La crise des recettes extérieures du pays, induite par la chute des pris du pétrole qui dure depuis plus d’un an et demi, est censée pousser l’appareil économique algérien dans ses « derniers retranchements », sur le plan de la créativité de la diversification des activités et de la compétitivité. Ce sont des principes généraux, des objectifs, pour lesquels l’entreprise algérienne n’est évidemment pas préparée de façon conséquente. Et notre pays a eu tout le loisir de vérifier que l’argent, à lui seul, ne fait pas une économie. En effet, près de 800 milliards de dollars ont été consommés en l’espace de quinze ans. Si des infrastructures et équipements publics ont été réalisés, en revanche, l’économie productive, représentée par l’entreprise, n’a pas bénéficié de cette manne pour sa mise à jour managériale et sa qualification technique. Sans doute, ce constat ne pouvait pas avoir un retentissement considérable au moment de l’ « embellie financière »; presque tous les acteurs étaient grisés par un système bâti sur la consommation et l’importation. Signe des temps, même dans le cadre de la réalisation des infrastructures, les entreprises algériennes de travaux étaient bonnes dernières. Les appels d’offres internationaux retenaient en priorité les entreprises étrangères, dont certaines ne sont pas au-dessous de tout soupçon sur le plan de la qualité technique. La crise actuelle n’a pas d’autre solution que la réhabilitation de l’outil de production national, avec une exploitation optimale des potentialités nationales qui se situent en dehors de la sphère des hydrocarbures. Les réunions de la tripartite (gouvernement, patronat, syndicat) qui ont eu lieu depuis le milieu des années 2000, cristallisaient plutôt un consensus politique entre les différents acteurs, pour rendre gérables les conflits sociaux, qu’une stratégie visant à donner des assises solides à la création d’emploi et de richesses dans les l’entreprises. Ces dernières préoccupations, malgré les discours des membres de ce forum social, ne peuvent être prises en charge que par des entreprises modernes, répondant aux normes universelles de productivité et érigeant la gestion des ressources humaines en un instrument de croissance et de développement.
Gouvernance de l’entreprise
La gestion des ressources humaines constitue le nouveau pari auquel devra faire face l’entreprise algérienne- publique ou privée- et qui, en plus, se négocie dans un contexte de pression, voire de patente adversité. En effet, pour soutenir la compétition avec des entreprises étrangères- qu’elles soient de production, de réalisation de travaux ou de prestation de services-, l’entreprise algérienne peut transitoirement solliciter le soutien des pouvoirs publics. Cette étape, où le gouvernement favorise l’outil de production nationale, y compris par le moyen des procédures des marchés publics (préférence nationale), n’est pas appelée à s’éterniser. Pour se défendre et acquérir des facultés intrinsèques de compétitivité l’entreprise algérienne est appelée à se réformer et à réviser particulièrement sa perception de la gestion des ressources humaines. Le capital humain- supposant compétence, savoir-faire (background), technicité réactivité- commence à peine à être appréhendé dans sa dimension globale. Les notions de groupe, d’équipe de travail, d’inter-influence, de relations humaines, de nouvelle ergonomie, de flexibilité des horaires de travail,…n’ont pas encore reçu leurs « lettres de noblesse » dans les milieux syndicaux et ouvriers algériens. Rien d’étonnant à ce que ce soit les grands groupes privés, tels que Cevital, qui essayent de s’arrimer aux normes universelles de travail, aussi bien par l’organisation interne et le mode de rémunération que par les services connexes (santé du travail, récréation et loisirs, formation continue,…).
