L’olivier, richesse de la Kabylie

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Par Rachid Oulebsir

Un verger en régressionLe verger oléicole algérien a régressé sous la contrainte de facteurs multiples générés par des choix politiques en matière de développement qui ont poussé le paysan à l’abandon de ses arbres et au départ vers la ville. L’Algérie avec ses 20 millions d’oliviers représente à peine 1/5 de ce que possède un minuscule pays comme la Grèce et moins de la moitié du verger tunisien ou encore la moitié du patrimoine marocain. Comparativement l’Espagne possède un verger estimé à plus de 200 millions d’oliviers !L’oléiculture dans le monde connaît depuis une vingtaine d’années des changements structurels importants sur deux axes : D’une part, l’apparition de nouvelles techniques de production de plants, de pratiques d’intensification de rajeunissement des oliveraies a révolutionné la culture de l’olivier dans plusieurs pays pivots du Sud de l’Europe. D’autre part, le développement de nouvelles technologies d’extraction de l’huile d’olive (la centrifugeuse remplace progressivement le pressoir) qui agit sur les coûts de production de l’huile à la baisse pouvant de nouveau concurrencer les huiles et les graisses végétales (soja, tournesol…)Les résultats de ce double effort se sont traduits par une tendance marquée à l’accroissement de la production de l’olive de table et une augmentation moins spectaculaire de la production d’huile d’olive avec une amélioration de la qualité des huiles et du rendement au quintal par l’introduction de variétés plus juteuses.

Des rendements aléatoiresL’Algérie subit cette tendance. Les décideurs des années 80 avaient préféré investir dans le renouvellement de l’équipement industriel oléicole sans apporter d’amélioration au verger. Le potentiel de transformation (huileries) s’est enrichi de plus de 500 moulins modernes automatisés, à partir de 1985, dans le même temps la production de l’huile d’olive a stagné, voire régressé relativement à l’accroissement démographique. L’évolution de la production d’olives et de l’huile d’olive est donnée par le tableau suivant : Sur 10 années, nous avons 2 campagnes exceptionnelles. L’année 1996 et l’année 2004 enregistrent des quantités doubles de la moyenne de la décennie. Ces récoltes exceptionnelles sont le résultat d’une pluviométrie au dessus de la moyenne, des hivers particulièrement enneigés des années précédentes. L’oléiculture de Kabylie est encore tributaire des changements climatiques, ce qui n’est pas le cas des pays voisins, qui ont modernisés la branche oléicole pour la libérer des aléas climatiques.L’année 2004 a été exceptionnelle grâce à un enneigement de deux années successives. Même l’olive de table a connu une production spectaculaire de 539815 quintaux, alors qu’elle connaît une moyenne annuelle inférieure à 350000 quintaux depuis 1993.La couverture de la consommation annuelle en matière grasse n’est que de 5%.La production oléicole moyenne 1993-2003 est la suivante :Tableau suivant : La modernisation du parc de transformation n’a rien changé au rendement qui demeure identique sur toute la décennie, entre 15 et 18 litres au quintal. Les rendements sont très faibles (4 à 10 l par arbre) alors que le rendement moyen sur le pourtour méditerranéen dépasse allègrement les 30 litres par arbre d’envergure moyenne. L’huile d’olive algérienne a perdu sa qualité d’antan. Elle est caractérisée par une acidité supérieure à 3°, au delà des limites admises par le marché mondial.

