L’argent sale et l'épreuve du crédit

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 Par Amar Naït Messaoud

Depuis la fin de l’année 2012, de fracassantes révélations relatives aux affaires de corruption, principalement dans le secteur des hydrocarbures, pleuvaient sur les rédactions de journaux au point d’en faire le réceptacle de choix, en attendant d’éventuelles procédures de poursuites judiciaires. Les parquets italiens et canadiens-en charge de débusquer et de sanctionner les corrupteurs de leurs pays qui ont biaisé les procédures d’obtention de marchés publics auprès de notre pays, en « graissant la patte » à des intermédiaires ou à des responsables hauts placés, mettent presque dans l’ « embarras » les autorités algériennes. Ces dernières, face aux scandales révélés, et qui comportent des personnalités algériennes nommément désignées, auront du mal à pouvoir  »fermer les yeux » sur une telle situation. Ainsi, l’on a appris que, au cours de ces dernières semaines, l’affaire de Sonatrach a été une nouvelle fois enrôlée par le parquet d’Alger, et l’on parle même du scellement d’une des résidences de l’ancien ministre de l’Énergie, Chekib Khelil, par les services de la police judicaire. Le nombre d’affaires révélées en un court laps de temps, l’importance des sommes perçues et le niveau des personnalités mises en cause prolongent, confirment et aggravent l’idée et l’opinion que les Algériens ont eu jusqu’ici du phénomène de corruption. Habitués aux menues commissions qui accompagnent, dans plusieurs, cas les gestes d’intervention des agents publics (au niveau des mairies, du service des cartes grises, pour l’obtention de l’aide à l’habitat rural, pour accéder au logement social,…), les Algériens sont de plus en plus stupéfaits et hébétés par la nouvelle dimension prise par la concussion qui élit domicile au sein des ministères et des grandes entreprises publiques. Le propre de l’acquisition de cet argent sale, c’est que la « transaction » s’est faite avec des partenaires étrangers intéressés par le marché algérien, marché qui ne leur fut ouvert qu’après avoir rempli les poches de responsables algériens.  L’autre singularité de ces opérations est, bien entendu, les méthodes sophistiquées de transfert d’argent vers de comptes ouverts à l’étranger, ce qui permet à ses bénéficiaires d’en disposer librement et de le blanchir, souvent dans l’achat de l’immobilier. Les autorités du pays ont du mal à sous-estimer l’ampleur du phénomène de corruption. En 2011, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, avait reconnu les dérives qui ont entaché l’économie nationale à travers le phénomène de corruption, en déclarant que « les institutions publiques n’ont jamais eu à gérer autant d’argent que lors des derniers plans quinquennaux de développement ». En l’absence de cadre de contrôle adéquat- ex ante et ex post-, que peut, par exemple valoir une simple pièce, appelée « déclaration de probité », fournie, dans le cadre des soumissions aux marchés publics, par les entrepreneurs? C’est une sorte d’imprimé que le soumissionnaire- potentiel corrupteur!- doit remplir en y promettant de  » ne recourir à aucun acte ou manœuvre dans le but de faciliter ou de privilégier le traitement de son offre au détriment de la concurrence loyale ».  Il s’engage également « à ne pas s’adonner à des actes ou à des manœuvres tendant à promettre d’offrir ou d’accorder à un agent public, directement ou indirectement, soit pour lui-même ou pour une autre entité une rémunération ou un avantage de quelque nature que ce soit, à l’occasion de la préparation, de la négociation, de la conclusion ou de l’exécution d’un marché public »! En réalité ce ne sont pas les cadres de contrôle qui font défaut. De la commission des marchés publics (de wilaya ou d’envergure nationale pour les gros marchés), jusqu’aux instances fort connues comme l’Inspection générale des finances et la Cour des Comptes, la législation algérienne est presque parfaite. Reste la volonté politique d’octroyer toute leur autonomie à ces organes de contrôle et de faire assurer à la justice son indépendance vis-à-vis de l’appareil exécutif. Au-delà du préjudice financier causé au trésor public et à l’économie du pays en général, la corruption constitue un véritable frein à la crédibilisation des institutions politiques et au processus de démocratisation. C’est là un préjudice autrement plus grave qui approfondit la défiance et le fossé entre gouvernants et gouvernés. Du même coup, il alimente, pour une grande part, la « rébellion » sociale qui gagne actuellement pratiquement tous les coins du territoire national.  Le sujet est, en tout cas, étalé non seulement sur les pages de journaux, mais également sur la place publique. Les jeunes émeutiers, face aux boucliers des CRS, n’hésitent pas à arborer des banderoles ou des panneaux qui dénoncent cette grave dérive qui gangrène historique la société et les institutions.  Il y a même des écriteaux qui comportent les noms des mis en cause. À ce niveau, le tabou est levé. Reste à le faire lever au niveau de l’appareil judiciaire. Une véritable épreuve du crédit pour les autorités politiques du pays, par laquelle est conditionné le retour de la confiance en les institutions de la république.

A. N. M.

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