Chronique d’une incroyable gabegie !

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La dilapidation des deniers publics est un mal qui ronge notre société sans que rien ni personne n’y mettent un terme !

En dépit des efforts consentis par les autorités publiques afin de limiter la propagation de ce fléau, cette gabegie subsiste, encore et toujours, et atteint parfois des proportions plus qu’alarmantes. Au niveau de la wilaya de Bouira, il n’est pas rare de voir un chantier à l’arrêt faute de crédits nécessaires, alors que le budget initialement alloué ait été entièrement consommé. L’exemple le plus frappant de ce qui convient d’appeler un véritable gâchis, se trouve dans la commune d’Aïn Bessam, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest du chef-lieu de la wilaya. 

Plus de la moitié du budget consommé mais…

Ainsi, il était prévu qu’un marché de gros de fruits et légumes, de dimension régionale, voit le jour à Aïn Bessam. À l’époque, en 2010, cette annonce, faite par l’ancien wali, enthousiasmera tout le monde et certains se sont même pris à rêver de voir Ain Bessam devenir un pôle commercial régional et, pourquoi pas, national. Le rêve était permis et quasiment palpable, du fait que cette commune soit située à un carrefour stratégique pour les commerçants des quatre coins du pays, mais aussi de par sa vocation agricole d’excellence.

Bref, ce marché de gros avait, selon les spécialistes du domaine, toutes les chances de concurrencer ceux de la capitale et de l’ouest du pays. Pour la réussite de ce projet, l’ancienne APC de Ain Bessam avait vu les choses en grand, en allouant près de 70 millions de dinars pour le financement du projet de ce marché qualifié de stratégique, pour une durée de réalisation qui ne devait pas excéder les 12 mois.

En théorie, cette structure devait être réceptionnée vers le second semestre de 2011, mais en théorie seulement. Car la réalité est bien plus édifiante sur ce projet qui n’en finit pas de l’être, réduisant à néant les espoirs de toute une région d’émerger et de se développer. Et pour cause, après trois longues années, ce marché de gros vient tout juste de sortir de terre, ou pour être plus explicite, montrer le bout de son ossature.

En effet, l’entrepreneur à qui revenait la tâche de réaliser cette structure, a tout bonnement fait «de son mieux» pour le ralentir. Pour preuve, l’entreprise de réalisation était à chaque fois absente des visites d’inspections opérées par l’ex premier magistrat de la wilaya et même celle de M. Benbada, ministre du Commerce. Ce dernier, lors de sa visite d’inspection effectuée en novembre 2011, s’était étonné du retard enregistré par ce projet, et il s’était même dit « consterné par tant de lenteurs d’exécution ».

Voulant en savoir plus sur le sujet, le ministre tentera d’interpeller l’entreprise, mais en vain. Et pour cause, l’entrepreneur en question était absent, ou du moins qualifié comme tel. Puisque selon certaines sources, le chargé du projet était bel est bien là au nez et à la barbe du ministre, et aurait bénéficié de quelques complicités au sein de l’ancien exécutif de la commune pour affirmer l’inverse. Il est à signaler, au passage, que le ministre du Commerce avait promis une aide supplémentaire de 10 millions de dinars, mais cette aide est restée, à ce jour, au stade de promesse.

Par la suite, les travaux ont repris pour une durée de deux mois (décembre et janvier 2012), avant de connaitre un nouvel arrêt. Entre temps, et selon des sources proches de l’APC d’Ain Bessam, la facture ne cessait de grossir, sans que ce chantier n’avance d’un pouce. Cet état de fait a poussé encore une fois, les autorités de la wilaya à multiplier les visites sur chantier, dans le but de s’enquérir de l’état d’avancement des travaux.

Mais à chaque fois, ledit entrepreneur fuyait ses responsabilités et se volatilisait dans la nature, pour ne pas avoir à rendre des comptes. Et quand il se faisait épingler, il rejetait la faute sur le CTC. C’est du moins ce que nous a confié au mois de février dernier, le P/APC d’Ain Bessam : « Quand on a interpellé l’entrepreneur à ce sujet, il a assuré que le CTC lui avait exigé des modifications. C’est la principale raison de ce ralentissement. Cependant, tout est en train de rentrer dans l’ordre ».

Peu de temps avant, l’ex wali de Bouira, excédé par tant de négligences et de gaspillages, avait ordonné le mise sur pied d’une commission d’enquête avec comme objectif de déterminer les raisons de ce gâchis. Ensuite, c’était le black-out total. L’opinion publique n’a plus entendu parler de cette affaire et les médias étaient suspendus aux conclusions de l’enquête diligentée. La semaine dernière, lors de l’inspection du chef de l’exécutif de Bouira sur le site, des éléments du rapport d’enquête ont été divulgués très habilement, passant presque inaperçus.