Moulin moderne et pressoir traditionnel« Agharef, El- hodh, El-qoqna, Taqofets, Tabetit, »… voilà des mots vernaculaires qu’on entendait dans les moulins traditionnels à traction animale. Un vocabulaire rare sans doute perdu à jamais, remplacé par « super- presse, séparateur, centrifugeuse, laveuse, tapis roulant, force motrice”, etc. Le progrès est le bienvenu, avec tout ce qu’il apporte de positif, diminuant la pénibilité du travail et augmentant la production. Les paysans, conservateurs par nature, sont rétifs devant les effets négatifs du progrès qu’ils décèlent d’instinct. La qualité de l’huile par exemple ! « L’huile produite sans pression ou avec pression à froid est de loin meilleure que l’huile issue du broyage des noyaux et extraite par centrifugation », voilà un argument professionnel imparable que personne ne réfute dans le monde de l’oléifaction. Mais cette huile, qualifiée autrefois de vierge, obtenue sans aucune pression sur la pâte se mesure dans d’infimes quantités destinées à la pharmacopée traditionnelle. Elle ne se trouve pas sur le marché comme l’huile ordinaire.L’extraction de l’huile d’olive se déroule dans un atelier appelé couramment « huilerie » ou « moulin à olive ». Ces petites usines, organisées autour d’un pressoir, ont connu une évolution technique qui a totalement bouleversé les procédés d’obtention de l’huile. Autrefois véritable ruche humaine où une dizaine d’ouvriers s’affairaient en plusieurs étapes, de la réception de l’olive jusqu’à la récupération de l’huile dans les bassins, le moulin s’est modernisé chassant les ouvriers. Un seul homme accomplit la besogne en exécutant les ordres de la machine programmée pour s’occuper de tout le processus, du lavage de l’olive jusqu’à la réception de l’huile, en passant par le broyage et l’extraction par centrifugeuse ! Du moulin à traction animale, moulin à sang, extension de la première presse manuelle (Tissirt) jusqu’au top de la technologie actuelle que constitue « La chaîne presse-bouton », il y a plus de 2000 ans d’histoire. La civilisation égyptienne maîtrisait déjà l’oléifaction ! Des vestiges d’outillages témoignent de la maîtrise de l’extraction de l’huile en Crète, principal foyer de la civilisation égéenne 2000 ans av. J.C. La Grèce antique réservait une place de choix à l’oléiculture dans son économie. La technique du pressoir est attribuée par les historiens à Aristée fils de la nymphe Cyrène et du dieu Apollon, fils de Zeus. Il a fallu attendre le siècle des lumières pour que la technique de la presse à traction animale soit révolutionnée par l’introduction de la mécanisation et plus tard de l’énergie électrique et encore plus près de nous par l’adoption de l’extraction de l’huile par centrifugation.

Un parc de transformation hétérogèneActuellement le parc de moulins se constitue de 37% de machines modernes contre 63% de pressoirs traditionnels, comme le montre le tableau suivant en valeurs absolues.La civilisation amazighe qui rayonnait sur l’Afrique du Nord au temps de l’empire romain, maîtrisait parfaitement la technique d’extraction de l’huile d’olive. Les échanges avec les civilisations sud-européennes étaient un facteur important dans le développement de l’oléiculture. Des vestiges de vieux moulins de pierre et de bois témoignent que dans chaque village, du moins en Kabylie, il y avait quasiment un pressoir par groupe de famille, donc par propriété collective. De nos jours l’extraction de l’huile est une pratique ordinaire qui utilise un arsenal varié de moulins. Il y a en Kabylie pratiquement tous les types de presses que l’homme a inventé depuis la presse d’ Aristée jusqu’à la centrifugeuse dont la première application, une écrémeuse, a été inventée par l’ingénieur suédois Gustav de Laval en 1883.La Kabylie concentre à elle seule 70% du potentiel national réparti comme suit :La logique bureaucratique rentière avait primé sur la logique de production, ce qui a accentué un peu plus le dépérissement du verger national. S’il n’y a plus d’olives, on se demande à quoi servirait un moulin moderne !

L’olivier dans l’identité localeL’olivier fait partie de l’identité des peuples méditerranéens. En Algérie, l’huile d’olive colle à la définition du paysan kabyle. Les Algérois, disent « zit kbayel » pour nommer l’huile d’olive ! Il est vrai que les wilayas de la Kabylie, concentrent à elles seules les 2/3 du verger national oléicole ! L’oléiculture qui caractérise cette région est malheureusement une agriculture de montagne où la rusticité de l’olivier demeure un faire-valoir des terres arides, en pente et souvent incultes.Voici la répartition nationale des superficies complantées d’oliviers telle que la donne le ministère de l’Agriculture pour la fin de l’année 2003.L’olivier occupait en Algérie une grande surface dans les plaines et les vallées. Des vestiges de moulins, de bâtisses témoignent de cette antique implantation. C’est en Kabylie que l’oléiculture a été sauvegardée, là où le savoir-faire s’est transmis depuis des millénaires. Dans ces montagnes la vie du paysan s’est toujours confondue avec celle de l’olivier. Durant les 30 ans qui ont suivi l’Indépendance, l’oléiculture fut abandonnée et le paysan livré à lui-même. Malgré une prise de conscience salvatrice, quoique tardive, l’évolution des plantations est insignifiante.En 10 ans on a planté moins de 50.000 arbres, soit moins de 5000 oliviers par an ! L’évolution est retracée par le tableau suivant :On constate que depuis 2001 la plantation redémarre, sous l’effet du plan national de développement agricole. La plantation de l’olivier n’arrive malheureusement pas à remplacer, les pertes dues aux incendies, à la vieillesse, et aux multiples maladies.La part des arbres en production dans le verger national est relativement faible :Dans la part des arbres considérés en production, près de 40% n’ont aucun rendement, ce qui révise sévèrement à la baisse le verger productif.Après l’Indépendance des choix politiques en matière de développement avaient sacrifié l’oléiculture !Au moment où la datte a eu droit à tous les égards, tous les encouragements, l’olive et l’huile d’olive étaient reléguées aux oubliettes ! De nos jours le retour à la culture oléicole est laborieux, les jeunes n’ont pas appris les pratiques et les usages en la matière. Tout est à réapprendre en somme !

