Un Aïd brûlant !

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Des troncs d’arbres calcinés se dressent à perte de vue. Des maisons aux murs cafardeux trônent au beau milieu d’un paysage de désolation sorti tout droit de l’enfer.

Il ne fait pas bon vivre ces jours-ci dans les villages somnolant au pied de la dense forêt de l’Akfadou; une zone en proie aux flammes depuis maintenant des jours.Durant la journée, en plus d’une chaleur écrasante, des pancartes de prix repoussantes des commerçants, une épaisse fumée enveloppe tous les bourgs des communes d’Akfadou, Tifra, Adekar et tant d’autres situées sur la haute vallée de la Soummam. A la nuit tombée, une fois dépassé les tracas des marchés flambant, les flammes couplées à une odeur âcre, forment une sorte de gigantesques lampadaires éclairant chichement les prairies ceinturant les villages desdites municipalités. La menace est omniprésente, troublant par effet d’entraînement le sommeil des villageois. De jour comme de nuit des escouades de villageois surveillent la progression des flammes. Même circonscrits, à leurs yeux, quelques foyers ont tendance à reprendre sur des parties même réduites déjà en cendres. Vigilance ! «Mercredi dernier personne n’avait cru que les flammes allaient atteindre les lisières de deux villages Tasga et Taourirt Ouaissa», raconte Mohand, un habitant du village Tasga perché sur une colline équidistante entre les communes deTifra et Akfadou. «Voyant la progression des flammes, nous sommes intervenus à temps, sinon les maisons que voyez là (il nous montre d’un geste preste de sa main droite l’endroit) auraient été calcinées», explique-t-il, en regrettant au passage l’absence des soldats du feu sur les lieux. «Il n’y avait même pas l’ombre d’un pompier ici pour, au moins, nous rassurer. Nous nous sommes déjà retrouvés dans une situation similaire par le passé et, depuis, on s’est dit qu’on ne peut compter que sur la force de nos bras pour combattre le feu et, partant, protéger nos maisons» ajoute-t-il, sur un ton d’amertume.

Paysage de désolation

Non loin du village Tasga, un paysage de désolation s’offre aux yeux: des centaines d’hectares de maquis, de forêt, de broussailles et d’arbres fruitiers, des oliviers et des chênes liège surtout, sont ravagés par les flammes. Les habitants de ces régions, désormais sinistrées, ne savent même pas qui est à l’origine de ces feux et vers qui pointer un doigt accusateur. Qui sont ces pyromanes qui osent mettre le feu à tout sans se soucier de la sécurité de milliers d’âmes ? Quelques villageois croient savoir que des éleveurs sans scrupules s’ingénieraient à allumer la mèche pour se faire des zones d’herbage. «Ce sont peut-être ces petits éleveurs qui sont à l’origine de ces incendies», accuse un vieil homme du village Taourirt Ouaïssa, dans la commune de Tifra. D’autres, par contre, mettent en cause les militaires stationnés dans la région. «Ils appliquent la politique de la terre brûlée pour faire sortir de leur trou les rats (entendre les terroristes) qui infestent la région», croit savoir un autre habitant du même village. Affichant une mine déconfite, un quadragénaire regrette de son coté les centaines d’oliviers qui sont calcinés par les flammes. «Avant, j’avais quarante oliviers, maintenant il n’en reste pour ma famille que vingt. C’est facile de trouver combien j’en est perdu dans la foulée de ces feux» regrette-t-il, en soulignant que le seul pactole de la région est désormais réduit en cendres.

Des roquettes explosent !

Dans la journée de mardi dernier, plusieurs roquettes ont explosé dans une zone montagneuse surplombant la région d’Ikedjane, dans la commune de Tifra. Il s’agirait de roquettes larguées par les forces héliportées de l’armée au cours des différentes opérations de ratissage menées dans cette partie de la commune ces derniers mois, avons-nous appris de source locale. La même source précise que des artificiers de l’armée ont été dépêchés sur les lieux pour faire exploser deux autres bombes artisanales. Une source au fait de la lutte antiterroriste, quant à elle, croit savoir qu’il ne s’agissait pas de roquettes, mais bel et bien de bombes artisanales enfouies sous terre par les sbires de Droukdel. Les explosions en chaîne, raconte un habitant de la région, se sont produites en fin d’après-midi de mardi, faisant accroître davantage la psychose au sein de la population. «On a cru que les terroristes, menacés par les flammes, s’apprêtaient à prendre d’assaut nos villages, mais que dalle», témoigne notre interlocuteur.

30 départs de feu en deux jours

Au deuxième jour de l’Aïd, au moins trois départs de feu ont été dénombrés aux quatre coins de la wilaya de Béjaïa. Les flammes ont parcouru une superficie dépassant les 360 hectares. Plusieurs régions difficiles d’accès étaient hier en proie aux flammes dans les communes de Chellata, Ighram, Béni Ksila et Tifra. Hormis des forestiers, les sapeurs pompiers ne pouvaient atteindre ces zones pour circonscrire les incendies en raison de l’inexistence de pistes, laissant les habitants à leur triste sort. Le responsable de la conservation des forêts de la wilaya de Béjaïa a regretté dernièrement la «non dotation des soldats du feu en moyens aériens» pour intervenir sur des zones inaccessibles par voie terrestre. Sans retentissement jusqu’à maintenant ! Il est à signaler que les 257 incendies de forêts dénombrés dans la wilaya de Béjaïa depuis le 1er juin jusqu’à hier ont consumé plus de 5 500 hectares entre forêts, maquis, broussailles, arbres fruitiers et ruchers.

L’APW s’en mêle

Dans une déclaration rendue publique, l’Assemblée populaire de wilaya de Béjaïa, par la voix de son président, estime que ces incendies rappellent curieusement «la politique de la terre brûlée par laquelle les généraux français (…) ont empreint l’opération Jumelle», regrettant au passage que l’équipement des services de lutte contre les incendies est maintenu dans son expression la plus «rudimentaire». La première Assemblée élue au niveau locale s’interroge dans son document sur «ces étranges (…) départs de feu (…) synchronisés à l’est et à l’ouest de la wilaya, et pourtant la canicule était la même, voire supérieure ailleurs à l’intérieur du pays». Pour les rédacteurs du document, la situation prête à « poser toutes les interrogations puisqu’on n’en a jamais eu de réponse », précisant que ces feux de forêts s’inscriraient dans «un programme annuel d’embrasement». L’APW s’est abstenue d’incriminer telle ou telle partie à l’origine de ces feux de forêts.

Dalil S.

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