Entre déséquilibre et mal-développement

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Le déséquilibre territorial en matière de développement, et particulièrement d'investissements industriels, le retard dans la prise en charge de l'arrière-pays rural, auquel s'est greffée plus d'une dizaine d'années d'insécurité, ont bouleversé l'espace d'habitat et d'activité, au point d'étouffer la ville, de lui donner un développement dévoyé, loin des normes urbanistiques et architecturales et de vider la campagne algérienne de sa substance humaine, économique et culturelle.

Aux dernières statistiques, 20 millions d’Algériens habitent dans les villes, soit la moitié de la population totale. Est-il possible de ralentir cette tendance, ou bien de la canaliser de manière rationnelle à l’horizon 2025, lorsque la population totale du pays aura atteint le chiffre de 50 millions d’habitants ? Les aménagistes, les urbanistes et les sociologues attribuent une grande partie des désordres quotidiens que connaît la ville, en matière de dégradation continuelle de l’environnement, de banditisme, de guerre des gangs, de demandes jamais satisfaites en logements et de la saturation des services publics, à cette disharmonie qui caractérise le territoire national sur le plan du développement en général et à la l’excessive centralisation institutionnelle du pays, phénomène qui fait imparablement un puissant appel d’air à l’extension des villes, lieux, à la fois symboliques et réels, d’exercice du pouvoir et de l’ascension sociale. Aux anciennes petites villes coloniales, entourées de vignobles ou de champs de blé l’on a fait subir, dès les premières années de l’indépendance, de hideuses excroissances. Le phénomène prend généralement naissance depuis le centre des fermes, devenues domaines autogérés, où viennent s’agglutiner de nouveaux ménages, jusqu’à se rapprocher des confins des agglomérations urbaines. L’esthétique et l’ordre commençaient à pâtir de ces mouvements de populations, aggravés par la politique d’industrialisation ayant ciblé préférentiellement certaines régions du pays. Le dépeuplement des zones rurales était une conséquence logique de la création d’emplois dans les zones urbaines ou suburbaines, et de l’abandon de la campagne, malgré une certaine politique volontariste qui s’est cristallisée autour de la « révolution agraire », mais qui n’était soutenue par aucune stratégie d’aménagement du territoire. Les efforts des pouvoirs publics, tendant à mettre à la disposition des nouveaux arrivants en ville un surcroît de services publics (écoles, centres de santé antennes postales, centres culturels, stades, logements, réseaux d’électricité de gaz et d’eau,…), se reproduisent à l’infini, consommant budgets sur budgets, sans que se profile un ralentissement ou une rationalisation de la demande. Ces services publics sont parfois installés à proximité de bidonvilles et taudis que les populations « expatriées » ont créés autour des quartiers résidentiels ou dans certains talwegs attenants aux agglomérations urbaines. Il y a des situations où les pouvoirs publics, par les équipements et infrastructures qu’ils mettent en place, suivent l’anarchie initiée par les nouveaux foyers qui se forment dans des constructions illicites. Dans de pareils cas, on ne se contente pas de conforter ces ménages dans leur position, mais, on en arrive à régulariser des constructions illicites qui n’avaient ni titre de propriété ni permis de construire. Ces gestes, conçus originellement pour apaiser une situation particulière de « rébellion » sociale, se sont malheureusement multipliés au point où des milliers de citoyens, s’étant déplacés de la campagne à la ville, les ont vus comme une règle. Ce sont tous ces quartiers appelés dans certaines régions  »b’ni ou skout », une notion algérienne sui generis dictée par le chamboulement général de la société le laxisme de l’administration et le recul de l’autorité de l’État.