L’olivier peut sauver la montagne Le paysan de montagne tourne de nos jours dans un véritable cercle vicieux : travailler la terre coûte trop cher, ne pas labourer expose le sol à l’érosion qui l’appauvrit un peu plus et rend le résultat aléatoire ! Le fellah a trouvé la parade : soigner ses oliviers ! Comme dans l’ancien temps, dès le début de l’automne le paysan réalise les retenues, nettoie les rigoles, reconstruit les murets et les restanques, aménage les pistes, les captages des petits ruisseaux, même les eaux qui coulent dans les sentiers seront dirigées vers les oliviers.Les paysans rivalisent d’ardeur pour arracher à la broussaille de nouvelles parcelles et greffer les oléastres qui y poussent.Un paysan kabyle qui achète de l’huile d’olive passe pour la risée du village. Il doit la produire même s’il n’a pas de terre. Il se trouve toujours de grands propriétaires qui ne peuvent venir à bout de leur récolte, et qui s’en remettent aux voisins en quête de travail.Le partage se fait au tiers : un tiers comme rente pour le propriétaire, un tiers pour les soins des oliviers et un tiers pour celui qui récolte l’olive, tout cela après que le propriétaire du moulin ait pris sa part en huile soit 1/6 du rendement global.Certains oléifacteurs (fabricants d’huile) préfèrent se faire payer en argent, 30 à 35 DA le litre extrait. Travailler aujourd’hui dans l’oliveraie revient très cher : Une journée de labour avec une paire de bœufs revient à 2000 DA ! La journée d’un ouvrier ordinaire coûte 500 DA. Le spécialiste de la taille et de l’élagage demande 1000 DA la journée avec repas et un café en sus ! Les dresseurs qui forment les paires de bœufs harmonieuses et rentables ont quasiment disparu, les artisans fabricant les charrues, les araires, les jougs et les divers outils de bois ont déserté leurs ateliers sans transmettre leur savoir-faire aux jeunes qui n’en veulent d’ailleurs pas ! La modernisation attendue n’a pas eu lieu. Les grands travaux tels que le reboisement, les retenues collinaires, les petits barrages, qui reviennent à l’Etat, n’ont pas été accomplis ! L’agriculture de montagne est toujours le parent pauvre des réformes agraires !De l’avis de paysans avertis et de spécialistes de l’arboriculture, l’arbre fruitier en général et l’olivier en particulier, représentent l’avenir pour l’économie de montagne. L’adoption de nouvelles espèces comme le noyer ou l’amandier, pourra à terme dégager d’appréciables revenus à côté de ceux de l’olivier.

