Le Café Littéraire de Béjaïa a organisé samedi dernier, sa première rencontre de la nouvelle année. Elle a eu pour invité le sociologue Lahouari Addi, qui a présenté l’édition algérienne de son livre «l’Algérie et la démocratie», publié aux éditions El Maarifa. Il était accompagné de Djamel Zenati, qui a préfacé son livre. La conférence a eu lieu au Théâtre Régional de Béjaïa. C’est Djamel Zenati, ancien député FFS et directeur de campagne d’Ait Ahmed aux élections présidentielles de quatre-vingt-dix-neuf, qui a pris la parole en premier. Insistant sur le fait que, malgré l’ancienneté du livre qui a été publié en France il y a de cela une vingtaine d’années, son contenu reste d’actualité. D’emblée, il a tenu à préciser que ce livre est constitué d’un ensemble d’articles que l’auteur avait déjà publiés dans la presse dans les années quatre-vingt-dix. Il a qualifié l’ouvrage d’imagerie sociale de très haute résolution. C’est une manière de réapprendre à faire de la politique en apportant une réflexion rigoureuse. Lahouari Addi est sociologue originaire d’Oran, enseignant universitaire au parcours élogieux, puisqu’en dehors des postes qu’il a occupés en Algérie et en France, il a aussi enseigné aux universités américaines de Princeton et de Georgetown. Il a commencé son exposé par attirer l’attention du public sur la nécessité de disposer de ce genre d’espaces d’expression, qui est le Café Littéraire de Bougie. L’écrivain ne devait visiblement pas s’attendre à autant de monde. Il a fait remarquer que la présence d’une foule aussi nombreuse était de nature à donner de l’espoir. La salle était, en effet, archi-comble. Le sociologue d’Oran a affirmé que ses écrits s’adressent à l’Algérie, car les sciences sociales sont empiriques. Elles traitent de situations concrètes. Bourdieu a écrit son livre sur la Kabylie, mais s’adressait au public français. Il répondait au discours colonial car il a été frappé par un certain racisme qui dominait dans le milieu académique français. Les sciences sociales, a-t-il dit, sont critiques. Nous avons besoin de faire notre propre autocritique. «La critique doit se faire de l’intérieur. Il faut un débat serein, même s’il peut être contradictoire, parce qu’on en a besoin. Il y va de l’avenir de nos enfants », a-t-il jugé. Cela dit, Lahouari Addi s’engage sur ce qui allait devenir le cœur de son intervention. «La valeur de la vie humaine est sacrée. La modernité s’est construite sur ce postulat». Revenant sur l’utilisation de la violence, il a insisté sur la nécessité de faire en sorte que seul l’Etat ait le droit de l’utilisation de la violence, à condition qu’elle se fasse dans le cadre de la loi et du droit. Si nous sommes sous-développés, c’est parce que nous ne sommes pas nous-mêmes. Depuis Ibn Rochd, philosophe musulman amazigh, la pensée musulmane s’est arrêtée. Depuis, la pensée et le savoir se sont déplacés vers l’Europe, avec la Société des Lumières. Avec la modernité on rentre de plein pied dans le religieux, puisque Dieu rentre dans la conscience de l’Homme. Il y a ainsi un plus grand respect de l’autre et de la vie humaine en Occident que chez les musulmans. Pour Addi, la preuve de l’existence de Dieu réside dans la complexité du corps humain. Comment alors porter atteinte à la vie qui réside dans ce corps qui exprime l’existence de Dieu ? Revenant sur la sacralité qui entoure l’Algérie depuis le mouvement national, l’auteur d’ « Algérie et Démocratie » affirme que l’Algérie c’est les Algériens. Il faut « re-sacraliser » l’individu dans le respect de chacun. L’origine historique de l’Etat algérien réside dans le mouvement de libération national, qui est né suite au refus de la modernisation du peuple algérien par la puissance coloniale. Après l’indépendance, l’ALN qui est devenu l’ANP s’est substitué à l’instrument de modernisation du pays. C’est par ce que nous n’avions pas de bourgeoisie comme en Europe que la nation algérienne a montré ses limites, incapable de donner naissance à un Etat de droit. À la place, on a eu le populisme. Le pouvoir exécutif refusait de laisser surgir les pouvoirs autonomes, syndicats, économie, université religion,… Le pouvoir ne faisait pas confiance à la société. Ce qui a conduit à l’étatisation et au contrôle du pouvoir économique. Boumediene