PMI sont les bienvenus dans le lancement des activités économiques par de jeunes entrepreneurs. Cependant, cela ne suffit pas, d’autant plus que certaines zones d’activité manquent manifestement de viabilisation (électricité eau, gaz assainissement,…) et que, à un certain moment, les avantages fiscaux du dispositif de l’ANDE étaient facilement détournés pour des objectifs mercantiles (revente du matériel acquis sans TVA) et abandon du projet. Quelques diagnostics, faits par notre journal lors des forums qu’il organisait au milieu des années 2 000, ont mis en relief les grandes potentialités de la Kabylie en matière d’encadrement et de ressources humaines pour la prise en charge des investissements dans la région. Des signes même d’une belle ingéniosité ont été donnés par des entrepreneurs qui ne demandent qu’à être confortés dans leur mission de producteurs de richesses et de créateurs d’emplois. L’exemple de la ferme aquacole d’Azeffoun montre ces possibilités tant de fois réitérées dans les bureaux de l’administration, mais qui, malheureusement, sont restées sans suite. Outre la bureaucratie, les interférences politiques et quelques obstacles réels liés au foncier, la situation sécuritaire qui n’arrive pas à connaître son point de dénouement définitif est aussi un facteur puissant de dissuasion qui a amené des investisseurs potentiels à réorienter leurs capitaux vers une autre destination. Il ne s’agit pas exclusivement de délocalisation vers les grandes villes, à l’image de Constantine qui reçoit l’usine d’insuline initialement prévue à Tizi Ouzou, mais également vers des villes moyennes des Hauts Plateaux et même du Sud.

D’autres exemples à suivre existent, mais coltinent moult difficultés, tout en se montrant insuffisants pour prendre en charge la demande sociale inhérente à l’emploi. Sur ce plan, la zone de Taharacht, dans la commune d’Akbou, peut être citée comme une réussite dont il faut multiplier les vertus, et dont il faudra aussi sans doute tirer l’idée de spécialisation de pôles industriels (dans ce cas de figure, il s’agit de l’agroalimentaire).

Asphyxie économique et délitement social

En revanche, parmi les entreprises qui ont fait le choix d’affronter l’adversité dans certaines régions de Kabylie, ils l’on payé par une pénalisation de leur entreprise du fait des montants d’inscription des projets publics passant par le moule de la standardisation. C’est que les effets pervers de l’hypercentralisation- par lesquels sont confondus les zones de plaine, les régions de montagne, les milieux urbains et les sites ruraux-ont mis sens dessus-dessous toutes les valeurs de la bonne planification et de l’établissement des devis. Avec de tels handicaps, même les jeunes détenteurs de crédits de l’ANSEJ (une idée qui a surtout fait florès au lendemain des émeutes de janvier 2011), se débattent dans mille difficultés au point de voir leurs entreprises menacées par les banques. Ces dernières, malgré le dispositif réputé répondre à une pression sociale, ne font de calculs que monétaires (règles de prudentialité et échéances de remboursement). Entre-temps, la jeunesse de Kabylie continue à se morfondre dans l’oisiveté et l’ennui; une situation qui hèle de toutes ses forces toutes sortes de dérives: banditisme, consommation et commerce de drogue, suicide, conflits familiaux (divorce, et différentes affaires pendantes devant les tribunaux). Les anciennes valeurs du travail- faites d’esprit de labeur, de rationalité et d’abnégation se sont effilochées à la suite de l’exode rural, de l’hégémonie du travail salarial permis par le développement général du pays et de l’installation de nouvelles valeurs culturelles rendues possibles par les technologies de l’information qui brassent le culturel et le ludique. Les frustrations sont, à l’évidence, de plus en plus importantes. Pour faire ressurgir l’espoir d’un développement socioéconomique en Kabylie, loin des luttes homériques pour le leadership politique, il importe de faire accompagner les projets structurants, payés à grands frais par l’argent de la collectivité d’un dense tissu de PME-PMI, d’investissements dans l’économie des services (NTIC,…), de formations qualifiantes et de soutien réel à l’agriculture de montagne et à l’artisanat. En d’autres termes, seule une économie intégrée qui s’appuierait sur la décentralisation et la mobilisation des énergies locales pourra redynamiser une région manifestement menacée par l’asphyxie économique et le délitement social.

Amar Naït Messaoud

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