«Les travailleurs ont joué un grand rôle lors des événements d’avril 1980. Ils étaient à la base de cette lutte. Au début, l’Etat, pour réprimer le mouvement, disait que c’était juste un groupe d’étudiants perturbateurs qui se soulevait. Ce qui s’avéra complètement faux, puisque 90% des insurgés étaient des travailleurs », a déclaré Saïd Khelil, ex-Premier secrétaire du FFS et responsable du MCB, lors d’une conférence, suivie de débat, autour de la contribution du monde ouvrier dans les événements du 20 avril 1980, animée, avant-hier après-midi, au niveau du petit théâtre de la Maison de la Culture Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou. Lors de cette communication, l’ex- N°2 du FFS rendra hommage aux anciens militants qui ont contribué au déclenchement de cette lutte pour la reconnaissance de l’identité et l’officialisation de la langue amazighes, notamment Amar Berdous, Amar Bacha, Salah Boukhlef et M’hemmed : « Certes, au tout début, le mouvement a été lancé par les étudiants qui voulaient être autonomes, car lors du règne du parti unique, il fallait avoir une autorisation pour organiser un événement culturel ou artistique. Donc ces étudiants se sont soulevés et ont déclenché une grève jusqu’à ce que l’Etat leur accordât le droit d’organiser des manifestations. Ils avaient invité Mouloud Mammeri qui fut arrêté à l’entrée de la ville et conduit chez le wali qui lui a interdit de donner cette conférence au niveau de la faculté qui porte aujourd’hui son nom. Et quand les étudiants ont su ce qu’il s’était passé ils ont déclenché une grande marche. D’ailleurs, c’était la première fois qu’une marche sans autorisation a eu lieu », a-t-il relaté en poursuivant : « nous avons par la suite créé des partis clandestins et avons tenu une réunion durant laquelle nous avons discuté d’une éventuelle marche à Alger, afin de délocaliser le mouvement et le faire sortir hors des frontières de la Kabylie. Nous avons appelé de grandes figures pour y prendre part, notamment Kateb Yacine et Ferhat M’Henni. Le 7 avril 1980, nous avons marché sur Alger. Il y eut une centaine d’arrestations ce jour là ». M. Khelil poursuivra en disant : « les étudiants et leurs professeurs avaient décidé d’occuper l’université de Hasnaoua. Par la suite, les CRS sont intervenus et les ont assiégés. Nous avons donc décidé d’organiser la première assemblée générale à l’hôpital, pour pousser ces policiers à oublier l’université ». M. Khelil précisera que suite à cette réunion une pétition a été lancée et de nombreux travailleurs les ont rejoints. Il ajoutera qu’un appel à une grève générale fut lancé en date du 15 avril 1980. « Nous avions alertés tous les travailleurs et les commerçants. Je me rappelle, nous avons passé une nuit stressante, car nous avions peur. Nous nous sommes dit que c’était tant mieux si le mouvement est suivi, car nous étions conscients que nous risquions, sinon, d’avoir de sérieux ennuis. Le lendemain, 16 avril 1980, au réveil, tout était fermé. Les commerçants avaient tous baissé leurs rideaux et les travailleurs étaient restés chez eux. Ce fut le commencement. Nous nous sommes donné rendez-vous à l’ENIEM et nous avons décidé d’élargir notre combat et de le faire sortir dans les autres wilayas. Et c’est là que le comité de coordination populaire avait été créé. Car nous avions besoins de représentants », a-t-il dit. Il indiquera que la deuxième assemblée générale s’était tenue à l’hôpital : « Plusieurs cadres, très politisés, avaient rejoint notre mouvement ce qui a fait que l’événement de 1980 a eu un large succès », a-t-il déclaré. Saïd Khelil ajoutera lors de son allocution que la 3ème assemblée s’est tenue au niveau du lycée Amirouche de la ville de Tizi-Ouzou : « Nous avons fait ce choix, car les lycéens étaient le fer de lance du mouvement. Ils ont contribué chacun à sa manière, à notre mouvement. Suite à cette AG, ils nous ont envoyé Sidi-Saïd, l’actuel SG de l’UGTA, comme émissaire. Il nous avait précisé que avions jusqu’à minuit pour arrêter le mouvement. Ce qui a fait que nous nous sommes réunis et nous sommes préparés au pire. Nous ne pouvions plus reculer, nous étions allés trop loin pour faire marche arrière. Nous ne pouvions faire demi tour », ajoutera-t-il. M. Khelil précisera, que lors de cette période, ils avaient entrepris des négociations avec l’Etat : « Chadli dans son discours nous avait dit que nous étions arabes venus du Yémen ! Puis il ajoutera que nous étions des berbères arabisés par l’islam ! Et là nous comprîmes que l’Etat n’allait pas nous faciliter la tâche et que notre combat devait se poursuivre ». « Le 20 avril 1980, à 8h du matin, j’ai entendu les sirènes des ambulances qui sillonnaient la ville. Je me suis vite levé. La route vers l’université était jonchée de blessés. Nous avons été arrêtés le 24 avril », ajoutera-t-il. Selon cet acteur des événements du printemps berbère, le fait que les citoyens étaient sortis dans la rue avait permis au combat d’avoir gain de cause : « La preuve, 33 ans après, on en parle encore », a-t-il dit. Pour les travailleurs, Saïd Khelil précisera que ceux-ci ont souffert suite au mouvement : « La plupart d’entre eux ont été mutés. D’autres ont cessé de travailler. Mais le combat ne s’était pas arrêté », a-t-il expliqué. Il conclura en indiquant « nous avons commencé avec une petite minorité mais nous avons réussi à faire adhérer les citoyens à notre mouvement. Maintenant, j’espère que les efforts de ces grands hommes et femmes qui se sont sacrifiés ne furent pas vains. Le combat n’est pas mort. Ce n’est qu’un recul. J’espère que la relève prendra le flambeau et ira plus loin. La faiblesse de notre mouvement c’est l’absence d’analyse. Nous étions partis en rangs dispersés et nous avons payé cher cette division. Il y a une certaine mobilisation qui caractérise les Kabyles. Il n’y a qu’à voir leur union lorsque l’un d’eux se fait enlever. C’est une bonne chose car nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ».
Samira Bouabdellah