La problématique de la recherche scientifique en Algérie continue à se poser sur un double plan, à savoir, d'une part, comme un continuum logique des études universitaires censé faire avancer ces dernières vers un champ plus vaste de la connaissance, et d'autre part, comme une passerelle obligée avec le monde de l'économie sans lequel la recherche n'aurait pas toute sa justification.
En effet, comme le commandent le niveau de l’université algérienne et sa place, jusqu’ici modeste, dans le classement mondial, et comme l’exige le processus de développement de l’économie algérienne, coincé dans une logique rentière quasi hermétique à la diversification, la tendance qui se dessine pour la recherche en Algérie est celle orientée vers l’application des découvertes ou inventions, permettant de les intégrer dans les circuits industriels. La recherche fondamentale, au sens classique du terme, même si elle n’est pas à exclure, bénéficie de circonstances moins favorables, aussi bien en raison de la complexité de son financement que des préalables scientifiques et pédagogiques qu’elle requiert. En tout cas, l’économie algérienne, dans la phase cruciale qu’elle traverse- disponibilités financières et statu quo de l’hégémonie de la sphère des hydrocarbures- se trouve dans un besoin pressant et vital de l’intervention de la sphère universitaire pour lui conférer d’autres perspectives qui feraient émerger d’autres possibilités de croissance dans les domaines de l’industrie, de l’agroalimentaire, du tourisme, des nouvelles technologies de l’information et de la communication,… etc. « Dans le cadre de la réforme de l’enseignement supérieur à travers ses différents cycles de formation, nous nous attelons à renforcer les liens entre la formation et la recherche en tant qu’objectif essentiel. Ainsi, des mécanismes pour promouvoir la formation par la recherche ont été adoptés dans un texte juridique relatif aux doctorants, les intégrant dans le système national de recherche et les stimulant à accomplir des activités de recherche dans le cadre des thèmes programmés, en bénéficiant d’une bourse d’étude équivalente au salaire national minimum garanti (Snmg) », a déclaré l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Mohamed Mebarki, au cours du forum Université-Entreprise organisé en mai 2014. Il annoncera à la même occasion que, dorénavant, les formations en master seront imbriquées d’une façon obligatoire aux laboratoires de recherche, « afin de permettre à l’étudiant de s’exercer sur la recherche et le développement de projets innovants ». Ce qui, d’après le ministre, permettra à certains des post-gradués de promouvoir leurs innovations à travers la création d’entreprises start up. Sur l’ensemble des 2100 projets de recherche exécutés dans le cadre du Programme national de recherche (Pnr), 400 sont jugés « valorisables » et présentent une valeur ajoutée certaine, dont il faut tirer profit.
Le défi de la détermination optimale des besoins de la recherche
Notre pays ne peut pas verser dans le « luxe » de financer et de produire des recherches qui resteraient dans les tiroirs ou dans le disque dur de l’ordinateur. Tout plaide pour une vision pragmatique pour explorer dans toute sa dimension le segment de la recherche-développement, lequel non seulement valorise les résultats de la recherche, mais, mieux encore, suscite les axes de recherche en relation directe avec les besoins de l’entreprise et de l’économie nationale. Au cours du Salon national de la valorisation des résultats de la recherche, tenu en avril dernier à Oran, des conventions de partenariat et de coopération entre les établissements universitaires de recherche et des entreprises économiques ont été signées. Mais cela demeure insuffisant, sachant qu’un grand nombre d’entreprises, par faute de management rationnel à la hauteur des défis, n’arrivent pas à identifier, ni a fortiori, à quantifier leurs besoins en matière de recherche. Le maillon qui fait la transition entre, d’une part, les limites actuelles, sur le plan technique et technologique, et, d’autre part, les possibilités d’extension, d’amélioration qualitative et de diversification de la production, demeure flou, quasi invisible, et, partant, inexploré. La faute n’incombe pas uniquement à l’entreprise, mais également au monde universitaire maintenu trop longtemps dans un vase clos, dans une tour d’ivoire, qui ne permet même pas de justifier l’allocation d’un budget qui s’accroît d’année en année, consacré à la construction de nouvelles universités, à l’acquisition de nouveaux équipements (laboratoires, matériel informatique, connexion internet et intranet,…) et au payement des salaires des enseignants, sans parler des œuvres universitaires (cantines, résidences, bourses, transport,…).
