En Kabylie, comme partout ailleurs, le ton est aux vacances. C’est août. Le mois des congés par excellence. L’ambiance est aux escapades, aux sorties en mer, aux fêtes familiales, à l’évasion…
La forme y est, mais l’algérien profite-t-il réellement de ses vacances ?
C’est des moments intenses et coûteux, mais on se les « arrache » bien volontiers. La météo n’est pas du tout clémente, ça fait super chaud, on sue, on étouffe parfois même à l’ombre. L’humidité en rajoute même un encombrant désagrément, mais on s’en fout un peu. On n’est vraiment pas dans les meilleures conditions, mais on s’y est bien habitué depuis le temps… Bien accommodé même ! C’est ça août. Et c’est ce qui fait son charme… C’est un tout qui fait qu’on se met aux Ray Ban, en short, en débardeur, en claquette, prêt pour la trempette, même à mille lieux d’une plage ! Et l’ambiance a bien repris depuis la fin du Ramadhan. Dans les villes, aux villages, sur les plages, tout le monde parait comme avoir un retard à refaire… Sauf qu’on n’a pas l’impression que tous savourent ces moments de répit. C’est normal, quelque part, pour les commerçants saisonniers qui s’empressent de rentrer dans leurs frais et réaliser le plus grand profit possible, mais pour un vacancier… Même sur la route, chacun a l’air d’avoir hâte d’arriver quelque part ! Personne ne semble se dire « je suis en vacances, j’ai tout mon temps »… Sur le trottoir, au marché sur la plage, les nerfs sont comme à fleur de peau. On s’emporte à la moindre pique. Vraiment très loin de l’ambiance très relaxe qui devrait caractériser des moments de relâche, de repos… « C’est un peu normal chez les gens. Car on n’a pas vraiment cette culture de vacances, elle n’est pas formellement ancrée chez nous. On la découvre avec le portable, le numérique, la télévision par satellite… Autrement, chez l’algérien ou le kabyle, de tous temps, la période des congés a toujours été pour lui une tranche du calendrier où il se fixe de combler tous les manques qui l’entourent dans sa vie quotidienne et familiale. Ça a perpétuellement été normal d’entendre un ami, ou le voisin d’à côté vous dire qu’il a la serrure de la salle de bain qui coince, qu’il la changerait ce week-end, que cet été il referait la peinture de sa maison, emménagerait le garage, arrangerait l’assainissement ou quoi encore… Mais dira rarement : « Cet été j’irai me reposer avec les enfants quelque part sur une île ». C’est plutôt cela qui surprendrait chez un algérien… Cela est plutôt courant à la télé et l’on essaye à peine de saisir ce mode de vie nouveau… Il est vrai que ça commence à changer, mais pas tant que ça. Tout est une question de culture, certes, mais de moyens avant tout. Et le Smig algérien est encore loin de permettre un tel état d’esprit chez les gens. « Pas plus que la carte Chifa qui vous permet à peine de vous faire servir une ordonnance à 3000 DA par trois mois, si je ne me trompe pas ». Le constat de ce sociologue cadre, en fait, bien avec la réalité surtout quand on se met à comptabiliser les charges qui s’imposent à un ménage en cette période… L’été c’est aussi ces factures salées d’électricité dues aux climatiseurs, le Ramadhan et ses frais, l’Aïd, les fêtes familiales, sans oublier la rentrée, tout aussi onéreuse, qui pointe du nez. Avec le pouvoir d’achat actuel d’un salarié moyen, ce n’est pas du tout évident… Mais on s’accroche quand même comme on peut. Et on fait semblant de ne pas rater ses vacances…
Une culture découverte avec le portable et la télévision par satellite
Bref. Continuer à exister en ce mois d’août, pas du tout le même chez les uns et les autres. Certains le vivent, d’autres le subissent… « C’est ce qui fait que chacun cherche, si vous voulez, à s’affirmer, à être présent là où le monde tourne plus en cette période. Et bien sûr, les plages sont des sites privilégiés en pareille saison, d’où les ruches auxquels on assiste. C’est un peu comme l’air, c’est gratuit, donc c’est à la portée de tout le monde… Même si on n’a aucun sou dans sa poche, on peut y aller à pied ! Et c’est là un réflexe des plus banals, on a chaud, on cherche à se mouiller, à se tremper dans un bassin. Et en Kabylie, on a cette chance d’être juste à côté de la méditerranée ! Il est vrai que le geste fait partie des habitudes des