Par Amar Naït Messaoud
La scène politique nationale connaît des rebondissements qui, en réalité sont loin d’être inattendus. Le processus de démocratisation des institutions et de la société entamé au lendemain des événements d’octobre 1988, a connu un ralentissement, voire de sérieuses remises en cause, suite à l’énergie destructrice que le passif politique et l’agonie culturelle de notre pays avaient fait remonter en surface; une énergie létale qui s’est matérialisée par la dérive intégriste et son corollaire obligé le terrorisme. Mais, les retards et les remises en cause sont encore goulûment sustentés par un autre facteur de poids, par lequel l’Algérie s’est engluée dans une longue médiocrité et une interminable transition. Il s’agit, bien entendu, de la rente pétrolière qui est loin d’avoir été une bénédiction. Elle aurait pu l’être dans d’autres circonstances culturelles et du règne des élites. Cette tendance à chevaucher la voie de la facilité par l’ “investissement” dans une économie minière, limitée à l’extraction et au transport de la matière brute, est parvenue, au cours de ces trois dernières années, à son apogée en matière de non-sens et d’hérésie. En effet, l’Algérie a importé pour trois milliards de dollars de carburants (essence et fuel) pour un parc automobile qui a explosé depuis cinq ans et qui atteint presque 7 million de véhicules. Même la transformation pétrochimique, chantée sur tous les toits au cours des années soixante-dix, a fini par décliner dangereusement au point d’ouvrir la porte à des lubies d’importation. Le bouillonnement de la scène politique depuis quelques mois a, paradoxalement, mis un épais voile sur les vrais défis auxquels est confronté notre pays. Un certain nombre de gesticulations a réussi à faire prendre aux Algériens l’ombre pour la proie. Les faux scoops et les factices suspens n’ont pas manqué pour alimenter le landerneau algérien: dissensions supposées ou exagérées à la tête de l’État, multiplication des candidats à la candidature pour le poste de président de la République, focalisation sur le 4e mandat de Bouteflika au lieu de la réforme profonde du système, aiguisement des conflits sociaux et des provocations d’ordre “ethnique», comme celle que vit la région du M’zab,…etc. On aura tout vu et tout déroulé au cours de ces dernières semaines pour, en fin de compte, avoir affaire à…un écran de fumée qui oblitère les vrais enjeux, ceux liés à l’émancipation politique des Algériens et à leur libération économique, de façon à dépasser la dépendance rentière qui a corrompu non seulement des acteurs identifiables dans la haute administration et ses démembrements, mais aussi toute la société. Car, la perte des valeurs du travail, le triomphe de la médiocrité et le règne de l’analphabétisme technique et managérial, n’ont été rendus possibles et n’ont eu la vie longue que par la faute d’une fausse économie, ou d’une non-économie, comme l’a si bien caractérisée un homme politique de l’opposition qui s’est reconvertie dans des analyses sociales et politiques. Indubitablement, un lien dialectique rattache étroitement les impasses et les mésaventures politiques des Algériens, d’une part, et l’engourdissement économique permis par l’activité extractive du sous-sol national, d’autre part. Les dommages collatéraux d‘une telle descente aux enfers sont la dévalorisation de l’école et de ses enseignements; car, une économie rentière n’a pas besoin d’innovation ou de compétitivité. Ces dommages sont aussi constatés dans la perversion des relations sociales et humaines, régies par la seule “vertu” de l’argent, de la course au “piston” et d’une ascension sociale frauduleusement obtenue. Les bruits et les chuchotements suscités par la précampagne électorale sont fatalement loin de traduire tous les enjeux qui travaillent en profondeur la société et les institutions algériennes. Si des voix font valoir une certaine sagesse ou des revendications légitimes, d’autres malheureusement versent dans une stérile surenchère. Elles s’y emploient de toutes leurs forces, d’autant plus que l’Algérie accède à une phase intéressante, sans être définitive, de liberté d’expression. Certes, avec des hauts et des bas, mais le champ s’ouvre aujourd’hui de façon déterminante pour la liberté d’opinion. En plus de la presse écrite qui a acquis ses lettres de noblesse depuis plus d’une vingtaine d’année, le capital des voies d’expression se renforce avec l’audiovisuel privé. Il est vrai que ce dernier cherche encore sa voie. Les pouvoirs publics sont appelés à l’encadrer juridiquement et à le sécuriser. Les réseaux sociaux sont aussi une belle revanche sur l’isolement qui avait frappé des années durant les voix de la liberté et de la revendication. Ce sont imparablement tous ces éléments, dans leurs fécondes interactions, qui ouvriront les horizons de l’Algérie de demain, délestée du monopole politique et de la mortelle glu de la rente.
A.N.M.