Par Abdennour Abdesselam
Il a émergé sur la scène poétique en remportant le prix de poésie d’expression amazighe en 2003. Une cérémonie de clôture du concours avait été alors organisée dans une ambiance où la Kabylie pansait encore ses blessures suite aux douloureux événements du printemps noir. Un nom est cité. Il était invité à déclamer un poème. Une haute silhouette se leva de sa chaise et d’un pas presque fragile se dirigea vers la scène. Le personnage n’était pas encore connu. Après les présentations d’usage, la haute silhouette entama un poème intitulé « amassebrid ». Il n’y avait pas seulement la présence d’une voix, le corps emplissait l’espace de la scène au rythme des vers. Le public écoutait dans un silence de cathédrale. « Amessebrid » fut une véritable révélation et une confidence sur les capacités de la langue kabyle à dire et à concevoir le monde. Les mots des strophes s’engrangeaient et donnaient le besoin de suivre pas à pas l’aventure contée par le poète. La mesure est vite engloutie dans la profondeur et la portée de l’énoncé alors que le timbre de la voix du poète a laissé place au déroulement du cantique. Encouragé et son talent reconnu, Ahmed Lahlou, plus connu sous le sobriquet Bu Tamart (il porte une barbe), continua à versifier et à faire rimer les mots. En 2006 il réunira un vingtaine de poèmes qu’il offrira au public dans une édition qui porte le tire : « Abrid… Abrid ». Des civilisations entières ont été faites de poésie et la notre ne démérite pas, et Lahlou le prouve avec force de poésie. La particularité de Lahlou est qu’il décide de transgresser les formes établies de la grammaire. Il bouscule ainsi les anciens cadres rigides. Il se laisse guider par l’aventure intérieure de sa pensée et s’en va ainsi jusqu’à épuisement de la portée des mots. Cette rébellion vis-à-vis des formes et des marques établies a depuis tracé un tournant dans la production de ce genre littéraire. Il y a dans la poésie de Hmed Lahlu tout un mélange de libération et de réappropriation. Dans un de ses poèmes, « Awal ghef Wawal », le poète raconte avec des mots la vie des mots et le sens dénoté n’a emprisonné aucun d’entre eux tant ils sont tout à la fois étranges. Avec « Hatsa tmurt-ik », (c’est ton pays), le poète s’adresse à tous ceux dont la responsabilité est de faire dans le service de la société. Chez ce poète, la poésie n’est pas un simple refuge. Elle est une affirmation qui nous permet aujourd’hui de parler de la muse de Lahlu et revendiquer ainsi notre part dans l’interprétation du monde avec les autres et parmi les autres.
A. A.