Des acquis qui… s'acquièrent chaque jour

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Le chemin a été long- sans doute, il le sera encore pour quelques temps- depuis que le combat pour l’amazighité sous toutes ses déclinaisons (langue, identité histoire, culture), a été engagé au milieu du 20e siècle par quelques pionniers « téméraires »  au sein du Mouvement national, jusqu’à aujourd’hui où le panorama n’est pas simplement fait de marches et de banderoles, mais aussi d’acquis importants qu’il y a lieu de capitaliser et de pérenniser. 

Le plus grand défi, comme pour tous les combats que livre l’homme dans un contexte d’adversité est moins de lancer une action ou une organisation que de les maintenir, de les raviver et de leur donner un destin qui s’inscrit dans la durée. 35 ans après l’insurrection de la Kabylie en 1980, on ne peut pas accuser notre mouvement d’avoir mésestimé ou sous-évalué une telle mission, celle de s’inscrire dans le fronton du destin algérien d’une façon durable, définitive. Conduit par des jeunes qui avaient leur force fougueuse et, sans doute aussi, leurs faiblesses, le mouvement de revendication amazigh est la plus grande interrogation historique qu’ait eu à vivre notre pays après celle qui a ébranlé les bases de la colonisation. Autrement dit, les porteurs de la culture amazighe ont, en 1980, à secouer une histoire pesante, négatrice, castratrice, renforcée par un régime politique autocrate, imperméable à la liberté à l’esprit de citoyenneté et à la démocratie. C’est que le combat pour l’amazighité avait intégré dès ses premiers frétillements, toutes ces valeurs, ne se contentant pas d’une revendication purement linguistique.  Depuis le milieu du 20e siècle, le combat pour la culture et l’identité amazighes- indépendamment de la continuité historique qui ne s’est jamais flétrie- a eu trois grandes stations que l’Histoire enregistrera dans ses annales: la crise berbériste de 1949 (appelée ainsi par les tenants de la pensée unique du PPA-MTLD), qui a vu les meilleurs cadres du Mouvement écartés pour avoir demandé un débat libre au sein du parti au sujet de l’algérianité. Cette exigence- portée, entre autres par Amar Ouled Hamouda, Bennaï Ouali, Rachid Ali Yahia- fait suite à une missive envoyée par Messali à l’ONU dans laquelle le leader nationaliste fait commencer l’histoire de l’Algérie à partir du 7e siècle, à la conquête arabe. Il y eut ensuite le grand soulèvement du 20 avril 1980 qui a été déclenché comme élément factuel, par l’interdiction de la conférence que Mouloud Mammeri devait donner à l’université qui porte aujourd’hui son nom à Tizi-Ouzou. Et dernier drame qu’à eu à vivre la Kabylie dans sa chair, le Printemps noir qui a vu plus d’une centaine de jeunes assassinés par les gendarmes. Ce dernier mouvement, même s’il a eu un déclenchement différent par rapport à avril 80, en a largement prolongé le combat, s’inspirant totalement des idéaux du Printemps berbère. Dans les intervalles entre ces trois dates-phares, il n’y eut pas vraiment de vide. Juste après l’Indépendance, la Kabylie se souleva dans le cadre des maquis du FFS en 1963. Même si le combat identitaire n’était pas assumé en tant que tel- écrasé par le besoin d’ouvrir les voies vers le multipartisme et la démocratie et par l’état de guerre civile qui s’installa rapidement-, la rébellion du FFS était quasi exclusivement prise en charge par la Kabylie. Les adhérents des autres régions du pays ont vite rallié les structures du régime en place.  Pendant l’apparent silence sépulcral des années qui ont suivi le coup d’État de Boumediene, les militants et animateurs de la culture amazighs ont abattu un travail colossal dans l’anonymat et la clandestinité: cours…informels de berbère de Mouloud Mammeri, Académie berbère à Paris, publications distribuées sous le manteau, chanson engagée de Ferhat, Idir, Aït Menguellet, poésie de Ben Mohamed et Mohia, et tant d’autres réalisations qui allaient préparer, intellectuellement, le lit du soulèvement d’avril 1980. Aujourd’hui, l’Algérie est censée s’enorgueillir d’un mouvement qui revendique l’authenticité culturelle du pays, la conquête des valeurs de la citoyenneté et la consécration des valeurs démocratiques. Il se trouve que les pesanteurs historiques n’ont pas toutes disparu, alimentées par un conservatisme intégriste qui aliène l’authenticité algérienne et par un bâthisme qui jure par l’exclusion de l’autre. Mais, le chemin est bien tracée. « Jadis notre langue se transmettait de bouche à oreille, aujourd’hui elle sera écrite sur du papier ». Cette vision d’Aït Menguellet (1981), n’est plus une illusion. La langue est écrite dans des livres, enseignée dans des écoles, déclamée sur les écrans télé. Reste à lui donner plus de moyens techniques et de structures pédagogiques. Demeurera aussi le grand combat qui- du fait que la culture amazighe se veut moderne, libératrice de l’homme et de la citoyenneté- devra être portée sur le front politique mettre fin aux archaïsmes, à la centralisation jacobine de l’État, au respect des spécificités régionales et à la démocratisation de la vie sociale. Le combat amazigh ne peut pas se dérober de ces missions, inscrites sur son fronton dès les premiers boutons de fièvre du milieu du 20e siècle.  Restent les différences de vision entre les protagonistes de la cause amazighe. Plus que jamais, l’unité dans la diversité prend tout son sens, d’autant plus que, dans ce domaine comme d’autres domaines de la vie, les acquis ne sont jamais définitifs. Ils s’acquièrent chaque jour. 

     

Amar Naït Messaoud

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