S’appuyer sur le potentiel endogène
Le budget de la recherche, qui demeure exclusivement un budget public, a représenté dans le plan 2010-2014 quelque 0,63% du produit intérieur brut, soit un montant de 100 milliards de dinars répartis sur le budget de fonctionnement, le budget d’équipement et le Fonds national de la recherche scientifique et du développement technologique (Fnrsdt), les trois budgets étant générés par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Le nouveau plan quinquennal 2015-2019, dont les axes et les montants sont appelés à être revus suite à la crise financière qui frappe notre pays depuis juillet 2014, réserve évidemment une part de financement à la recherche scientifique. Les ambitions du ministère de tutelle est de le rehausser à 1% du PIB, sachant que des pays émergents arrivent à allouer à la recherche scientifique 1,5% de leur PIB. Cependant, comme l’on signalé des analystes, le budget de la recherche en Algérie n’arrive pas à quitter son extraction d’origine, à savoir des fonds publics consentis sur le budget de l’État, alors qu’ailleurs, les entreprises mettent la main à la poche pour un tel objectif. Cette réorientation du montage financier pour le budget de la recherche s’impose, particulièrement dans le contexte de la crise économique que traverse l’Algérie. Ici, on retrouve la problématique de la volonté de la participation du monde de l’entreprise à ce vaste chantier de l’avenir dont dépendront le développement général du pays et ses possibilités d’accès au diapason des pays émergents. Si des prospectivistes ont projeté l’Algérie dans la sphère des pays émergents aux horizons 2025, ce n’est pas sur la base des rythmes et des performances actuelles; c’est plutôt sur la base d’une vision de la libération des énergies créatrices pouvant assurer et assumer les jonctions entre le monde de la production et celui de la science, de la technique et de la recherche universitaire. L’ancien ministre de la Prospective et des Statistiques, Abdelhamid Temmar, soutient que « l’Algérie n’aura d’autre choix que de s’appuyer sur son potentiel endogène pour rejoindre le niveau des pays émergents ». À l’occasion de la présentation de son livre, publié sous le titre « La transition de l’économie émergente, références, théories, stratégies et politique », il fera part de sa vision concernant notre pays, en estimant que « la mise en place d’une politique de relance et de croissance endogène devient incontournable dans un monde dominé par des rapports économiques internationaux basés sur de nouvelles logiques d’accumulation et de développement (…) L’Algérie possède les potentialités essentielles pour aboutir à une économie émergente axée sur un appareil de production efficace et fiable ». Le processus de privatisation, totale ou partielle, qui avait touché jusqu’en 2007, un certain nombre d’entreprises publiques économiques, n’a pas vraiment permis la connexion tant recherchée entre la sphère de la production industrielle et la sphère de la recherche scientifique. Pourtant, des préjugés favorables avaient bien prévalu pour cette préoccupation majeure, faisant valoir que les actionnaires privés seraient plus à même de chercher la meilleure rentabilité pour les entreprises, y compris par l’injection d’une part de la recherche scientifique, afin d’améliorer des process industriels, le management de l’information et de la gestion des ressources humaines. Ce fut plus une illusion qu’une réalité car enfin de compte, le mal de l’économie algérienne, d’essence rentière, est partagée par toutes les structures et entités classées dans cette catégorie d’entreprises économiques.
Pour 20 dollars exportés vers l’UE, l’Algérie en importe pour 80
Feu le professeur Abdelmadjid Bouzidi défendra l’option de la privatisation externe, destinée justement, d’après lui, à secouer le statu quo régnant dans nos entreprises. « Notre économie a plus besoin de privatisation externe, c’est-à-dire une privatisation même partielle, au profit de repreneurs étrangers technologiquement performants et ‘installés’ sur quelques marchés extérieurs. La privatisation interne n’est pas à exclure, bien évidemment, mais, elle ne peut pas être le noyau central de la démarche » (in Les Années 1990 de l’économie algérienne). Pour un grand nombre de partisans de l’efficacité économique, cette option a constitué un certain moment, une alternative crédible, voire incontournable. Cependant, depuis 2009, les choix stratégiques de l’Algérie ont changé- arrêt des privatisations, maintien de l’assainissement financier pour certaines entreprises publiques, conditionnement des investissements étrangers à la règle des 51/39 %-, sans que le recentrage opéré ait pu donner une visibilité assez convaincante sur l’évolution du monde de l’entreprise. Entre-temps, l’Accord d’association avec l’Union Européenne, entré en vigueur le 1er septembre 2005, a produit ses effets négatifs sur l’entreprise algérienne de façon générale. Le démantèlement tarifaire de plusieurs centaines de produits, qui sera couronné par la zone de libre-échange en 2020, a porté un coup terrible à certains secteurs de la production nationale. Le partenariat est, d’une façon hégémonique, dirigé par le commerce ; l’Algérie étant vu d’abord comme un pays de 40 millions de consommateurs avec un pouvoir d’achat revigoré du mois jusqu’en 2014, par les recettes pétrolières. Pour 20 dollars exportés vers le territoire de l’Union Européenne, l’Algérie en importe pour 80. Les investissements créateurs de richesses et d’emplois tardent à s’installer en masse, d’où la chimère des transferts technologiques dont se sont longtemps gargarisés les pouvoirs publics.
Le système LMD et ses dysfonctionnements
Le véritable investissement technologique, ou de n’importe quel maillon technique de la vie de l’entreprise, ne peut être que le résultat de passerelles qu’auront à fonder le monde économique algérien avec le monde universitaire. De ce fait, il est attendu un rapprochement « bilatéral », venant aussi bien de l’entreprise que de l’Université bien que la première constitue partout dans le monde le premier déclic, du fait qu’elle se trouve dans le besoin de se perfectionner, de mieux rentabiliser ses installation, de s’étendre et d’innover. D’où, dans les prochaines années, la problématique de financement dont l’équation ne peut demeurer figée dans le seul budget de l’État, avec, actuellement, des résultats incertains. « La recherche et l’innovation sont des facteurs déterminants dans tout projet de développement répondant aux aspirations de la société pour le progrès et la prospérité », reconnaît Mohamed Mebarki, ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique, au cours du forum Université-entreprise. Et c’est dans cet esprit, explique-t-il, que la réforme de l’enseignement supérieur, -« l’adaptation d’une partie des programmes et des contenus aux besoins du développement du pays »- a été menée. « La création de licences et masters professionnels devait répondre aux besoins directs de l’entreprise, qui doit contribuer à la définition des programmes d’enseignement et s’ouvrir aux étudiants dans le cadre de leurs stages pratiques. Il y a lieu, malheureusement, de constater que des dysfonctionnements persistent à ce niveau », déplore-t-il.
Amar Naït Messaoud