Où en est la culture scientifique dans notre pays dans le vaste univers de ce qu’il est convenu d’appeler la culture générale ? Quelle part lui réservent l’édition et les programmes scolaires ? Combien de revues et publications techniques sont produites par l’Algérie en sa qualité d’un des grands pays pétroliers et gaziers du monde ? Qu’est-ce que c’est que le pétrole ? C’est quoi le gaz ? Les réponses auraient dû être évidentes pour les écoliers et les étudiants d’un pays qui vit presque exclusivement d’hydrocarbures. Les vocations économiques de certains pays consacrant des activités particulières prédominantes font que, généralement, les habitants sont plus ou moins imprégnés du climat culturel et scientifique de ces activités. On peut prendre l’exemple des sociétés traditionnelles du Maghreb où la culture des céréales, l’exploitation de l’alfa, certains métiers artisanaux comme la poterie, la vannerie, la fabrication du goudron végétal,…etc. font partie du quotidien du peuple et donnent naissance à des discussions, des légendes, des poèmes et des chants. L’ancien pilier de l’économie kabyle, à savoir la culture de l’olivier, fait partie des techniques, du savoir et de l’imaginaire de la société tout entière. De même, les habitants de pays comme l’Argentine, l’Australie, la Nouvelle Zélande, fiers de leurs productions ovines et lainières, sont en contact permanent avec les techniques et les sciences qui régissent ces activités : zootechnie, cultures fourragères, filière agro-alimentaire du lait, traitement de laine, mégisserie,…etc. Même l’école, par ses textes de lecture, ses cours de sciences naturelles et de géographie, essaie de mettre l’élève dans l’ambiance économique, industrieuse et industrielle du pays.L’activité d’exploration et d’exploitation pétrolière en Algérie a débuté avec la découverte des premiers puits au début des années cinquante. La production et l’exportation iront crescendo, et la nationalisation des hydrocarbures le 24 février 1971 a été un moment phare de ‘’l’euphorie socialiste’’ de l’époque. L’importance de cette énergie, comme matière première servant à la fabrication de nombreux produits raffinés ne s’est jamais démentie et ce malgré des recherches continues visant à inventer et utiliser des énergies alternatives renouvelables et, probablement, plus propres que les hydrocarbures.Mais, le chemin qui mène vers la substitution d’une autre source d’énergie au pétrole paraît long, en tous cas l’or noir et le gaz ont encore de beaux jours devant eux.S’il y a un point fondamental dans la connaissance scientifique de cette matière première qui semble ne pas s’imposer à l’esprit du commun des Algériens c’est bien son caractère éphémère dans le temps. Si, par rapport à une génération, le volume de cette énergie paraît infini, la vérité la plus banale est que c’est une énergie fossile, donc non renouvelable. Son utilisation, qui a atteint un certain degré de ‘’démocratisation’’, s’est, du même coup, trop banalisée au point de ne susciter aucune interrogation particulière qui aiguiserait l’esprit de curiosité de la part des citoyens.Une des conséquences fâcheuses de cette rente à bon marché, qui nous donne le carburant, l’électricité, les matières plastiques, le butane, le propane,… etc, est que l’ancienne source d’énergie, à savoir le bois, est sujette à une destruction massive par les incendies, les coupes anarchiques pour s’approvisionner en bois de construction, les pâturages dans les jeunes reboisements et autres délits ayant entraîné un grave effacement du couvert végétal sur les versants de nos collines et montagnes ; ce qui nous a conduits à vivre des phénomènes d’érosion, d’inondations et de glissements de terrains qui n’avaient jamais atteint un tel degré de gravité par le passé.Il est connu que les populations, particulièrement celles qui ne sont pas instruites, ne sauvegardent que ce qui leur paraît immédiatement utile. Pour des questions écologiques, esthétiques et d’équilibre naturel, aucun travail de sensibilisation d’envergure n’a été fait jusqu’à présent. Même l’école ne joue pas son rôle dans ce domaine précis.Le