Par Amar Naït Messaoud
Contrairement à certaines infrastructures contenues dans des espaces réduits et desservant une population spécifique (hôpitaux, centres culturels, sièges d’administrations publiques…), un ouvrage de l’envergure de l’autoroute Est-Ouest ne peut dissimuler les malfaçons qui ont affecté sa réalisation, que ces malfaçons soient apparentes dès le départ ou qu’elles constituent un vice caché qui ne se voit qu’au bout de quelques années. Si des trous, des fissurations, des pentes inadmissibles parsèment sur plusieurs points le corps de l’autoroute, les dégâts que cet ouvrage a subis au niveau de la wilaya de Bouira sont tout simplement d’une autre gravité. Sur presque 40 kms, se succèdent, et parfois ‘’cohabitent», les dénivellations de la chaussée suite à des affaissements de terrain, l’éclatement de la couche supérieure de la chaussée, les fissurations et même un glissement de terrain qui a réduit la largeur de l’autoroute de plus de la moitié au niveau de Aïn Cheriki. De Lakhdaria à Bouira-ville, et même au-delà (pont de Sonda entre Bouira et El Esnam), ce qui est présenté officiellement, comme une autoroute n’a même pas les qualités de l’ancienne RN5 reliant Alger à Constantine. Le ministère des Travaux Publics a pris la décision de réhabiliter les tronçons affectés par les malfaçons ou par les dégâts survenus postérieurement à la réception de l’ouvrage. Certains tronçons sont déjà balisés pour permettre à l’entreprise de réalisation de sécuriser ses chantiers. Mais, les moins avertis parmi les citoyens et ceux qui sont appelés à faire ce trajet quotidiennement, d’Alger vers Bejaïa, Annaba ou Constantine, se demanderont comment une infrastructure aussi importante, traversant l’Algérie septentrionale, de la frontière Est à la frontière Ouest, et ayant consommé une enveloppe budgétaire de plus de 11 milliards de dollars, a pu subir un tel sort sur sa partie centrale, censée recevoir la pénétrante de Tizi Ouzou. Comment la réception de ce tronçon a été prononcée? Les entreprises de réalisation seront-elles inquiétées? Leur demandera-t-on des comptes, ou se contentera-t-on de procéder aux réfections? De même, l’on ne sait pas non plus si les bureaux d’études qui ont travaillé sur les sites dégradés sont interpellés. Il est bien beau de se gargariser qu’il n’y ait pas eu de réévaluation du projet, comme s’en félicitait le ministre des Travaux Public en avril dernier devant le Conseil de la nation. Néanmoins, qui payera la facture des travaux de réhabilitation? Le jeu de mots n’est pas en mesure de cacher le gâchis sur le plan de la qualité des travaux. Depuis que la partie centrale de l’autoroute a été mise en service, les Algériens ont acquis près de trois millions de véhicules supplémentaires. Le nombre de poids lourds s’est aussi considérablement accru, suite à la mise en exploitation de plusieurs carrières d’agrégats dans la région de Sour El Ghozlane; matière première transportée sur des centaines de kilomètres pour les projets d’investissements publics mis en branle un peu partout sur le territoire national. Les surcharges de cette flotte de camions, au-delà des capacités mentionnées sur la carte grise, pose aussi un problème pour le réseau routier national, principalement pour les routes qui ne sont pas destinées à de tels tonnages. C’est pourquoi, la direction des Travaux Publics de la wilaya de Bouira a décidé d’acquérir une balance pour vérifier le poids des fournitures transportées par les camions. Mais cet instrument est destiné pour la RN8, au niveau de la localité de Dirah. L’expert en risques majeurs, président du club de même nom, Abdelkrim Chelghoum, est enclin à remettre en cause la qualité des travaux sur le tronçon dégradé de l’autoroute. Il n’exclut pas que des cas de fraude sur des procédés techniques aient pu affecter d’autres tronçons. Les défauts, dans ce cas, peuvent surgir à n’importe quel moment. C’est ce qui est appelé dans le langage des procédures de réception, le vice caché. L‘Algérie est-elle prête à tirer les leçons d’une aisance financière qui, tout en ayant permis la réalisation de précieuses infrastructures pour le pays, a aussi permis, malheureusement, errements et désinvolture en matière de dépenses publiques?
A. N. M.