vacances, mais le reste ne suit malheureusement pas … C’est les vacances au moindre coût. Du moins, des semblants de vacances. Car au vu de l’environnement et des soucis quotidiens qui sont toujours là le corps se soulage, peut-être (et encore !) mais pas l’esprit, encore moins le mental. Il travaille toujours et, souvent, deux fois plus que lorsqu’on est en poste de travail. Car, si au boulot, l’on pense juste à la mission devant laquelle on est, en période creuse du genre ou on ne se déconnecte pas vraiment avec le quotidien harassant, on a tendance à se lâcher, peut-être au présent, mais on s’encombre toujours de penser à l’épicier d’à côté s’il ne ferme pas, au lait en sachet, si on en trouvera, aux coupures d’électricité au voisin avec qui on s’entend le moins, au cadeau à acheter pour le cousin qui se marie dans une semaine, au petit, renvoyé de l’école, à recaser, à la toiture de la maison à rafistoler avant l’hiver… Telle que je la présente, la situation paraîtrait dramatique à un certain degré mais c’est la réalité d’une grande majorité des algériens et c’est dans le naturel des choses, chez nous. On a tendance à tout envisager pour les congés. Or, les vacances sont censées être un moment de répit, où on fait le break, le vide autour de soi et on se recharge d’air pur et de potentiel pour repartir du bon pied. Nos habitudes ne sont pas encore celles-là et il faudrait un bon tour à la planète, si j’ose dire, pour que ça change ! Bon nombre de nos immigrés, qui profitent de leur voyage d’été au pays pour finir les travaux de construction, incarnent tout autant cet état de fait. D’ailleurs, même s’ils n’en sont pas complètement à l’origine, ils contribuent d’une part assez conséquente à la flambée des prix des matériaux de construction », ajoute Dr Hami avec un brin d’humour. C’est ce qu’on appelle allier l’utile à l’agréable… « C’est bien, mais les vacances ça ne devrait être que de l’agréable ! ». N’empêche qu’on tente d’en profiter. Au maximum même.
C’est aussi une affaire de sous…
Et au final, chacun aura eu ses vacances à lui. A la plage, au village, en montagne, même si les vacances de montagne ne sont pas encore aussi développées que ne le laisseraient supposer les potentialités que recèle la région. La grande forêt de Yakouren reste inexploitée. C’est à peine qu’elle vaut par ces deux ou trois fontaines qui coulent sur les bords de la route nationale qui la traverse. Il y a aussi ces quelques stands de présents d’artisanat aménagés par des tiers le long de ce chemin. Et pourtant, le site est enchanteur. Le climat est des plus agréables. La température est naturellement harmonisée par la dense végétation. C’est très, et même trop, calme. Avec le chant des oiseaux en sus. La région aurait pu constituer une destination enviable, pour les vacanciers, mais on n’y va pas spécialement… La majorité rencontrée sur place n’est que transitaire, ne s’arrêtant qu’un petit moment. Pour souffler du calvaire de la route entre Tizi-Ouzou, voire Alger, et Béjaïa. « Ça n’a pas d’explication particulière. Au risque de me répéter, les gens n’ont pas encore saisi la portée de la culture des vacances. On ne cherche pas à se reposer au préalable, mais plutôt à prendre des vacances comme tout le monde. Et je veux dire qu’on cherche plus à faire comme l’autre. C’est pour cela qu’on se retrouve, presque tous, sur les mêmes lieux, chacun dans sa catégorie et selon ses moyens. Quand je dis mêmes lieux, ça va de la grande plage de Tigzirt jusqu’à l’aéroport de Barcelone… ». Il est vrai que dans un tel contexte à répétition, face aux même visages, aux mêmes décors, ça vous fait tout de suite remonter cette image, déjà vue, qui vous replonge dans une espèce de routine. Et ça ne vous change pas trop de l’ordinaire. Il reste que c’est toujours un moment et, surtout, un budget consacré à l’évasion, à la famille, aux amis proches… C’est un changement en soi. Maintenant qu’il vienne d’en haut ou d’en bas, peu importe. L’essentiel est cet état d’esprit qui s’incruste dans le calendrier annuel de l’algérien moyen, mais surtout dans sa culture. Peut-être dans un avenir proche cherchera-t-il à juste fuir le quotidien éreintant pendant quelques jours, à un moment donné de l’année, sans se soucier du « m’as-tu vu partir en congé…? »
D. C.

