La femme et le théâtre en Algérie en débat

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En ce septième jour du Festival International du Théâtre de Béjaïa, une rencontre avec Souria Grandi-Sahli, doctorante à l’Université Paris X Nanterre, et originaire de Sidi Belabes, a été organisée, dans le hall du Théâtre Régional de Béjaïa, sous le thème «Pour une spatialité asilaire du féminin, dans le théâtre algérien des années quatre-vingt-dix et deux mille».

D’emblée, l’oratrice présente une perspective historique de la femme algérienne, qui avait toujours été réduite à l’espace intérieur, laissant l’espace public à l’homme. La maison, dit-elle, «est l’espace de procréation et de tout ce qui englobe l’implicite». Alors que l’homme jouit de l’espace extérieur, lieu des transactions des affaires et du pouvoir, une division sexuelle des espaces s’est imposée dans l’imaginaire des hommes et des femmes, s’inscrivant dans l’ordre symbolique et structurant ainsi les territoires. La famille traditionnelle algérienne est organisée de façon pyramidale. L’homme, le patriarche ou le père de famille est tout en haut, tandis que le reste de la famille est situé plus bas. Selon Mostefa Boutefnouchet, la femme n’existait pas dans l’espace masculin avant les années quatre-vingt. Dans un livre publié en 1980, «la Famille algérienne : évolution et caractéristiques récentes », paru aux éditions SNED, il affirme qu’il existait deux espaces différents. L’un pour l’homme et l’autre pour la femme. Ce que Rabia Bekkar confirmait dans «femmes, filles et villes», un article publié en 1995. Ce qui va commencer à faire changer les choses fut le déclenchement de la Révolution algérienne. Le premier Novembre a permis à la femme de monter au maquis, gagnant ainsi le droit d’occuper l’espace public. Puis, ce fut l’école, et enfin, le droit de travailler. Elle devient égale avec l’homme. Ce qui fut confirmé par les différentes constitutions, depuis celle de 1963, ainsi que la Charte Nationale de 1976. Pour Souria Grandi-Sahli, «entre les années vingt et soixante-dix, la femme était inexistante sur la scène artistique». Ce qui n’était pas le cas bien évidemment, puisque le média lourd de l’époque retransmettait sans cesse, dans les foyers, les performances de Rainette l’Oranaise, de ChikhaTetma et autre Fadila Dziria. La femme n’était pas totalement absente de l’espace artistique. C’était peut- être vrai dans les régions rurales, mais certainement pas dans les villes. Kateb Yacine va créer une révolution dans le théâtre, puisqu’il fut le premier à consacrer des pièces aux femmes avec «La Kahina» et «Sawt Ennissa». Depuis, et particulièrement dans les années quatre-vingt-dix, la femme va avoir des rôles principaux dans les pièces de théâtre, ouvrant ainsi une nouvelle ère en occupant de nouveaux espaces. Benguettaf va ainsi ouvrir le bal, en accordant à «Fatma» un monologue où elle exprime la situation et le statut de la femme en Algérie. Si elle travaille, ce n’est pas par gaîté de cœur, mais par obligation économique et sociale. Le travail qui était censé libérer la femme va devenir un cauchemar pour elle. Dans ce nouvel espace, elle peine à trouver ces marques. Elle y étouffe. Marginalisée par les hommes, son espace devient un asile. Ce qui va emmener la femme à occuper un nouvel espace : la terrasse. Cet espace où, enfin, elle peut respirer, marcher, chanter, pleurer… 1990, ce fut deux années après Octobre 88. La femme va investir un nouveau territoire, celui de la politique. Dans «Au-delà du voile», Slimane Benaissa donne la parole à Sonia. Un conflit de générations va créer un débat entre deux sœurs. L’aînée, conservatrice et la cadette, aspirant à une autre vie. La société impose à la femme de se taire. Maissa-Bey va d’ailleurs bien exprimer cette idée dans «Fille du Silence», qui inspirera une autre pièce de théâtre. La violence symbolique est acceptée par la société. Selon Pierre Bourdieu, «la femme se refuse de rester dans l’espace domestique qui l’étouffe». Pourtant, la femme, aspirant à la liberté reproduit le schéma social, en donnant l’éducation aux enfants. Elle reproduit ce qu’elle condamne, et elle le perpétue. Simone de Beauvoir, disait d’ailleurs : «on ne naît pas femme, on le devient». Est-ce à dire que la femme est maîtresse de son destin sociologique ? Dès 1991, le discours islamiste est très virulent à l’égard de la femme. Les prédicateurs prêchent la haine de la femme dans les mosquées. Selon Latifa Benmansour, ce discours revient aussi dans le théâtre, tel que dans la pièce d’Omar Fatmouche, «le sourire blessé», en 1994. La femme est victime d’un lynchage collectif, puisqu’elle est rendue responsable de tous les maux de la société. D’ailleurs, ce fait a été illustré dans la réalité avec ce qui s’était passé à Hassi Messaoud, quand les islamistes avaient laissé pour mortes Rahmouna Salah et Fatiha Maamoura, lesquelles avaient été lynchées juste parce qu’elles se rendaient à leur travail. Dans cette situation également, l’espace de travail ne constituait pas un territoire libérateur pour ces femmes. C’est le désir de domination de l’homme sur la femme, en l’excluant de l’espace de travail, prétendument réservé aux hommes. La femme a été sanctionnée par le Code de la Famille, dont l’objectif était de limiter l’émancipation des femmes. Répudiées, les femmes se sont retrouvées dehors, récupérées par l’Etat dans des foyers, véritables ramassis des cas sociaux. Construits en périphérie de villes, entourées de murs décrépis, des communautés de pestiférés ont ainsi été créées. L’autre espace occupé par les femmes est le hammam. Au début réservé pour elle, elles en ont été petit à petit, exclues, puisque des plages horaires y ont été réservées aux hommes. La violence symbolique va devenir effective. Dans «Rayhana», il y a une lutte physique entre hommes et femmes autour du hammam. Dans le théâtre algérien, la domination reste masculine au détriment de la femme. La rencontre fut ainsi très intéressante, et le débat qui s’en était suivi avec l’assistance a été quelque peu passionné. Mais Souria Grandi-Sahli semblait bien partie pour maîtriser son sujet. Souhaitons-lui plein de succès dans la soutenance de son doctorat.

N. Si Yani

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