Nouveaux concepts, nouvelles réalités
Le contexte mondial dans lequel évolue le monde du travail a déjà fait sienne la notion de la gestion des ressources humaines, entrée dans les pratiques depuis la fin des années quatre-vingts du siècle dernier. Même dans le cadre des délocalisations de certaines entreprises européennes vers des cieux moins contraignants sur le plan salarial et du coût du travail, le souci de la gestion des ressources humaines est toujours présent, quitte même à adapter cette notion au nouveau contexte géographique et humain voulu par la délocalisation. Il y a lieu d’observer que, pour l’ensemble des secteurs de l’économie nationale, le concept de l’emploi a évolué de façon fulgurante au cours des quinze dernières années, suivant en cela la courbe des changements économiques, de la transformation de l’entreprise et de l’accélération des échanges à l’échelle mondiale. En tout cas, il ne répond plus à la définition figée d’un poste salarié stable, d’une carrière assurée et d’un revenu correspondant toujours au coût de la vie. Ce fut une période où l’illusion de richesse et de prospérité permise par l’économie rentière assurait un plein emploi factice généré par une pléthore de personnel dans les entreprises publiques et l’administration. Le pays paya chèrement ce genre d’errements politiques où le populisme rivalisait avec la démagogie. Il se réveilla brutalement à une nouvelle réalité où les aléas font partie du quotidien et où l’incertitude qui pèse sur le travail et l’emploi est devenue la seule… certitude du moment. Ainsi, une nouvelle terminologie verra le jour dans le monde du travail avec laquelle il faudra désormais compter : marché du travail, flexibilité du travail, chômage structurel/conjoncturel, qualifications, valeur réelle et valeur pratique d’un diplôme, contrat à durée déterminée (CDD), contrat à durée indéterminée (CDI) et d’autres termes qui rompent radicalement avec la belle uniformité et l’inusable linéarité d’antan qui faisaient d’un collégien, sans coup férir, un futur universitaire couronné d’un poste dans l’administration ou dans une entreprise publique. Depuis le milieu des années 2000, la création d’emploi est surtout le fait d’entreprises privées. Environ 6 millions d’emplois y sont assurés. Le monde syndical a, lui aussi, subi une évolution, du moins dans son activité sur le terrain de l’animation et de la revendication. Cependant, seule la pression et la persévérance pourront rendre légales ces nouvelles formes de lutte dans une perspective de pluralisme syndical effectif. L’entrée en scène des entreprises étrangères sur nos chantiers d’autoroute ou de tramway ou bien encore dans certaines représentations commerciales, a indubitablement charrié une nouvelle discipline du travail avec laquelle les travailleurs algériens ne peuvent que composer, même si la législation nationale-amendée, rénovée et hissée aux diapasons des normes universelles du travail- est censée servir de base légale.
« Mettre à jour le cerveau algérien »
À un autre niveau d’analyse, le concept de ressources humaines charrie avec lui d’autres conditionnalités inhérentes à la pertinence, à la qualité et à la durabilité de la force de travail, qu’elle soit manuelle ou intellectuelle. Parmi les présupposés sur lesquels se base la gestion des ressources humaines (GRH), la formation de l’homme est un élément capital. Cette formation est vue sous son aspect double : formation qualifiante pour prétendre à un poste de travail et formation continue pour s’adapter aux innovations méthodologiques et technologiques touchant le domaine d’intervention du travailleur. Dans l’objectif de se mettre au niveau des exigences de la nouvelle économie en matière de formation, l’Algérie a encore un travail colossal à abattre. Il s’agit d’abord de créer une adéquation entre les besoins de l’économie et le système de formation avec un cadre institutionnel et pédagogique de qualité. Il s’agit, en effet, de former les techniciens et les cadres que commence à réclamer dès à présent le monde du travail et l’appareil économique national (management, maîtrise, exécution). Notre économie soumise à rude épreuve par les impératifs de productivité d’efficacité technique et d’innovation ainsi que par la mondialisation des échanges de plus en plus offensive ne peut se soustraire à ce mouvement de l’histoire. La formation et les nouvelles tendances de la gestion des ressources humaines vont de pair, se fertilisent et concourent aux mêmes objectifs : promotion continue de l’entreprise et du personnel de l’entreprise, amélioration de la qualité de la production et des prestations, augmentation des rendements, ouverture sur l’innovation et préservation de l’emploi. Pour réussir un tel bond, l’auteur du livre « La décennie de la dernière chance », le professeur Abdelhak Lamiri, spécialiste en management, propose de consacrer pas moins de 150 milliards de dollars à la requalification de la ressource humaine algérienne, opération qu’il a dénommée « mise à jour du cerveau algérien ».
Amar Naït Messaoud
