Expression exacerbée d'une mal-gouvernance nationale

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Les événements dans la vallée du M'zab se sont accélérés au cours de la première semaine du mois en cours, faisant près de trente morts et des centaines de blessés.

Ces accès de violences, qui se produisent à intervalles irréguliers, ne manquent pas de mettre une nouvelle couche d’opacité et d’incompréhension dans le paysage politique national, comme ils ne manquent pas d’interpeller les patriotes de ce pays sur les dangers de glissement ou de saut dans l’inconnu, particulièrement lorsque la plupart des facteurs environnants sont favorables à de tels dérapages.

Dans le train de mesures prises par le gouvernement sur place, à savoir le déploiement tous azimuts des services se sécurité épaulés par les éléments de l’ANP relevant de la 4e région militaire, arrestations de personnes prises en flagrant délit de violation de l’ordre public, perquisitions,… on enregistre également la surveillance des réseaux sociaux (facebook et twitter notamment), tant ces derniers ont été utilisés parfois pour diffuser la haine, le racisme et l’appel au meurtre. Cela a un nom : la cybercriminalité. Ironie du sort, le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication semble être appréhendé par certains énergumènes en Algérie comme un moyen de faire faire au pays des pas en arrière, le renvoyant au temps du tribalisme et de l’analphabétisme.

C’est qu’en réalité l’on n’est pas réellement sorti de l’analphabétisme. Ce dernier concept ne se limite plus au fait d’ignorer les lettres de l’alphabet ou le contenu d’un texte. Il englobe toute l’inculture qui sévit actuellement dans la société les déconvenues de l’école, l’extrémisme religieux, la multiplication des actes d’intolérance et une extrême perméabilité de notre jeunesse à toutes les dérives apportées par les chaînes TV orientales, les sites internet,…etc. Nous avions déjà dans notre journal, fait une approche du conflit qui a ensanglanté la belle vallée du M’zab en février 2014, en revisitant l’ensemble des facteurs qui ont rendu possibles et mûres de telles dérives.

Si une grande part des « analyses », comme aujourd’hui, encombrant les réseaux sociaux et certains sites internet, font une fixation sur le caractère ethnique et religieux, c’est que sur le plan méthodologique, il semble qu’il y ait inversion ou manipulation, si bien que l’on peine à jeter la lumière sur le cœur du problème en privilégiant les épiphénomènes. Nous reprenons ici les grands axes de l’analyse faite il y a plus d’une année sur un phénomène qui paraît constituer un condensé grandeur nature de la grande crise de gouvernance algérienne.

Une prise d’otage « sécuritaire » et… conceptuelle

Les événements qui se déroulent dans la vallée du M’zab depuis la fin de l’année 2013, ne manquent pas de héler les consciences et d’interpeller tous les Algériens, d’autant plus que le conflit qui avait fait alors quatre morts et qui, aujourd’hui, s’est soldé par 25 autres morts, est regardé par les uns comme d’origine ethnique et par les autres comme l’aggravation d’un schisme confessionnel, et ce, au début d’un nouveau millénaire dans une Algérie supposée pouvoir se délester des lourdeurs et des malentendus du passé pour s’engager résolument dans la bataille du développement. Les deux prétendues origines du conflit, telles qu’elles sont colportées trop diligemment par une partie de la presse et des médias audiovisuels, tiennent difficilement la route devant l’analyse des faits.

Ayant cohabité pendant plusieurs siècles dans une féconde pluralité culturelle locale, il serait insensé d’attribuer à ces différences culturelles l’accès de fièvre qui prend aujourd’hui en otage les populations Mozabites et Chaâmbi. En dehors des fibres sensibles sur lesquelles appuient les va-t-en-guerres et qui différent d’une région à une autre, le processus de « dissolution » de la société algérienne dans un standard centralisateur jacobin, stérilisant toute initiative locale et démantelant les anciennes solidarités sociales, demeure malheureusement le même.