Affichés sur un tableau, en caractère assez petits, on y apprendra notamment que l’entreprise « défaillante» a été mise en demeure par voie de presse à deux reprises, la première fois en date du 17 avril, et la seconde le 7 mai dernier. Autre révélation, et non des moindres, concernant la situation financière de ce marché « à gros» budget.

En effet, et sans compter la rallonge accordée par l’APW rentrant dans le cadre du plan sectoriel de développement ( PSD) estimée à une dizaine de millions de dinars, cette structure a déjà englouti près de 33 millions de dinars, pour un taux de réalisation qui ne dépasse pas les 35%! Au total, on se retrouve à près de 45 millions de dinars consommés, soit plus que la moitié du montant initial, pour uniquement le tiers du projet. 

30 millions DA pour tout refaire, est-ce possible ? 

Les esprits les moins avisés en arithmétique peuvent aisément se faire une idée sur l’écart entre le budget consommé et le taux d’avancement. Ce n’est pas un trou, mais un ravin!

Avec la mise en demeure de l’entreprise de réalisation et la résiliation de son contrat, on pouvait s’attendre à une reprise des travaux. D’ailleurs, c’est ce qui était prévu jusqu’à la semaine passée. Mais patatras, le wali de Bouira, Nacer Maaskri, s’est mis de la partie en soulignant que cette structure commerciale n’avait rien d’un marché de gros et, encore moins, d’un carrefour régional.

Cette remarque a fait l’effet d’une bombe, parmi les services de l’APC et du BET. Mais le coup de tonnerre est venu quelques minutes après, lorsque le premier magistrat de la wilaya soulèvera la « sérieuse» option de tout refaire, mettant en relief le fait que la structure présentée n’est valable que pour être un marché communal et, en aucun cas, à abriter un marché de gros.

Il est vrai que cet édifice commercial est loin de répondre aux exigences du projet, tant sa conception est calquée sur le modèle d’un petit Souk de quartier. En effet, on y retrouve de petits box, à droit et à gauche, un coin exigu, qui devait servir d’entrepôt, et… c’est tout! Bref, parfait pour faire ses emplettes du vendredi, mais aux antipodes d’un marché de gros digne de ce nom, respectant les normes en vigueurs pour ce type de structures.

À la question du wali relative au modèle dont s’est inspiré le bureau d’études pour faire son plan, le représentant du BET répondra vaguement et sans grande conviction : « On s’est inspiré de ce qui se fait de mieux». Cette réponse n’a évidemment convaincu personne, et surtout pas Maaskri, qui par la suite recommandera au BET de revoir sa copie en proposant un plan conforme aux normes.

Autrement dit, tout ce qui a été réalisé pendant trois ans n’avait ni queue ni tête et les grosses enveloppes budgétaires qui ont été consacrées au projet étaient tout simplement de l’argent jetés par les fenêtres. Dans le but d’en savoir plus sur le devenir de ce projet, qui au fil du temps s’est transformé en un véritable gouffre financier, attache a été prise avec les services de la direction du commerce de Bouira, et plus précisément le service de la gestion et du suivi des marchés. Le chef de service, M. Hadjel, nous informera que pour l’heure, aucune décision n’a été prise à ce sujet.

« Nous avons lu dans la presse locale que ce projet devait être entièrement revu, mais à ce jour (jeudi dernier, NDLR), on n’a reçu aucune instruction», a-t-il déclaré avant de nous orienter vers les services de l’APC d’Ain Bessam, en leur qualité de maître de l‘ouvrage. Du côté de ladite APC, on nous a confirmé l’information faisant état d’une refonte complète du plan de ce marché conformément aux orientations du wali. De même, une extension sur le terrain appartenant à la société des travaux d’électrification (Kahrif), pour un montant de 15 millions de dinars, financée par la commune, est prévue.

Dans le même sillage, on nous indiquera que l’ancien BET a été dessaisi de ce projet au profit du bureau d’étude BEAU Nouicer, qui doit, selon nos interlocuteurs, procéder aux changements nécessaires sur le plan afin que ce projet voit, enfin, le jour dans les normes requises. Pour ce qui du volet financier de cette opération de « mise à niveau», nos différents vis-à-vis ont assuré que tout se fera avec ce qui reste du budget non-consommé à savoir un peu plus de 17 millions de dinars, en plus des 15 autres alloués à l’extension, c’est-à-dire un peu plus de trente millions pour tout refaire. Un défi assez difficile à relever, selon certains experts interrogés, voire impossible, si la gabegie qui a frappé ce projet venait à se poursuive.

Ramdane B. et Oussama K.

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