La commercialisation bloquéeDurant l’année 2004, les paysans ont enregistré une récolte exceptionnelle due aux facteurs climatiques, pluies abondantes et enneigement des oliveraies, mais aussi à une tendance lourde qui s’est dessinée il y a près de cinq ans, celle du retour à la terre et notamment à l’arboriculture qui, en Kabylie, se confond totalement avec l’oléiculture ! Le prix du litre a enregistré une légère baisse à la source (18 %). De 220 DA en 2003, il est passé à 180 DA en 2004. Les commerçants n’ont, hélas, pas répercuté cette baisse, en plein coeur de Bgayet, capitale de l’olivier le litre est toujours à 250 DA.L’absence d’information, la léthargie des services du ministère du Commerce, des chambres d’agriculture et d’autres offices chargés d’informer la population explique le maintien du prix élevé de cette denrée produite l’année dans des volumes jamais enregistrés depuis vingt ans : 1.398.390 qx d’olives avec un rendement de près de 20 litres par quintal, soit 279.678 hl d’huiles alors que la production moyenne des quatre années précédentes ne dépasse guère le demi million de quintaux d’olives. Cette surproduction est venue se rajouter à l’important stock invendu des années précédentes pour accentuer encore plus le désarroi des oléiculteurs qui ne savent plus à qui vendre leur produit.L’explication du prix élevé de l’huile ne tient pas uniquement dans l’empêchement du libre jeu de l’offre et de la demande. Il résulte de divers facteurs relatifs au secteur de la transformation, la trituration, à l’histoire de l’oléiculture nationale dont l’abandon durant trente ans a généré des surcoûts de remise en culture des oliveraies qui viennent alourdir les montants affichés chez le commerçant.De nombreux commerçants, c’est connu, s’adonnent au frelatage de l’huile d’olive en y mélangeant de l’huile de soja ou de tournesol. Ils choisissent, pour ce faire, une huile d’olive à forte odeur, donc à forte acidité, pour y ajouter des quantités d’huiles végétales beaucoup moins chères. Les ménagères ont trouvé la parade, il suffit de mettre une quantité de cette huile au réfrigérateur l’huile d’olive gèle après quelques heures alors que les autres huiles demeurent liquides ! Une huile d’olive intégrale gèle à 2°c.Pour obtenir une bonne huile, les paysans avertis préfèrent la récolte manuelle avec utilisation de filets sur des sols bien nettoyés. Ils évitent de blesser le fruit en s’interdisant l’usage de gaules ou de bâtons. Ils séparent les olives tombées toutes seules de celles récoltées après maturation complète. Le transport se fait dans des cageots de plastique ou des sacs de jute. Les olives ne résistent pas à un stockage prolongé, les paysans les donnent à la trituration dans les moulins dès qu’une quantité appréciable est engrangée. L’huile est-elle trop chère ? Les huileries sont des chantiers de production d’huile mais aussi des boutiques de vente. Pour acheter une huile de bonne qualité, les connaisseurs s’adressent directement aux huileries, en période de trituration. Ils ont là l’occasion d’assister au processus de production de l’huile, avec toutes les étapes de transformation de l’olive, en pâte puis en margine et enfin en huile. Ils en ont pour leur argent ! Voici les principales données concernant l’huile d’olive, résumées dans cette fiche technique de l’office oléicole international A combien revient la production d’un litre d’huile d’olive ? Comment le professionnel de l’oléifaction s’y prend-il pour produire et évaluer les coûts et les charges de transformation, de conservation ; comment fixe-t-il sa marge bénéficiaire ? Pourquoi l’huile est-elle toujours aussi chère ? Les coûts de production du litre d’huile sont estimés par fabricants et par zone comme l’indique le tableau suivant : Dans le même temps, les prix du litre d’huile résultant du jeu de l’offre et de la demande a évolué les cinq dernières années comme suit :Les multiples variétés d’olives, le rendement réel en huile, la qualité des huiles selon la région de provenance des olives, le degré de maturité et la période de cueillette, voilà une batterie de questions qu’il faudra élucider. Le mythique moulin de bois et de pierre produit-il une meilleure huile que celle des « chaînes continues », le top de la technologie oléicole ? L’huile des scourtins de fibre végétale est-elle plus douce que celle de la centrifugeuse ? Au fait y a-t-il une ou plusieurs huiles d’olives ?

Une valeur sentimentaleL’Algérien de culture fondamentale paysanne ne traite pas l’huile d’olive comme un produit ordinaire acheté au super-marché. Il lui accorde, en plus de son prix, une valeur sentimentale, voire esthétique, comme celle réservée aux bijoux. Mieux encore, il attache à l’huile d’olive un pouvoir de guérison miraculeux. C’est la panacée à tous les maux, le produit que l’on doit posséder à la maison au même titre que le sel, le miel ou le citron.Les croyances kabyles anciennes accordent à l’huile d’olive une âme, avec le pouvoir magique de dissoudre tous les maléfices. Sa consommation est réputée allonger l’espérance de vie, fortifier le corps et clarifier la vue…Pour que son âme ne s’évapore pas, on la conserve dans un endroit sombre dans des récipients hermétiquement fermés. Les jarres de terre cuite, les bonbonnes de verre fumé couvertes d’un clissage d’osier la protègent de l’effet dénaturant de la lumière. Les amphores et les cruchons d’argile, les barriques de bois lui conservent sa saveur et son goût originels. Offrir de l’huile d’olive a, de tous temps, été considéré comme un geste de concorde qui rétablit la paix entre les ménages et les villages. Au temps du troc, elle a joué le rôle de monnaie, un équivalent pour échanger tous les biens. Les paysans des hauts plateaux sétifiens troquaient leurs excédents de céréales contre de l’huile d’olive en sillonnant tous les villages de Kabylie.Le règne de la bureaucratie a perverti cette pratique d’offrande pour coller à l’huile d’olive un pouvoir de séduction et de corruption irrésistible. Le jus de l’olive n’est pas seulement un bon médicament mais surtout, aux yeux des bureaucrates un bon lubrifiant des rouages administratifs. Un bidon d’huile d’olive peut déverrouiller les serrures les plus étanches.Les bureaucrates véreux relâchent leur vigilance dés qu’ils entendent le mot  » zit kbayel « . Les corrupteurs de tout acabit ont toujours dans le coffre de leur véhicule quelques bouteilles du précieux liquide qui réjouissent les ronds-de-cuir et débloquent les signatures vitales. Pourquoi l’huile d’olive est-elle si chère ?

