Quelles perspectives ?

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Le ministre se retrouvera, quelques mois plus tard, ambassadeur à Mexico.

Littérature francophone et querelles byzantines Les Algériens se sont appropriés assez tôt la langue française. Bien qu’elle fût la langue de l’envahisseur, des autochtones avaient profité d’une langue prestigieuse ayant véhiculé les idées de liberté, de tolérance, de laïcité et des droits de l’homme pour exprimer progressivement l’âme algérienne façonné par un legs culturel arabo-berbère. Cette expression atteindra son apogée avec la prise de conscience nationaliste qui donnera ses lettres de noblesse à la littérature algérienne d’expression française. Dire l’Algérie et l’algérianité dans toutes leurs dimensions, les dire en français était devenu chose possible, voire une réalité palpable avec Mouloud Feraoun, Mohamed Dib, Mouloud Mammeri, Kateb Yacine. Mammeri dira à ce propos : « J’aurais bien sûr pu rendre des sentiments algériens ou des situations algériennes en arabe ou en berbère. Il en est même qui sont allés jusqu’à me dire qu’on ne pouvait valablement traduire les uns et les autres qu’en l’une de ces langues. J’avoue n’être pas de cet avis parce qu’à mon sens, croire que nos passions et nos idéaux sont irrémédiablement liés à l’usage d’une langue, c’est justement tomber dans le piège de ceux qui naguère voulaient nous nier, c’est faire de ce que nous pensons ou éprouvons des réalités d’ordre ethnographique, des objets morts de musées, c’est nous chosifier et nous couper, par-là même, de la grande famille des hommes. Je m’inscris en faux contre une vision aussi rétrograde, aussi peu digne d’une culture véritable, qu’elle soit occidentale, islamique, chinoise ou indoue. Ce qui arrive de profond aux hommes, en quelque endroit de la terre qu’ils se trouvent, intéresse tous les hommes, et en un siècle de civilisation planétaire, je trouve vain et dérisoire de s’accrocher à des particularités qui, au lieu de nous emmurer dans la prison de nos unicités, devraient être, au contraire, des instruments de notre mutuel enrichissement. La langue française est pour moi non pas du tout la langue honnie d’un ennemi, mais un incomparable instrument de libération, de communion ensuite avec le reste du monde. Je considère qu’elle nous traduit infiniment plus qu’elle ne nous trahit  » (in ‘’L’Orient le jour’’- Beyrouth, 27 mai 1966).Mammeri montrera une constance remarquable dans ses positions liées à un sujet qui a empoisonné le climat de la création littéraire après l’Indépendance. Dans un entretien avec le quotidien ‘’Le Monde’’ (29 mars 1981), il revient sur le sujet : « Je pense que, pour moi, c’est un instrument d’expression absolument indispensable. Ma langue maternelle est le berbère, mais une fois dépassé le rapport très profond et sentimental que j’ai avec le berbère, je ne me vois pas très bien privé de cet instrument qu’est le français avec lequel j’ai aussi un rapport sentimental que je ressens comme cela sans être capable de l’analyser. Je me demande si l’argument que l’on oppose souvent, à savoir qu’on s’aliène dans une langue qui n’est pas la sienne, n’est pas un mauvais argument, car il traduit quelque chose de très superficiel : à un certain degré de profondeur, on ne peut se sentir aliéné dans une langue. C’est même l’inverse, parce qu’on dispose alors d’un moyen de sortir de soi. Chacun, bien sûr, a une langue maternelle, mais accéder à une langue comme le français est un enrichissement considérable, et je ne suis pas prêt à renoncer à tout ce que cette langue m’a apporté et continue de m’apporter. