Les horizons brouillés de la communication institutionnelle

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Les institutions et structures publiques, à vocation administrative ou économique, sont supposées être dotées de cellules de communication qui travaillent avec le monde des médias, afin de faire connaître les activités des entités représentées et de faire la promotion de leur image.

Un grand nombre d’institutions publiques (des CHU, des universités, des structures de Sonelgaz, de l’ADE,…) ne disposent pas encore de cellule de communication. Celles qui en disposent, et à quelques exceptions près, leur efficacité sur le terrain n’est malheureusement pas toujours prouvée. À contrario, même si le mouvement est encore timide, des entreprises privées commencent à s’intéresser au volet de la communication, auquel il est aussi adjoint celui du marketing. De quelle institution le chargé de communication est le « porte-parole »? Autrement dit, les cellules de communication peuvent-elles être plus « performantes » que les structures publiques desquelles elles dépendent? Par-delà leur formation initiale, supposée être liée aux sciences de la communication, les chargés de communication sont-ils bien intégrés dans les rouages de leurs institutions respectives et imprégnés des réalités de la gestion, pour qu’ils puissent accomplir le travail dont ils ont la charge dans les règles de l’art? Censés être l’interface de l’administration avec les médias (journaux, télévision, radio), les chargés de communication ne sont pas toujours dans leur « élément » lorsqu’il s’agit de représenter leurs structures auprès de ces organes et donner l’information recherchée. Dans certaines administrations, ils sont vus comme des « intrus », des « agents secrets », auxquels il ne faudrait pas fournir toute l’information. Une fois appelés à intervenir devant les médias, qu’auront-ils à donner s’ils ne disposent pas de chiffres, de statistiques, de faits,…?

En abordant le créneau de la communication institutionnelle, le ministre de la Communication, Hamid Grine, avait appelé en 2014, à une relation «professionnelle et de confiance» entre les chargés de communication institutionnelle et les journalistes. Il a aussi rappelé la nécessité du respect des règles déontologiques.

Une mission et des responsabilités

« Le chargé de communication doit respecter le journaliste, ne pas lui mentir et ne pas le manipuler », recommande le ministre. Afin d’être à la hauteur de sa mission et l’accomplir dans les meilleures conditions, le chargé de communication d’une institution publique devrait bénéficier de formations complémentaires, a suggéré le ministre. De même, il estime « important » que le chargé de communication soit en contact permanent avec son responsable hiérarchique. Ce dernier doit être consulté avant la diffusion de toute information.

Cependant, la consultation du chef hiérarchique, juste avant de donner l’information aux journaux, à la radio ou à la télévision, est loin de pouvoir constituer une matière consistante pour honorer sa mission. Un chargé de communication qui n’est pas complètement intégré dans la structure qu’il représente sur le plan de l’interface médiatique, qui n’en connaît pas le détail de fonctionnement, qui n’a pas à sa portée les bilans périodiques (hebdomadaires, mensuels, annuels), qui n’est pas en contact permanent avec les chefs de service, aura beaucoup de mal à accomplir son travail de communication, d’autant plus que ce dernier ne se limite pas à débiter des missions courantes de son administration, mais à expliquer des faits et d’argumenter des chiffres. Ces faits peuvent être importants, stratégiques ou même objets de litiges (entreprises qui remettent en cause les choix opérés par les maîtres d’ouvrage, abandon de travaux par des entreprises titulaires de marchés, origine probable d’une maladie épidémique prise en charge par une structure hospitalière, explication de la part de responsabilité de l’ADE dans la non-fourniture de l’eau à un quartier ou village qui a dressé des barricades sur la route, etc.). De quelles armes informationnelles ou de « prérogatives » dispose le chargé de communication lorsque la structure même qui l’emploie joue à la « cachotterie », montre des réticences à rendre publics ses bilans et à affronter l’opinion publique? Restreindre le débat à une simple professionnalisation de la relation du chargé de communication avec les médias ne paraît pas pouvoir résoudre le problème de fond, à savoir la définition du rôle et de la mission de la cellule de communication dans les institutions publiques. Cela revient aussi à rechercher et évaluer l’impact de ces dernières dans la vie publique, particulièrement au niveau du cadre de vie du citoyen et en matière de prestation de service public. Les deux termes de l’équation- institutions publiques/cellule de communication- ne peuvent pas être séparés. C’est une fois éclaircie et redéfinie la relation entre ces deux entités, que l’on pourra s’occuper sérieusement de la relation avec les médias.