Le temps des labelsDurant les années de la colonisation française, de nombreuses fermes de Kabylie, de Mitidja et du Constantinois (Guelma) participaient aux expositions internationales. La ferme Hamimi dans la haute Soummam a été maintes fois primée et récompensée pour la qualité de son huile à la foire de Paris ! L’huile d’olive de la région de la haute Soummam était classée comme l’une des meilleures au monde.Depuis 1963, avec la promulgation des décrets sur l’autogestion par le premier gouvernement algérien, l’exportation de l’huile d’olive fut interdite pour le secteur privé. Tout contact avec l’étranger était un délit.La profession de négociant international d’huile d’olive devenue, ainsi illégale, fut supprimée. Les producteurs algériens furent coupés du monde, étrangers aux foires agricoles internationales où ils ont été remplacés par des « officiels » des ministères qui ne connaissaient l’huile d’olive que dans la… salade ! Voilà bientôt 3 ans que le ministère de l’Agriculture a lancé l’opération « Labellisation », mais les principaux concernés n’ont pas été informés sur la portée de cette louable initiative. Quelques rares oléiculteurs ont malgré l’absence de médiatisation pu recenser leurs domaines et doter ainsi leur huile d’un nom, un label d’origine garantie. L’exportation reprend ses droits de nos jours avec l’entrée de notre pays à l’OMC et la levée des barrières douanières. Certains pionniers ont déjà leurs labels sur le marché international.L’oléiculteur Hamimi de Tazmalt a exposé ses huiles à la dernière foire agricole de Paris en 2005.Le label Tavlazt s’est donc vendu sur les quais de la Seine. Il y a beaucoup à dire sur le financement de l’exportation hors-hydrocarbures et son inadaptation aux exigences du marché. En ce qui concerne l’huile d’olive l’exportateur dira : « C’est tellement difficile d’obtenir des aides au financement que j’ai renoncé à les demander ! » Cela se passe de commentaires. Les atouts de l’huile de KabylieIl faut savoir qu’il n’y a pas une huile d’olive mais des dizaines de qualités, de couleurs, et de saveurs différentes. Pour normaliser le marché, la réglementation en vigueur dans le monde a classé les huiles selon leur degré d’acidité La meilleure huile est dénommée « l’huile d’olive vierge extra ». Elle se caractérise par une acidité inférieure à un degré, son goût doit être irréprochable. Entre 1 degré et 1.5 degré d’acidité, nous avons affaire à « l’huile d’olive vierge fine « .  » L’huile d’olive courante « , celle vendue dans les supermarchés doit avoir un bon goût et un taux d’acidité inférieur à 3.3°. Au delà de ce niveau d’acidité, les huiles sont dites raffinées, elles sont coupées par une huile vierge pour leur redonner une valeur commerciale. On parle alors  » d’huile pure d’olive « . Le stockage prolongé des olives, le mélange des variétés, la pratique du gaulage qui blesse les olives, sont à l’origine du mauvais goût de l’huile et de son acidité élevée. Cette classification adoptée par l’office oléicole international est purement commerciale, répondant aux paramètres et aux intérêts du marché. Elle exclut la production artisanale des régions marginalisées comme l’Algérie, dont l’huile entièrement biologique, produite avec des olives naturelles, sans pesticides, sans engrais, sans adjuvants ni conservateurs, a certainement une valeur supérieure et des saveurs plus riches.Pour obtenir une huile de bon goût, c’est à dire qui a la saveur de l’olive sans acidité, sans impuretés, les paysans ont accumulé un savoir-faire générationnel. Tout commence dans les soins apportés à l’olivier. Un calendrier annuel de travaux et d’intervention sur l’olivier est adopté dans toute la région de la haute Soummam, d’Akbou à Mchedala. Avant, pendant et après la récolte une multitude d’opérations est menée dans les oliveraies par une série d’intervenants, du laboureur au tailleur, en passant par les cueilleuses et les bûcherons qui débarrassent l’oliveraie du bois élagué. Le traitement des maladies, par fumigations traditionnelles ou par apport de produits cryptogamiques modernes est administré à des moments précis de l’année selon les maladies à éradiquer (dacus, psylle etc.)L’olivier, dans ses diverses variétés inscrites dans le registre variétal national (Chemlal, Zeradj, Lemli, haroun etc.) ne donne son rendement optimal qu’a pleine maturité du fruit. L’almanach berbère régional, calendrier traditionnel en usage dans toute la Kabylie, situe la période