paradoxe est que, maintenant, le pétrole et le gaz, qui sont la source principale de nos revenus, donc de notre pain, sont allègrement ignorés par les jeunes algériens ; ignorés dans leurs aspects scientifiques et économiques. Que le problème relève de la géologie, de la chimie, de la physique, de la géographie de l’exploitation ou du marché pétrolier, l’ignorance semble être le maître des lieux. Certes, on peut relativiser le jugement quand on sait que l’exploitation pétrolière est le monopole de gens spécialisés sur une portion du territoire national qui est un peu loin des yeux ; cela ne peut pas être la même chose que l’élevage ou la production de la laine, par exemple, qui étaient des métiers populaires dont les techniques et les petits secrets pénétraient jusque dans les foyers les plus modestes. Cependant, l’industrie et la science, tout en continuant à relever de corporations et de corps de métiers très spécialisés, ont également accédé aux moyens d’information et de communication les plus pointus et les plus répandus. Au moment où le prix du pétrole caracole sur les sommets vertigineux de 50 et 60 dollars le baril, combien de nos concitoyens connaissent ce que c’est que le baril ? Il contient combien de litres ?L’esprit d’assistanat alimenté par la rente pétrolière pendant des décennies a fait que notre attention n’est attirée que par la côte ou la bourse du baril. Aucune autre connaissance, scientifique ou d’ordre pratique, ne semble déranger notre béate quiétude.Roche mère et tableau de Mendeleïev J. Schwartz écrit dans son petit livre didactique ‘’Comment fabrique-t-on, le papier, le caoutchouc, le fer ?’’ : » Ne vous imaginez pas qu’il suffise d’une pelle et d’une pioche pour trouver du pétrole. Ce serait trop beau ! D’abord, il n’est pas tellement fréquent que le pétrole soit à proximité de la surface. Cela arrive, et il existe des exploitations à ciel ouvert. C’est le cas de la nappe pétrolière de Péchelbronn, en Alsace. C’est toutefois un cas exceptionnel. Normalement, il faut creuser des kilomètres et des kilomètres de sol avant d’atteindre le gisement. Il existe en Amérique des forages dépassant les six mille mètres. Pour vous donner une idée de ce que cela représente, songez qu’il vous faudrait à peu près une heure et demie pour effectuer cette distance à pied. Comment perce-t-on ce fameux trou ? C’est un travail long, délicat et dangereux’ ». L’auteur continue à expliquer pédagogiquement les étapes qui permettent d’installer le derrick (bâti constitué de poutrelles d’acier et prenant l’aspect d’un pylône géant), de manœuvrer le trépan (sorte de vrille qui s’enfonce dans le sol à très grande vitesse), de placer les tubes successifs et, enfin, de percer la poche dans laquelle est emmagasiné le pétrole. Sorti à l’état brut, le pétrole est inutilisable. Il va falloir l’épurer, le transformer et le raffiner. Pour la partie du brut destinée à l’exportation en l’état, des oléoducs encastrés dans le sol permettent de l’acheminer sur les ports ou directement sur les raffineries des pays destinataires.Des noms évocateurs, magiques, synonymes d’opulence et de rente facile ont fini par hanter l’esprit des Algériens : Hassi Messaoud, Hassi Berkine, Hassi R’mel,…Cependant, nos collégiens et lycéens ne sont pas capables de citer d’autres noms aussi importants et aussi stratégiques que les premiers cités : Haoudh El Hamra, Rhoude Nouss, Tin Fouyé-Tabankourt, Ohanet,…De même, les cours de géologie des collèges et lycées n’insistent pas sur l’origine du pétrole en expliquant que cette matière est d’abord une roche huileuse qui provient de la décomposition sur des anciens fonds marins ou lagunaires, sous l’action des bactéries, des cadavres d’une multitude d’algues et d’animaux. Et, pour faire ‘’sentir’’ le facteur Temps, il faut aussi apprendre aux élèves que ce processus a commencé il y a au moins 160 millions d’années.La distillation du pétrole qui a lieu dans des raffineries donne plusieurs produits ou sous-produits. Une grande partie de la population n’en connaît que l’essence automobile et le mazout. Et pourtant, les résultats du raffinage