Bureaucratie et rétention d’informations

Que ce soit sur le plan de la communication ou de la prestation des services publics, les efforts de réforme que l’administration algérienne est appelée à fournir sont encore considérables, afin de pouvoir se mettre au diapason des nouveaux défis. Se rapprocher du citoyen, gagner en efficacité tout en réduisant le train de vie des structures trop budgétivores, faire jouer la transparence, accompagner l’économie nationale dans ses efforts de relance, sont autant de chantiers pour un secteur qui emploie près de deux millions de fonctionnaires, entre administrations civiles, services de sécurité et armée. Si l’administration publique a été fortement critiquée par la population et par ses partenaires (entreprises, investisseurs, associations, institutions internationales), elle l’a surtout été sur le plan du manque d’efficacité et de bureaucratie, deux termes qui, à bien y réfléchir, peuvent résumer l’ensemble des travers et errements d’une institution à plusieurs facettes, mais bâtie sur le même moule de l’organisation pyramidale et centralisée. En décembre 2014, l’Algérie a commémoré le 40e anniversaire de la mort de Ahmed Medeghri, ancien ministre de l’Intérieur, que l’on a qualifié de « père » de l’administration algérienne postcoloniale. Avec son sens de l’organisation et de la gestion, l’ancien ministre avait assis les bases de l’administration, en prolongeant et perfectionnant l’héritage de l’administration coloniale qu’il fallait adapter à la nouvelle étape du pays. Quarante après, et avec des moyens techniques et technologiques inédits, le constat est loin de puiser dans l’optimisme. La baisse du niveau et de la qualité des prestations de l’administration est, au cours de ces dernières années, aggravée par le recul de l’autorité de l’État. Une espèce de déliquescence a gagné l’ensemble des organes de l’administration publique. Il n’y a qu’à suivre les plaintes (au propre et au figuré) des citoyens pour se rendre compte de la profondeur du malaise. Les constats faits en 2002 par la commission des réformes de l’administration et des missions de l’État, présidée par Missoum S’bih, étaient sans appel: inefficacité bureaucratie, faible niveau de formation et d’autres diagnostics aussi inquiétants les uns que les autres. Le système de communication au sein des institutions publiques- communication interne- ou entre ces dernières et l’opinion nationale, via les organes d’information- communication externe- ne peut qu’être empreint des faiblesses générales grevant l’administration publique. Une administration affectée par la baisse du niveau universitaire, le départ en retraite anticipée de ses meilleurs cadres, l’éclatement en « clans » de ses personnels, la corruption, trouvera naturellement beaucoup de mal à communiquer. Quelques hauts responsables de l’administration avouent crûment que leurs structures ne communiquent pas ou communiquent mal.

Courroie de transmission

L’on se souvient du séminaire sur la communication institutionnelle organisé par le ministère de la Communication en juin 2013 à Alger. Ce séminaire a vu la participation d’un panel d’experts algériens et étrangers. Il a été organisé sous la devise: « Communication institutionnelle: citoyenneté et développement ». Un intitulé par lequel on a essayé d’embrasser le champ d’intervention de la communication, et surtout les articulations de ses impacts économiques et sociaux. Le Premier ministre, M. Abdelmalek Sellal, y avait fait état de la volonté de l’État à « promouvoir cet aspect stratégique de la communication en situant ses enjeux et ses défis ». Il a alors exhorté toutes les institutions de l’État à travailler dans la transparence  » pour permettre aux journalistes d’accéder aux informations adéquates au moment opportun ». Le journaliste, estime Sellal, est « une courroie de transmission entre les institutions et les citoyens ». Mais, une courroie de transmission qui ne peut assurer complètement sa tâche que par la volonté de l’administration d’introduire la transparence et la régularité dans sa gestion quotidienne. « La lutte contre les rumeurs impose l’obligation de fournir une bonne information », estime le Premier ministre, en ajoutant: « il y a lieu d’éliminer les sources d’une confidentialité inutile qui, de surcroît, participe à semer le doute dans l’esprit des citoyens malgré le fait que l’État ait accompli des réalisations palpables ».

Comme on le voit, la balle ne se situe pas exclusivement dans le camp du chargé de la communication, en tant que simple articulation d’un rouage bien plus compliqué. La communication institutionnelle est censée être prise en charge efficacement dans le cadre général des réformes de l’administration; réformes faisant partie intégrante de la démocratisation des institutions et de l’État.

Amar Naït Messaoud

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