«L’Algérie est unie et indivisible»

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Samedi dernier, au Théâtre Régional de Béjaïa, le Café littéraire de Béjaïa a organisé une rencontre avec Maître Rachid Ali Yahia autour de son dernier livre «Pour une Algérie Algérienne, Fédérale, Démocratique et Sociale», paru aux éditions Déclic. Le public est venu nombreux, et la salle était comble. D’emblée, l’homme politique annonce la couleur. «Le Mouvement berbère est né en 1945 et a connu des moments difficiles», dira-t-il. Le mouvement berbère serait né en vue de contrer le courant arabo-islamique en vogue dans ces années-là et permettre l’émergence de l’identité berbère. «A l’arrivée des Français en 1830, 80 à 90% des Algériens étaient berbérophones. Seules certaines régions d’Algérie utilisaient un arabe algérien, totalement différent de l’arabe classique», a-t-il rappelé. Ce qui a amené l’auteur à expliquer l’origine de l’arabe classique. Selon lui, «l’arabe classique n’existait pas au temps de la révélation coranique». Le coran aurait été rédigé dans l’arabe populaire de la Mecque, et ce serait Mouawiya qui aurait créé cette langue afin de dominer les peuples avec une langue supérieure et créer un clivage entre les dirigeants et les gouvernés. En affirmant des idées colonialistes, il a fondé la dynastie omeyyade. L’Islam est devenu un simple instrument entre leurs mains, et certains de leurs conseillers à Damas leur avaient suggéré de bâtir un empire comme les autres empires déjà existants. Depuis cette époque, a-t-il ajouté «quand quelqu’un se convertissait à l’Islam, il était automatiquement considéré comme arabe ». Ce fut le cas en Egypte, en Syrie, en Jordanie,…avant de le devenir également en Afrique du Nord. L’arabisation a été le fait des conquérants avant de devenir celui des autochtones. Mais l’arabisation s’est développée chez nous avec une extrême lenteur, jusqu’à l’arrivée des Français. Ces derniers ont totalement gommé et ignoré l’existence même de l’identité berbère. Seule la France et le peuple français existaient. Et le Mouvement National a très tôt adopté les idées et la revendication des nationalistes arabes du proche et du moyen orient. Maître Rachid Ali Yahia révèle: «Au début, l’Etoile Nord-Africaine avait pour ambition de défendre l’identité de toute l’Afrique du Nord. Mais elle opta pour la revendication arabe sous l’influence du Libanais Shakib Arslane, ardant adepte de la langue arabe et de l’arabo-islamisme». A sa dissolution en 1936, l’ENA revendiquait l’Algérie arabo-musulmane. Revendication reprise par le PPA à sa création. Plus tard, toujours selon l’auteur, «Le Mouvement de Libération Nationale a été lancé sous le slogan de l’Algérie arabo-musulmane». A l’indépendance, Ben Bella s’écriait : «Nous sommes arabes». Le conférencier a ajouté qu’«Il y a une étrange ressemblance entre les discours des colonisateurs. Nous sommes passés de nos ancêtres les gaulois à nos ancêtres les arabes», pour reprendre les déclarations du conférencier. Le même esprit colonisateur qui existait chez les Français existe également chez les néo-arabes. En 1980-81, il y a eu des manifestations à Tizi-Ouzou et Béjaïa. Tous les slogans auraient été tirés du manifeste pour une Algérie algérienne «que j’ai eu l’honneur de rédiger». A cause de cela, a dit l’écrivain, «j’ai été attaqué de toutes parts». Une alternative a alors été trouvée. «On a décidé de substituer à la revendication berbériste, une autre. Celle de la démocratie et de la justice sociale». Est-il possible de séparer ces revendications les unes des autres ? Peut-on être démocrate et occulter la revendication berbériste ? Les démocrates ont tous fini par intégrer la revendication berbère dans celles relatives à la démocratie, à la liberté et à la justice. Revenant sur le sujet de la langue arabe, le conférencier a une nouvelle fois affirmé que «l’arabe classique a été créé par l’aristocratie mecquoise en vue de dominer le peuple». Cette langue si décriée est aux yeux de Rachid Ali Yahia une langue « féodale et esclavagiste». Et c’est celle qu’on nous impose en Algérie. «Ce n’est ni une langue nationale ni une langue démocratique». L’Algérie s’est voulue être un Etat-Nation à l’exemple de la France. Or, il n’existe pratiquement aucun pays qui soit un Etat-Nation en dehors de la France. Ce modèle se veut exclusif, imposant un système unique et excluant toutes les différences et les richesses du pays. Ce dont l’Algérie a besoin, ce serait un système fédéral que le conférencier appelle de tous ses vœux. Pour lui, il existe deux sortes de populations en Algérie : les berbères berbérophones et les berbères arabophones. Il faudrait créer un Etat fédéral qui intègre ces deux dimensions et enseigne ces deux langues à tous les algériens. Mais dans tous les cas, il faut rappeler que l’Algérie est unie et indivisible, si nous sommes nationalistes et patriotes, il faut veiller à l’unité nationale dans la diversité et le respect des valeurs ancestrales de ce peuple. En Tunisie, Rachid Ali Yahia rappelle que Bourguiba avait fait la tournée de plusieurs pays arabes et islamiques. A son retour, il avait affirmé la dimension amazighe de la Tunisie, se réclamant même de la descendance de Jugurtha. Il paraît que dans son bureau, il avait fait poser une statue du roi berbère. Bourguiba se réclamait d’une Tunisie tunisienne. Il faut aussi se réclamer d’une Algérie algérienne. A quatre-vingt-sept ans, cet homme politique infatigable est hors pair, appelle encore à créer une sorte de super parti politique qui prenne en charge la revendication amazighe dans sa globalité. Ceux qui avaient été chargés de le faire jusque-là ont failli. Si cette revendication n’est pas satisfaite, le conférencier craint qu’une guerre fratricide affreuse ne se déclenche et durera plusieurs années, en faisant de grands dégâts risquant même de détruire l’Algérie. Le seul moyen de lutte devra donc être pacifique pour que l’intégrité nationale soit préservée et que l’unité du peuple soit sauvegardée. A la fin de la conférence qui était visiblement trop courte pour aborder tous les sujets de son livre, le conférencier s’est un peu irrité du peu de temps qui lui avait été accordé. Avant le début de la conférence, la salle prévue à cet effet avait été occupée par une autre activité qui n’a pas libéré les lieux dans les délais, causant un retard de près de trois quarts d’heure sur l’horaire habituel. Le débat par contre n’a pas tenu ses promesses. La plupart des intervenants se sont contentés de faire des commentaires plutôt que de poser des questions. Certains ont même failli faire des contre conférences. Une fois le micro dans la main, il est difficile de les arrêter, malgré le rappel à l’ordre par les organisateurs. La discipline prend décidément beaucoup de temps pour s’instaurer.

N. Si Yani

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