sont autrement plus riches : produits plastiques (vaisselle, sachets,…), produits pour peintures, pour la pharmacie, lubrifiants, hydrogène industriel, le soufre,…etc. Nous sommes déjà dans la pétrochimie, une grande branche industrielle créée par l’industrie pétrolière. La méconnaissance des hydrocarbures touche avec la même importance la branche du gaz. Combien de personnes se posent la question de savoir d’où nous vient l’énergie électrique que nous consommons sans modération ? Et combien savent qu’une partie de cette énergie nous vient des stations hydroélectriques comme celle de Souk El Djemaâ dans la commune de Yatafene ?Que signifient pour nos écoliers les mots propane, butane, méthane, acétylène ? Il faut ici rappeler que l’enseignement de la chimie au lycée reste le parent pauvre des sciences expérimentales. Tout le monde sait que dans le cours de physique/chimie, c’est la physique qui est privilégiée. Le tableau périodique des éléments de Mendéleiv est vu par une grande partie des lycéens comme une véritable corvée. Pour un pays comme l’Algérie qui a investi dans l’enseignement spécialisé pour former des cadres dans le secteur pétrolier, c’est un véritable paradoxe. Le sérieux et la rigueur ayant prévalu dans les instituts de Boumerdès(INH, IAP, IAP, INELEC,…) n’a pas pu rayonner ou déteindre sur les autres structures scolaires ou universitaires pour inculquer aux élèves le goût des sciences, et particulièrement celles en relation directe avec notre économie pétrolière(chimie générale, chimie organique, géologie, géophysique).
La culture scientifique dépréciéeEn Algérie, les moyens de communication audiovisuels ne jouent presque aucun rôle dans la formation de l’esprit scientifique. La Télévision nationale n’est pas connue pour ses documentaires et ses analyses sur le secteur qui fait vivre toute l’Algérie. Ah oui ! Il y a bien sûr le fameux 24 février, journée pendant laquelle l’ENTV nous rabat les oreilles avec les slogans aujourd’hui périmés. Des documentaires sur l’exploration, l’exploitation, le raffinage, la pétrochimie, la connaissance des sociétés nationales et étrangères intervenant dans ce secteur, tout cela, niet ! Même si nous avons tous des proches et des amis travaillant dans les chantiers et entreprises du sud, le personnel pétrolier et gazier nous paraît comme une petite secte repue et discrète parce que nous ignorons tout du travail qu’il accomplit. Notre télévision est juste chargée de nous insuffler la joie des 60 dollars le baril ou la déprime du seuil tolérable fixé par les argentiers du pays, à savoir 19 dollars (base sur laquelle est élaborée la loi de finance algérienne).Pour revenir à l’enseignement général, même nos livres de lecture ne nous apportent rien en matière de ‘‘climat culturel’’ sur la première branche de l’économie algérienne. C’est plutôt dans un ancien livre de lecture française datant des années 70 et publié par l’IPN que nous retrouvons quelques textes qui mettent un peu dans le ‘’bain’’ de la science, du savoir et du travail, y compris par des poèmes, les élèves du collège. Prenons cet exemple d’un poème de Maurice Magre extrait de sa ‘’Grande plainte’’ :‘’Nous avons travaillé sous l’ombre des usinesLa force de nos corps coula dans nos sueursNos rêves ont gémis dans le chant des machinesNos dos se sont courbés sous le faix des labeurs.Nous sommes descendus sous la terre profonde Chercher le minerai mystérieux et pur.Et nous avons bâti des ponts, des tours des murs, Des temples, des vaisseaux et des arcs de triomphe.Et nous avons aussi promené notre effortSur les sombres sillons, parmi les champs immensesNous avons labouré devant les granges d’orRêvé les nuits d’hiver, aux lenteurs des semences.’’Peine, labeur, joie devant le travail bien fait, rêve de récolter les fruits de travaux exécutés au champ, à l’usine, dans les galeries de mines, sur le chantier d’un bâtiment, ce sont là des idées et des thèmes qui peuvent familiariser les élèves avec le monde et les valeurs sacrées du travail, avec la peine et les rêves des bâtisseurs et avec le monde des sciences et des techniques.
Amar Naït Messaoud
