Comment faut-il parler au cinéma ? Au présent ? Au passé ? Les animateurs d’une mini conférence-débat, sensée clôturer le colloque national sur le film révolutionnaire qui s’est déroulé du 18 au 20 février à la Maison de la culture, ont préféré, en abordant la question du septième art dans notre pays, lier les deux temps.
Ils ont mêmes, dans une vision généreuse et optimiste, introduit la notion du futur. Pour le directeur de la culture, ce colloque a permis de montrer l’importance du patrimoine cinématographique et les moyens mis pour son enrichissement et sa promotion. Même s’il a admis que des insuffisances pouvaient être constatées dans son organisation, pour lui, le succès a été évident. Il n’en a voulu, pour preuve, que les foules de visiteurs que cet événement, qui en est à sa deuxième édition, a drainé dans les salles de projection et d’exposition. Aussi, il a donné rendez-vous à l’assistance pour l’année prochaine où il espérait que le prochain colloque serait plus imposant. Lui succédant au micro, l’acteur Hassan Abdelkader Benzerari a, lui, mis l’accent sur l’abondance et la qualité de la production cinématographique nationale. Pour lui, le produit algérien s’est toujours bien porté. Pour illustrer son propos, il a rappelé ce qu’il a répondu à un réalisateur qui avait affirmé que le film égyptien avait influencé tous les autres pays. C’était il y a deux ans, à Dubaï, où se tenait un colloque sur le film arabe et où l’acteur de renom représentait l’Algérie : en dix ans d’indépendance, l’Algérie obtenait, à Cannes, la palme d’or pour le film «Les années de braise» de Hamina, «un exploit cinématographique qu’aucun pays arabe, aucun pays du tiers monde n’avait réussi à accomplir jusqu’ici», faisait-il remarquer alors. Et pourtant, ajoutait cet artiste dans la petite conférence qu’il animait avec le réalisateur Yaala Azorni, «l’Algérie n’avait que dix ans d’indépendance !» Et de s’interroger : pourquoi la production nationale cinématographique en plus de cinquante d’indépendance ne parvient toujours pas à rééditer le même exploit ? Pire : pourquoi le cinéma algérien est-il en déclin, en dépit des sommes colossales injectées pour sa réhabilitation ? Abondant dans son sens, le réalisateur Méziane Yalla, qui a rejoint la tribune lors des débats, situait l’âge d’or du cinéma algérien vers les années 70. Depuis, selon lui, il n’a fait que péricliter. Il est vrai que la production nationale reste pléthorique. Ce qui lui faisait dire qu’elle n’est pas morte. Mais, du point de vue qualitatif, soulignait-il, «des efforts restent encore à faire !» Il n’y avait qu’à voir, d’après lui, la désaffection des salles de cinéma et même la bouderie des films algériens. Il en incriminait le manque de formation. Avant, relevait-il, «on mettait quatre ans à étudier l’art cinématographique, alors qu’aujourd’hui, s’improvise réalisateur qui veut et quiconque a un portable». D’accord, le spectacle est mort, et c’est dommage, car la salle de cinéma était un haut lieu de débat sur les questions les plus cruciales qui touchaient à l’art et à la culture, d’une façon générale. Alors «le niveau intellectuel était très bon, à cette époque», assurait notre réalisateur. Et puis, une tempête venue de l’Occident a balayé tout cela, selon lui, et les salles de cinéma désaffectées n’abritent plus, de nos jours, des restaurants pour plats rapides. Cependant, tout aussi bas que se trouve cet art chez nous, cela ne devrait pas donner au responsables de ce secteur le droit de placer le réalisateur étranger au dessus du réalisateur algérien. À titre d’exemple, le fait d’avoir confié le projet de retracer la vie de l’Emir Abdelkader à un réalisateur américain qui n’aurait produit que des films documentaires sans grande envergure, se révélait un vrai fiasco, car ledit producteur, après avoir englouti de grosses sommes, «s’est finalement montré incapable d’une telle réalisation», dénonçait Yaalla. Ainsi, le danger ne viendrait pas que de la médiocre qualité des films produits ou des responsables snobs, pour lesquels un bon film ne pouvait être que d’origine américaine ou européenne. Le danger viendrait aussi de ces étrangers, eux-mêmes, que le réalisateur désignait sous le vocable anglo-saxon. Considérant, en effet, que l’image est une arme redoutable, l’orateur a montré de quelle manière elle a été utilisée dans la guerre de l’Irak pour détruire ce pays autrefois prospère. Déciderait-on, selon lui, de détruire l’identité d’une nation ? De mener une croisade contre les musulmans et l’islam ? «Les Anglo-saxons se serviraient de l’image comme d’une arme de destruction massive», argumentait le conférencier. Mais les plus habiles à ce jeu, seraient les américains qui voudraient l’américanisation de toute l’Europe pour maintenir le vieux continent sous sa coupe. D’où le refus des européens des quotas culturels demandés par les américains pour introduire leur culture en Europe, et que Yaalla résumait en deux mos : «chewing-gum et Coca Cola». Pour notre réalisateur, la destruction culturelle des pays comme le nôtre a été programmée depuis longtemps. Alors forcément les salles au nombre de 380 ont été fermées. C’est un peu comme le FMI qui ne prête aux pays pauvres que pour les appauvrir encore plus. Les Anglo-saxons nous appauvriraient intellectuellement et culturellement pour nous soumettre à leur diktat culturel. Nous devrions consommer, penser et réagir en Anglo Saxons ; nous devrions renoncer à notre propre culture, selon le schéma culturel proposé à travers la diffusion de leurs programmes culturels. Pour conclure, notre conférencier reconnaissait que des efforts sont faits pour réhabiliter le cinéma. Il rappelait que 13 salles de cinéma, ces «cathédrales» où l’on respire la culture comme on respirerait l’encens, ont déjà retrouvé leur vocation première. Il a indiqué cependant, une piste pour que le petit écran ne se pose pas en rival mais en complément : faire comme les européens : prélever sur les recettes en provenance de cette source entre jusqu’à 40% pour l’injecter dans le financement du cinéma. Il a surtout recommandé la réhabilitation des réseaux de distribution des films dont il a déploré l’absence ces dernières années, laquelle absence serait en grande partie responsable de l’état actuel où se trouve le cinéma. Ajoutons, pour notre part, ceci : beaucoup de salles ont fermé faute de public, mais d’autres encore à cause de l’usage immoral auquel certains privés ont eu recours pour attirer le public. Ce que voyant, des autorités, alertées par ce danger qui menaçait les bonnes mœurs, ont décidé de leur fermeture. Quoi qu’il en soit, cette conférence et les débats auxquels elle a donné lieu a permis d’autopsier un art moribond que les autorités, conscientes de l’enjeu culturel qu’il représente, tentent de sauver à travers des manifestations de ce genre. Ce colloque de trois jours a donc permis de faire connaissance avec notre patrimoine culturel à travers la projection de six films révolutionnaires, dont Zabana et Krim Belkacem, de visiter une abondante exposition consacrée au cinéma et d’en approcher les grandes figures, autrement qu’à travers les images. La clôture a permis aussi d’honorer 17 artistes participant à ce rendez-vous national.
Aziz Bey