Nous avons voulu dans le portrait suivant retracer le parcours original d’une personnalité qui a marqué la mémoire des Tizi-Ouziens. Il a été facétieux, loufoque parfois, mais à la repartie cassante, fracassante. Faire le récit de ses anecdotes nécessite plus qu’un ouvrage tant sa vie en regorge. Ses anciens élèves comme ses anciens collègues n’en tarissent pas. Ils en content, à la veux-tu en voilà de ses anecdotes truculentes, audacieuses et souvent en porte à faux par rapport aux habitudes et comportements des maîtres de l’époque. Toutefois, ses qualités pédagogiques ne soufraient aucune contestation. A l’image de ses homologues d’alors, il tenait à voir ses élèves réussir leur scolarité parce qu’il était conscient du fait qu’hors des pupitres point d’avenir pour une génération appelée à prendre ses responsabilités dans le développement de son pays aussitôt la liberté arrachée. Il était, comme en témoignent ceux qui l’ont connu et côtoyé d’une ferme intransigeance envers ses disciples. Mohamed Frik, ou comme l’appelaient ceux qui l’ont approché Monsieur Frik, est né le 9 janvier 1924 à Tizi Hibel. Il avait obtenu son bachot, option philosophie en 1945. Il s’inscrit, juste après à l’école Normal de Bouzaréah où il fut élève-maître, avant d’être nommé instituteur à l’école Gambetta de Tizi-Ouzou. Après l’indépendance il a été désigné comme professeur à l’école Jean-Maire, plus tard collège Mouloud Feraoun. Il partagé avec Fadhma Aït Mansour Amrouche et Mouloud Feraoun le village natal : ils sont tous les trois nés à Tizi Hibel. Mais lui n’a pas connu, par manque de temps ou d’inspiration, le destin d’écrivain. Qu’à cela ne tienne, il a tout de même connu la postérité d’une autre manière. Il a marqué son temps par sa façon d’entrevoir sa société telle qu’elle était, dans sa nudité. Dire de M. Frik qu’il était iconoclaste, anticonformiste ne serait pas, loin s’en faut, un euphémisme, c’est bien un trait fondamental de sa personnalité. Il a eu maille à partir avec les autorités de l’époque sans que cela ne lui coûte sa liberté parce qu’il était compris comme un de ces hommes, hors du commun, entiers et sans concession, qui peuplaient l’Algérie particulièrement et le monde en général. Sous cette apparence débonnaire et débridée se cachait bien une sensibilité à fleur de peau qui a été aggravée par la perte précoce d’un de ses fils qui le poussa par désespoir dans les bras de Bacchus. Il se serait écrié comme Victor Hugo lors de la mort de sa fille Léopoldine « Belle perte, en effet ! Beau sujet de colère ! (…) Une ode qui chargeait d’une rime gonflée/ Sa stance paresseuse en marchant essoufflée ! De lourds alexandrins l’un sur l’autre enjambant/Comme des écoliers qui sortent de leur banc ». Monsieur Frik s’en est allé le 17 février 1986 ; avec sa douleur tenace et son chagrin immuable, laissant, à nous autres, le loisir de rire de ses frasques qu’il improvisait pour cacher l’innommable.
Sadek A.H