Promiscuité déviations et violence sociales

Cette situation prolonge et consacre la politique du fait accompli entreprise sous l’emprise de la pression terroriste, où des ceintures de misère, faites de baraques ou taudis en tôle, en parpaing ou autre matériaux légers, ont pullulé autour et à l’intérieur des périmètres urbains. Certains ménages y ont vécu deux décennies et d’autres plus longtemps, car ayant « élu domicile » bien avant la période d’insécurité. Les villes algériennes ont évolué pendant plus de dix ans dans une espèce de capharnaüm et de promiscuité lesquelles ont installé un cadre de vie à la limité de l’infrahumain, devenu par la force des choses quelque peu « familier », du moins, on s’en est presque accommodé particulièrement lorsqu’il s’agit de décharges sauvages, de dépotoirs crées à chaque coin de rue, d’eaux usées faisant sentir leur remugle à des dizaines de mètres, de disparition d’espaces verts,…etc. Mais, les choses se corsent et deviennent une affaire relevant de l’ordre public quand des maladies épidémiques sont signalées et il manque les structures sanitaires ou les médicaments pour les prendre en charge, lorsque aussi éclatent les émeutes à cause de la distribution de logement sociaux, quand la surconsommation d’électricité cause des délestages involontaires ou programmés, et lorsque des quartiers entiers sont inondés par des pluies parfois saisonnières et sans gravité. Le désordre est devenu presque une règle de vie ; le stress gagne aussi bien les citoyens que les autorités et responsables. Des enfants nés dans de telles conditions, ont grandi dans des bidonvilles, ont fréquenté l’école et le collège, sont déscolarisés et on versé dans les réseaux de drogue et la violence sociale. Même si les recasements et attributions de logements auxquels procèdent les pouvoirs publics commencent à réduire relativement le nombre de logements précaires et le nombre de bidonvilles, les nouvelles conditions de vie offertes aux bénéficiaires, dans des cités où se retrouvent des familles de différents horizons sociaux et de différentes origines géographiques, ne sont pas faites pour créer harmonie et bonne entente, outre qu’un grand nombre de ces cités ne dispose pas d’équipements sociaux et culturels permettant aux nouveaux arrivants de vivre sans grands heurts le « déracinement » et le nouveau voisinage. Est-ce un hasard que des guerres de gangs se déclarent avec une telle véhémence comme celle de la ville nouvelle de Ali Mendjeli à Constantine ? Ce qui est considéré par l’administration comme une opération de recasement ou de relogement, est vécu par les familles comme une sorte de « greffe » qui a mal pris, sachant qu’une famille n’est pas simplement un ensemble de corps physique à déplacer, mais des mentalités, une culture, un comportement, enracinés dans le réel. Avec toutes ses tares avérées, malgré les embouteillages quotidiens, générant stress et surcoûts économiques, et malgré aussi le coût de la vie, dans la ville tout doit être acheté sachant qu’il n’y a ni jardin potager ni basse-cour, la ville semble garder tout son attrait pour les Algériens. Certes, des programmes d’habitat rural ont réussi à redonner une autre image à beaucoup de zones rurales, des paysages attrayants ont été créés, d’autant plus qu’au-delà de l’aide de l’État, aujourd’hui fixée à 700 000 dinars, certains ménages se sont ingéniés à apporter une touche supplémentaire en matière d’architecture et d’embellissement, mais, comme l’on défendu dès le début des années 2000 des responsables de l’administration agricole, un logement, seul, ne fait pas vivre une famille.

L’avenir de la ville, ‘est la campagne

Hormis la nostalgie, sans doute amplifiée, de vouloir retrouver ses lieux d’enfance, presque rien dans la campagne algérienne de la fin des années 1990 ne prédisposait les ménages « expatriés » dans les villes à entreprendre un projet sérieux de retour dans la campagne. Néanmoins, avec les projets de développement rural qui sont initiés depuis une dizaine d’années, dépassant la simple notion de « résidence stérile » que pouvait procurer le logement rural, la donne est en train de changer sensiblement pour faire de la campagne un lieu d’investissement, de production, d’échange et de stabilisation. Le mouvement a été certes timide à ses débuts, mais le nombre de familles, habitant la ville depuis dix ans ou plus, qui se sont manifestées pour bénéficier des projets de développement rural, s’est largement multiplié au cours de ces dernières années. L’État réalise d’abord les infrastructures de désenclavement (routes et pistes) et les équipements publics nécessaires à la vie (électricité eau potable et même gaz de ville dans certaines bourgades). Ensuite, d’autres projets, créateurs de richesses et d’emplois, sont conçus par des comités locaux, chapeautés par des cellules communales d’animation rurale. Après leur adoption par la daïra, les projets sont transmis à la wilaya pour validation. Tous les secteurs sont impliqués, sachant que les activités proposées sont diversifiées. Et c’est pourquoi ils sont appelés Projet de proximité de développement rural intégré (Ppdri). Il est vrai que dans la réalité des lourdeurs sont encore enregistrées, particulièrement dans la coordination intersectorielle. Cependant, la prise de conscience progressive des populations, représentées par des animateurs, tend à mettre les différents acteurs devant leur responsabilité. Les actions de ces projets, outre les ouvrages collectifs de grande envergure et les équipements publics, se déclinent dans travaux de plantation fruitière, particulièrement l’olivier, d’amélioration foncière (labours croisés et profonds tendant à augmenter les rendements des céréales) et de mobilisation des ressources hydriques (forages, puits, sources), outre l’initiation des activités apicoles, avicoles et d’élevage ovin et bovin de dimension familiale. Les projets de proximité englobent aussi les métiers d’artisanat destinés à la femme rurale (tissage de tapis, poterie,…) et l’incitation au développement des produits du terroir. Globalement et malgré quelques difficultés de coordination, ces projets constituent une bouffée d’oxygène aux zones rurales défavorisées, lesquelles, en raison de l’enclavement, du relief accidenté de l’érosion des sols, de la dimension réduite de la propriété et de l’absence quasi générale des titres de propriété ne peuvent pas bénéficier des programmes de l’agriculture professionnelle organisée en filières. Il est temps que, dans le cadre de la politique de l’aménagement du territoire, du développement intégré et harmonieux de l’ensemble de l’économie nationale et de la promotion des valeurs de sociales et culturelles formatrices de la citoyenneté et de l’esprit de vivre-ensemble, l’Algérie revoie de fond en comble sa politique de la ville. Et l’élément qui pèsera le plus dans la balance dans une telle entreprise, demeurera l’intérêt qu’auront accordé les pouvoirs publics au développement des zones rurales. La maxime qui disait que « l’avenir de la ville est dans la campagne » n’a sans doute jamais bénéficié d’autant de signification que dans le contexte du défi actuel que notre pays est appelé à relever.

Amar Naït Messaoud

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