de cueillette entre le 15 novembre et la fin février. Dans la haute Soummam, le début de la récolte est retardé jusqu’au 15 décembre, avant cette durée on estime que l’olive n’a pas formé son maximum d’huile et au delà, le fruit s’assèche et perd sa saveur. Une série d’interdits entoure la cueillette de sorte à la circonscrire, dans la durée la plus productrice en quantité et en qualité. Certaines précautions sont prises pour obtenir une huile de qualité. D’abord au niveau de l’oliveraie. L’idée que l’on se fait de l’olivier, arbre naturellement productif sans aucune intervention de l’homme est évidemment fausse. L’oléiculture remonte à la civilisation égyptienne, 3000 ans av.JC. Les grecs se réfèrent aujourd’hui encore à l’antique arsenal de mesures institué par Solon, l’un des sept sages qui codifièrent la démocratie grecque, pour protéger l’olivier et développer l’oléiculture (640 av.J.C). L’olivier, comme tous les arbres fruitiers, a besoin de soins. Le hersage, l’élagage, le traitement, l’irrigation, l’apport de fumier et d’engrais relèvent du minimum requis pour obtenir de belles olives qui, inévitablement, donneront une huile de haute qualité. Durant la récolte, quelques gestes simples peuvent garantir l’obtention d’une huile de haute valeur gustative et commerciale. Il faut prohiber absolument la gaule et le bâton. Le gaulage qui consiste à frapper les branches et les rameaux avec un bâton pour faire tomber les olives est une pratique contre productive pour deux raisons : la première c’est qu’une olive blessée fermente très vite et donne une huile de mauvais goût et à forte acidité, la seconde réside dans les dégâts causés à l’arbre, les blessures des rameaux génèrent des chancres et des maladies dont l’arbre ne se relèvent pas, dans le meilleur des cas la fructification sera retardée d’une année.On privilégie donc la cueillette manuelle, ou à l’aide d’outils comme le peigne qui vient d’être adopté depuis deux ans. Le paysan sait aussi que l’olive ne résiste pas au stockage prolongé, il faut la presser juste après sa cueillette ou tout au plus, deux à trois jours après. Les oléiculteurs sortent donc leur récolte régulièrement à petites quantités vers les moulins. Ils évitent ainsi à l’olive entassée de chauffer et de fermenter. Une ultime précaution est prise pour avoir une bonne huile ; le paysan attend la pleine maturité du fruit pour entamer la cueillette qui devient plus facile et plus rentable.Béjaïa première wilaya oléicole d’AlgérieLe verger oléicole national se compose de 83% d’oliviers à huile et de 17% d’arbres à olives de table. Le verger à huile est concentré à 60% en Kabylie et pour 23% dans le reste des wilayas, géographiquement proches de la région kabyle ( Jijel, Sétif, Bordj, Msila).Avec plus de 5 millions d’oliviers la wilaya de Bejaia est la première du pays. La daïra de Tazmalt dans la haute Soummam est à vocation oléicole à plus de 80% de sa SAU. Elle concentre à elle seule près de 30% de l’olivier de la wilaya, suivie de la région de Seddouk avec plus de 20% et d’Akbou avec 16%. Ces trois daïras constituent en fait le plus important bassin oléicole d’Algérie.Le verger est composé d’une multitude de variétés dont le nombre dépasserait la trentaine. Une dizaine de ses genres d’olives est répandue sur de larges domaines et des régions homogènes.La variété Chemlal de Tazmalt,Limli d’Amizour et Azeradj de Seddouk domine le verger de la wilaya. Les superficies complantées progressent avec le retour à la terre de nombreux paysans qui reprennent en mains leurs vergers, après un abandon de près d’un demi-siècle. Le tableau suivant relevé des statistiques des services agricoles de la wilaya donne la progression, en arbres plantés et en arbres qui entrent en production (en rapport) depuis 2000, année de démarrage des aides du FNDRA. On constate que sur le total de la superficie réelle, il n’y a pas concordance entre les chiffres du ministère et ceux des services régionaux.pour l’essentiel, le verger a gagné 200 ha annuellement en 2003 et 2004.Malgré une grande maîtrise de la conduite des oliveraies en plaine,les rendements suivent la pluviométrie et les aléas climatiques. On remarque qu’en 2003 l’hectare d’oliviers, soit une centaine d’arbres n’a donné que 3 litres d’huile, alors qu’en 2004 il est de 29 ! Un rendement multiplié par 10, grâce à l’enneigement exceptionnel de l’hiver 2003 ! Voilà de quoi désarticuler le marché et pousser les huiliers à la spéculation.