La société algérienne a subi des changements radicaux, dictés aussi bien par la nature de l’organisation politique et sociale en vigueur depuis l’indépendance, que par l’invasion culturelle induite par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. À ces facteurs s’est greffé le développement effréné du salariat, permis par le développement du secteur énergétique au détriment de l’ancien mode de vie basé sur l’agriculture traditionnelle, l’artisanat et le négoce. Les solidarités sociales se sont partout effilochées, les liens familiaux se sont distendus jusqu’à la rupture, la « mésalliance » générationnelle, a atteint des pics inégalés.

La vallée du M’zab a été l’un des dernier bastions de l’organisation sociale solidaire et authentique de l’Algérie. Cette organisation s’est traduite par des comportements spécifiques, y compris dans les milieux de l’émigration interne mozabite, un mode de vie adapté aux contraintes et rigueurs du milieu saharien, une forme d’appropriation de l’espace public dicté par des dogmes et des valeurs culturelles bien ancrés. Pendant un demi-siècle, en croyant sans doute travailler pour le bonheur du peuple algérien, le pouvoir politique, incarné par le parti unique et ses satellites d’organisations de masses, a tenté de lisser les aspérités culturelles, de remplacer l’organisation interne de la société par des structures bureaucratiques contreproductives et de décider d’un développement dans les bureaux des ronds-de-cuir sans impliquer les populations. Les travers induits par ce genre de développement moulé dans le monopôle politique sont nombreux et variés, et la mobilité des populations n’est pas la moindre.

En l’espace de quelques années, la vallée du M’zab a subi des transformations urbanistiques et architecturales qui ont fait table rase des traditions, du patrimoine et des règles en vigueur dans cette région. Les inondations qui affectèrent gravement Ghardaïa et les villes voisines en octobre 2008 ont révélé le mal-développement qui ronge la vallée depuis au moins le début des années 1990. La rivière, autrefois limpide en hiver et au printemps, a été squattée dans ses berges par des « expatriés » venus des autres régions d’Algérie, pour y construire, illégalement mais en toute impunité des bâtisses que la crue s’est « chargée » de démonter.

Un centralisme castrateur qui a inhibé l’initiative locale

Sur un autre plan, les structures administratives de l’État sont mal adaptées pour prétendre suppléer aux anciennes organisations sociales de la région. À la moindre dérive, liée à une situation d’ordre public, ces structures se révèlent des coquilles vides. C’est à Alger, barycentre obligé du pays, que se prennent des décisions tendant à trouver des solutions pour des troubles se déroulant à 700 km de distance. Une fois débordées, les autorités paniquent, tentent la solution policière, puis se mettent vainement à chercher des intermédiaires crédibles pour éteindre l’incendie. Ces mêmes intermédiaires que l’on a tout fait pour les réduire au silence, les neutraliser et les dissocier de leur creuset naturel. Le ministère de l’Intérieur et le Premier ministre se mettent à chercher les « aïyen » (notables), alors que ces derniers, dans leur grande majorité ont été discrédités par leur perte d’autonomie induite par un État clientéliste.

À la lumière de ce qui se passe dans la vallée du M’zab, toute la littérature relative à la société civile devra être remise en cause et réécrite autrement, c’est-à-dire de manière à la faire correspondre aux idéaux et principes universels connus en la matière, l’organisation hyper-centralisée de l’État, qui annihile et neutralise les énergies de la société devrait être appelée à une profonde révision et les différences culturelles qui sont une richesse inouïe pour le pays, devront être prises en charge de manière équitable par les institutions publiques, aussi bien à l’école que dans les médias lourds. Sans aucun doute, la seule façon d’exorciser le démon du communautarisme et d’un pseudo conflit ethnico-religieux est de restituer à la société ses droits de s’organiser, de se développer et de s’épanouir selon sa vision propre, son rythme et ses canons. Tout le reste peut se révéler n’être que manœuvre politicienne ou dangereuse surenchère.

Amar Naït Messaoud

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