Coquetteries politiques et choses sérieuses

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Les natifs d’avril 1980 frisent aujourd’hui la trentaine. Tous ont plus ou moins retenu la chronologie des évènements de Tafsut Imazighen depuis l’interdiction de la conférence de Mammeri à l’université le 10 mars 80, jusqu’au déclenchement de l’opération Mizrana par les forces répressives le 20 avril 1980, après minuit.

Depuis cette date repère, tous les Printemps seront rappelés à la souvenance avec fierté. Beaucoup de slogans ont jalonné les 36 ans qui nous séparent d’Avril 80. L’exigence identitaire a été au rendez-vous de tous les pavés printaniers pour mettre en exergue le pan de liberté qui reste à arracher : «culture populaire», «liberté d’expression», «le berbère n’est-il pas une langue algérienne?», «démocratie culturelle» (slogans de la marche du 07 avril 80 à Alger), «Tamazight di lakul !» et «tamazight langue nationale et officielle !». Fédérateur au début, le pavé du 20 Avril finira par être chahuté par des considérations de positionnement et de repositionnement sur l’échiquier politique. Il arrive même que le pavé soit, hélas, un lieu de surenchère, voire de confrontation, entre entités qui, pourtant, se réclament de la «même» démocratie et de la «même» tamazight. Fort heureusement pour tamazight et ses défenseurs désintéressés, pendant que l’on se chamaille à propos du leadership et autres coquetteries superficielles, des Imazighen de la trempe de Mammeri sont passés aux choses sérieuses : continuer sur la voie tracée par leur aîné Boulifa. Les Chaker, Mezdad, Achab, Chemim, Nait Zerrad et beaucoup d’autres ont heureusement investi le terrain sans lequel tamazight ne serait aujourd’hui qu’une vague rumeur. Ces hommes et ces femmes de bonnes volontés ont réussi ce que tous les politiques réunis ne réussiront jamais : pérenniser tamazight et, surtout, l’imposer sur le marché. Dans quelques décennies, le jour où Tamazight enfantera un Goethe, un Soljenitsyne, un Kafka, un Flaubert,… un Prix Nobel, on reconnaîtra que c’était grâce aux Chaker, Chemim, Achab,… Aujourd’hui, 20 Avril 2016, tamazight est consacrée langue officielle. Chacun apprécie l’évènement selon qu’il voit le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide. Les bâtisseurs de la langue, eux, voient, sans aucun doute, le verre à moitié plein. Ils y voient sûrement des incohérences, du non-sens, mais ils savent aussi que le tout n’est pas acquis d’un seul coup. Ils savent surtout que s’agissant de tamazight langue et culture, seule la création tous azimuts assure l’immuabilité de l’identité. Pour autre chose, le pavé est ouvert à tous, il faut juste assumer cet autre chose sans se cacher derrière «tamazight». Avant-hier lundi, un étudiant de tamazight interrogeait Said Khelil, l’un des acteurs des évènements d’Avril 80, à propos de la nature du combat à mener. Avant que le conférencier ne réponde, une enseignante du DLCA se tourne vers l’étudiant pour lui dire : «amennugh as-a d tamusni» (aujourd’hui combat rime avec études). Tout est dit dans la réponse de la jeune enseignante : étudions ! Un poète, lui, l’avait compris, il y a très longtemps : «zik wa ihedder-tt i wayed ass-a di lkaghed» (hier, on la transmettait de bouche à oreille, aujourd’hui, elle est écrite).

T. Ould Amar

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