La mémoire éclatée

Partager

Que peut-on retenir, 35 ans après, du Printemps berbère ? De l’excellent, du bon et du moins bon. De l’excellent, nous pourrons noter l’unité des rangs qui caractérisait le mouvement berbériste à sa naissance. Il n’y avait pas alors les tiraillements auxquels nous assistons aujourd’hui, du moins depuis 1989 où le pluralisme de l’époque eut pour effet de diviser le Mouvement culturel berbère d’abord en deux, le MCB coordination nationale proche du RCD et le MCB Commission nationale affilié au FFS qui s’ingéniaient à se tirer dans les pattes. Mieux, la créativité culturelle, artistique, événementielle voire même politique qui singularisait ce Mouvement dans la clandestinité a fondu comme neige au soleil. Laissant place à des débats creux, vaseux et sans intérêts sur le sexe des anges. L’unité réalisée par la grâce de la lutte et l’esprit de sacrifice de ses initiateurs n’était plus mise en place aux divisions. Les compagnons de routes, de prison et d’infortune d’hier se sont mus en adversaires inconciliables. L’idéal qui devait transcender leurs différences a vite fait d’être relégué au superfétatoire, à l’accessoire au profit de combat de chapelles. Et comme un malheur ne vient jamais seul, une troisième tendance est née : le MCB Rassemblement national pour mieux brouiller les cartes et semer plus de divisions et de confusions. À chacun son MCB et vive le MCB grabataire ! La mémoire déchiquetée. C’est dans cette confusion, antérieure à la naissance de la troisième tendance, que fut décidée « la grève du cartable » qui avait coûté une année blanche avec les conséquences que l’ont sait. En tout état de cause, cette année où nos populations scolaires ont boudé les bancs ne fut pas tout à fait vaine puisqu’elle aura eu pour conséquence l’introduction de Tamazight dans le système scolaire algérien, à titre optionnel, la création du Haut commissariat à l’amazighité dépendant directement de la présidence de la République et doté de surcroît de « pouvoir exécutoire » dont il a usé rarement. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les MCB observent le profil bas. Les observations de kermesses, les inaugurations de chrysanthèmes et autres hommages continuent de poursuivre leur bonhomme de chemin et sont (re) convoqués à chaque 20 avril que Dieu fait. Tamazight comme élément constitutif de l’identité de la langue et de la culture des Algériens est-elle pour autant sortie des sentiers battus, des carcans bureaucratiques et des bâtons dans les roues de la part de ceux qui ne l’appréhendent que comme objet muséographique dans le meilleur des cas et folklorique dans le pire. Le 10 avril 2002, une révision de la constitution algérienne ajouta l’article 3 bis, reconnaissant « Tamazight » comme langue nationale. De plus, il se murmure depuis peu, ici et là selon les vœux de toute la classe politique, toute tendance confondue, du mouvement associatif, des personnalités politiques voire de la majorité des Algériens, sa future promotion en tant que langue officielle dans la prochaine révision constitutionnelle, ce ne sera que justice à l’endroit de plusieurs générations de militantes et de militants si la rumeur insistante est confirmée par les faits dans la réalité. Cependant, certains spécialistes, linguistes, sociolinguistes, grammairiens, anthropologues que les parlers amazighs sont en voie de minorisation. D’où viennent ces calamités et à quoi elles sont dues ? Indubitablement aux concernés eux mêmes. Comment ? Par les négligences dans la gestion de l’environnement historique, patrimonial, linguistique, sociologique et culturel. Et aussi par le retard pris dans les travaux de normalisation et de standardisation pour faciliter la communication inter dialectale et permettre à tous les locuteurs de cette langue d’inter communiquer à moyen terme. Cela dit, le chemin est long et semé d’embuches, mais il reste, toutefois, à redoubler d’effort dans la création et la recherche multidirectionnelle en Tamazight. Il n’est pas normal que nous puissions compter difficilement à peine 10 œuvres théâtrales et cinématographiques d’expression berbère dignes de ce nom. La médiocrité a envahi tous les espaces réservés à cet effet. Alors qu’on ne s’improvise pas cinéaste, dramaturge ou metteur en scène. Ce sont là des arts majeurs qui s’apprennent.                  

Sadek A. H.

Partager