La gamme de moulins disséminés sur le territoire de la wilaya est très large. Elle se compose des antiques pressoirs manuels, des vieux moulins à sang mus par des chevaux, des machines à clavettes du début du siècle, des presses électriques, des machines motorisées, des huileries semi-automatiques et des chaînes continues, des centrifugeuses presse-bouton le top de la technologie dominée par l’industrie italienne. 435 huileries fonctionnent de façon saisonnière durant deux à quatre mois par an de décembre à Mars selon le volume de la cueillette.

Les repères perdus Douloureuse introspection que ce petit voyage à travers les oliveraies et à l’intérieur des moulins de la Kabylie ! Le terroir est malade, le savoir-faire s’est perdu, les rituels identitaires se sont folklorisés. La vieille génération d’oléiculteurs s’accroche à un passé idéalisé, sans pouvoir transmettre des compétences mesurables autres que des clichés et des croyances régulièrement démenties par la science agronomique. La nouvelle génération de paysans qui s’intéresse à l’olivier découvre le résultat effrayant de son abandon durant les quarante ans qui ont suivi la fracture des huit années de la guerre de libération nationale : tout est à refaire en somme ! L’oléiculture algérienne vit sur des mythes. Cette pratique millénaire que les paysans de montagne entretiennent jalousement, cohabite avec une oléiculture moderne, située dans les vallées, qui fait sa mue et tente de rattraper le retard accumulé durant les quatre décennies d’abandon du verger oléicole. Cette dernière, condamnée à l’alignement sur les standards internationaux, souffre de tous les maux liés à l’économie dirigée qui a caractérisé le règne du socialisme algérien de 1962 à 1992. Nous avons affaire à deux microcosmes totalement différents, régulés par des lois et des étalons de mesure relevant de deux cultures aux valeurs souvent antagoniques. La branche oléicole vit donc sur deux exigences contradictoires : celle de sauvegarder une pratique de production, faisant partie de l’identité locale entourée de rituels et de croyances solidement ancrées dans l’imaginaire populaire, faite d’actes souvent contre productifs, comme le gaulage, l’entreposage des olives jusqu’à fermentation ou le maintien et le refus de réformer les moulins à traction animale connus pour leur faible cadence de transformation, donc par une huile à forte acidité, d’une part, et l’exigence de s’ouvrir, sans dommages, sur le marché mondial méconnu, malgré la faible maîtrise technologique et l’inadaptation aux règles du commerce international d’autre part. L’oléiculteur direct pose le problème du transfert du savoir-faire. Il ne reste plus grand monde qui veuille et qui sache s’occuper de cette harassante mise en valeur de l’olivier. Les jeunes, sensibles aux sirènes de la grand-ville, fuient le travail de la terre.. Débroussailler, épierrer, dresser des murets de rétention, tailler, bêcher sous les frondaisons, confectionner les cuvettes d’irrigation, piéger les petits ruisseaux rebelles, greffer pour améliorer l’espèce, cueillir avec soin et proscrire le gaulage, apporter les fumures et soigner les arbres malades, chasser les prédateurs et les maraudeurs et enfin observer tous les rites propitiatoires inscrits dans le calendrier agraire kabyle. Ce n’est pas une mince affaire ! La témérité de nombreux jeunes qui se lancent dans l’activité agricole, armés de leur seule conviction, est une agréable surprise dans ce monde désenchanté. Plus surprenante, est encore la ténacité de fellahs plus âgés persuadés que l’avenir de la Kabylie est dans l’oléiculture. « Tout ce savoir faire empirique va disparaître si on le laisse mourir avec ses ultimes détenteurs sans le transmettre aux jeunes générations paysannes », disent de nombreux paysansL’oliveraie de Kabylie retrouve ces dernières années son importance d’autrefois, du moins dans les esprits et dans le discours. Le prix élevé de l’huile y est pour beaucoup. Et puis les paysans ont perdu l’illusion de la belle vie citadine. La grande ville n’offre plus l’emploi et le confort rêvé, comme autrefois. Les citadins, qui ont des oliviers en Kabylie, prennent leurs congés en hiver et s’organisent pour cueillir leurs olives comme autrefois. Reviennent alors les pratiques de sauvegarde et d’entraide collective. Ce patchwork de petits riens qui a permis aux paysans de survivre dans leurs montagnes inhospitalières avec des règles strictes. Avec l’ouverture forcée de l’économie nationale sur le marché mondial, tous les acteurs de l’oléiculture se mobilisent pour la relance de l’activité, persuadés que leur branche possède de sérieux atouts pour se faire une place parmi les grands producteurs sud-européens.Un plan de relance, basé sur la définition des taches et la désignation des acteurs auxquels elles incombent, est incontournable.