s’était fait le représentant des tous les pouvoirs. Il voulait ainsi protéger la société des divisions. Ce qui a eu pour résultat l’étouffement du pays, en refusant l’émergence des corps intermédiaires. C’est pour cette raison que la religion a pris le relais. On a déshumanisé la société en lui refusant l’exercice de la politique. Alors que celle-ci est comme les pores du corps qui permettent à l’organisme de respirer. Le pouvoir exécutif a empêché la société de produire ses représentants. Lahouari Addi ajoute : « nous n’avons pas d’élite sociale capable de porter un projet de modernisation authentique ». Revenant sur les interprétations du Coran, le sociologue affirme qu’il ne peut pas y avoir une seule lecture du Coran. Est-ce, dans l’Islam, on pourrait trouver des outils de modernisation ? Il est possible, selon le conférencier, de critiquer l’interprétation médiévale de l’Islam. Selon Max Weber, c’est à partir des réformes religieuses qui ont permis la création du protestantisme que la modernisation de l’Occident a commencé. «La société algérienne est en train de se séculariser. C’est inévitable. Cela suscite une réaction hostile du courant religieux», dira-t-il encore. Insistant sur le développement du phénomène religieux dans la société algérienne, Lahouari Addi affirme que le religieux rentre dans le domaine strictement privé. C’est un autre moyen de vivre sa foi. C’est le basculement de l’Islam public vers l’Islam privé. Il ne faut pas avoir peur du changement culturel dans la pratique de la foi. Comme dans toute société en Algérie aussi il y a des intérêts divergents. Il faut réguler le politico-juridique pour gérer les divergences d’intérêt. La réalité algérienne montre que ce n’est pas l’Armée qui détient le pouvoir. Les officiers et les chefs de bataillons qui sont sur le terrain à faire leur travail de protection du territoire nationale ne font pas de politique. C’est l’administration militaire qui est la véritable détentrice de ce pouvoir. Après la fin de l’intervention de l’invité du Café Littéraire, la parole fut donnée au public pour engager le débat. Il y avait visiblement un malentendu quelque part. Beaucoup de questions sont passées à côté du sujet du livre et de la conférence. Il y avait certainement une incompréhension du public, à cause d’un certain nombre de concepts non définis par le conférencier. Ainsi, la différence entre laïcisation et sécularisation n’a pas été saisie d’emblée, créant un incident dans la salle. D’un autre côté l’auteur avait beaucoup insisté sur le phénomène religieux, provoquant la réaction d’un intervenant qui montrait visiblement qu’il n’avait pas saisi le sujet de la conférence, essayant de détourner le thème et de le récupérer. Lahouari Addi a insisté sur la nécessité de lever un certain nombre de malentendus, notamment sur un certain nombre de ses positions reprises dans la presse. Il a ainsi apporté des précisions sur un certain nombre de sujets qui n’avaient pas été abordés dans la conférence. À certains moments, les attaques ont été tellement virulentes qu’elles sont passées du thème de la conférence au conférencier lui-même, donnant l’impression qu’un procès avait été intenté au sociologue, non sur ses idées, mais sur sa personne même. Malgré le fait qu’il y avait un certain nombre de questions intéressantes, dans l’ensemble, le débat à dévié de son sujet et de son objectif. Alors que dès le début de la conférence, Djamel Zenati avait parlé sur l’adéquation du livre avec l’actualité présente, les sujets chauds du moment n’ont été abordés que de façon succincte. Il aurait probablement fallu plus de temps pour débattre sur tous ces sujets avec le recul nécessaire et la sérénité. Les conditions matérielles ne l’ont pas permis. Alors que la conférence promettait un débat de haut niveau, il n’a réussi à se hisser que très lourdement. Et au moment où des questions justement lourdes ont été abordées, le conférencier qui, apparemment, ne s’y attendait pas, se contentait de les effleurer, les qualifiant à juste titre de sujets lourds. C’est une des particularités du public dans cette ville. Il ne se contente pas du vernissage, il aime aller au fonds des choses. Mais durant cette conférence, force est de reconnaître que le public est reparti sur sa faim.
N. Si Yani