Par Amar Naït Messaoud
Pour l’Algérie qui tente de remonter la pente de l’histoire, après la plongée sanglante des années 1990, il est quasiment inintelligible et hors sujet ce climat d’intolérance qui élit domicile dans certaines « niches » idéologiques et qui, malheureusement trouve son prolongement dans certains médias. Ces derniers deviennent des porte-étendards d’une pensée stérile dégoulinant d’anathème et de haine. C’est ce à quoi l’on assiste cette semaine dans cette levée de boucliers contre le ministre des Affaires religieuses et Wakfs, Mohamed Aissa. L’on s’en prend, avec une désinvolture déconcertante, contre un ministre de la République, comme on l’a fait il y a quelques mois pour la ministre de l’Éducation. Le « crime » de monsieur le ministre des Affaires religieuses est d’avoir appelé à la tolérance, expliquant, lors d’une visite effectuée en début de semaine à Oran, que l’ « Algérie est un pays multilingue et multiculturel qui accepte l’Autre et sa Constitution autorise le non musulman à pratiquer sa religion ». Le ministre révèle qu’il a rencontré des étudiants africains de religion chrétienne et qu’il ne s’opposait pas à l’ouverture des lieux de culte pour les autres religions. « L’Algérie est un État souverain qui compte plusieurs langues et cultures, qui est ouvert et accepte l’Autre », tient à préciser Mohamed Aïssa, en rappelant que « la Constitution, qui stipule que l’Islam est la religion de l’État, ne signifie pas la négation de l’Autre ». Il révèlera avoir rencontré des représentants de toutes les religions présentes en Algérie et ajoutera, dans le même sillage, que « l’Algérie collaborera avec eux [les pratiquants de la religion chrétienne] et leur permettra de pratiquer leur religion, de même que les juifs, dans le cadre des lois de la République ». Il n’en fallait pas plus pour que les inquisiteurs montent au créneau et profèrent des menaces contre l’État algérien. Le courant salafiste, à travers le parti non agrée présidé par cheikh Hamadache, promet de recourir à la rue contre de telles déclarations, jugées « provocatrices », d’un ministre de la République. Hamadache établit une relation directe entre les déclarations du ministre et les travaux de ravalement de façade qu’a subis la synagogue de Constantine. Scandalisé par une telle initiative, il prévient contre le fait que l’on veuille faire de cette ville une Djerba algérienne (allusion à l’île touristique tunisienne où il y a une forte présence juive). Ce qu’a dit le ministre n’est pourtant que le rappel d’une vérité historique qui fait que l’Algérie est une société multiculturelle, où la cohabitation religieuse était un fait établi, et ce, depuis l’antiquité. À titre d’exemple, les vagues de migrants andalous, après la Reconquista au 15e siècle, ont ramené sur la terre d’Algérie tous les persécutés, musulmans et juifs, qui ont apporté leur part d’humanité et ont gagné au fil du temps, leur part d’algérianité. De même, le monde chrétien s’enorgueillit que l’un des plus grands pères de l’Église fût un Algérien de Annaba, Saint Augustin. La diversité culturelle et cultuelle est aussi visible même dans l’Islam que pratiquent les Algériens. Que gagneraient les jeunes de notre pays à ce qu’on leur cache cette diversité et qu’on recouvre, par exemple, l’ibadisme mozabite d’une couche de fausse pudeur? On a vu où nous ont mené les ignorances et les préjugés. Les plaies de Ghardaïa ne se sont pas refermées. Le particularisme de la région a été exploité à des fins politiciennes. Cela n’aurait jamais été possible si l’école, les médias, les mosquées avaient joué leur rôle dans la formation, la pédagogie et la sensibilisation. C’est pratiquement le contraire qui se passe, prolongeant la vie à la pensée unique par laquelle tous les ostracismes étaient autorisés. Que des comportements aussi négatifs et négateurs de l’algérianité se manifestent au moment où le pays compte mener des réformes politiques- à travers la révision constitutionnelle et d’autres volets qui se déclinent graduellement-, et espère, en même temps, sortir de la gestion rentière de l’économie, laquelle avait permis tous les errements idéologiques, c’est le signe d’un sous-développement culturel dont il faudrait noter la gravité. Est-ce une fatalité que l’Algérie continue à sombrer dans les dédales des querelles religieuses, au moment où sa jeunesse aspire à une vie meilleure qui puisse la tirer de la tentation harraga? Serions-nous devenus imperméables au vent de la libre pensée et de la modernité politique, comme l’insinuait le colonialisme français? Pour quitter les rivages de la médiocrité et le cloaque du sous-développement culturel, il est impératif que le mouvement de réformes que connaît le pays englobe un vrai « toilettage » des instances idéologiques qui ont rendu possible cet esprit inquisiteur qui s’acharne contre des composantes de la société et contre…des ministres de la République.
A.N..M.