S’adapter ou disparaîtreRien ne peut être crée ex-nihilo et sans la participation des paysans, principaux concernés. Trois mille ans d’histoire de l’oléiculture en Algérie ont sédimenté un savoir-faire qu’il ne convient pas de négliger ni de révolutionner en un tour de main. Les croyances, les traditions et les pratiques parfois contre-productives, qui structurent la vie quotidienne du paysan sont à prendre en compte dans toute tentative de modernisation de l’oléiculture nationale. Toute politique conçue hors du contexte paysan et de ses données réelles est vouée à l’échec. On ne peut rien obtenir contre la volonté des paysans. Seule une pédagogie construite à partir de leur savoir-faire pourra les faire avancer. Travaillons donc avec les paysans dans le cadre qu’ils ont choisi. Des cycles de communications sont régulièrement envisagés à cet effet. Les aides de l’Etat dans le cadre des divers plans adoptés par le ministère de l’Agriculture, la problématique de commercialisation des produits oléicoles (huile et grignon), l’assurance des vergers et des personnes travaillant dans l’oliveraie, et la formation, en amont, à la pratique oléicole, sont des thèmes retenus, censés cerner les problèmes de l’heure vécus par la branche oléicole. Le message ne passe malheureusement pas. La bureaucratie agricole est un héritage de l’ère socialiste, qui ne justifie même pas sa prétention de technicité. Les obstacles à la relance sont nombreux, ils se matérialisent par les augmentations récurrentes des prix des intrants (énergie, engrais, main-d’œuvre semences, phytothérapie, outillages etc.) et l’impossible écoulement de l’huile d’olive. La détresse vécue par la paysannerie avec l’adhésion de notre pays à l’organisation mondiale du commerce (OMC) est bien réelle.Le plus difficile à surmonter est sans doute cette suspicion face à l’apport de la science, le refus du changement et de la modernité. Le traditionnel moulin de bois conserve encore les faveurs du paysan. Cet atelier artisanal à visage humain où l’on sent l’effort et l’authenticité produirait une huile de meilleure qualité, au goût d’olive et à la saveur du terroir. Ce moulin symbolise une époque, une identité, un monde très mythifié où la maîtrise revenait à l’homme, où l’outil était rudimentaire et l’animal présent avec sa docilité, sa chaleur. L’huile était destinée à la consommation familiale, la valeur d’usage l’emportait sur la valeur marchande. Il n’y a que de faibles excédents qui étaient destinés à l’échange, au marché.De nos jours, c’est le marché qui domine toute l’activité. La rapidité, la productivité, le calcul économique, prennent le dessus sur le côté culturel et convivial, sur les cérémonials et tous les mystères qui donnaient à l’huile d’olive une âme et à tout le corps du métier une vie intrinsèque, une identité. L’idéalisation du vieux procédé avec les rêves et la nostalgie qu’il véhicule, ne tient malheureusement pas devant les analyses de laboratoire et les exigences du commerce international en matière de qualité de l’huile. Pourra-t-on sauver les pratiques du terroir tout en s’adaptant aux exigences du marché mondial ? Pourra-t-on protéger l’artisanat de l’invasion technologique ? Nous ne sommes pas seuls, de par le monde, à être confrontés à cette problématique. S’adapter ou disparaître, voilà une bien triste alternative.

R. O.Suite et fin

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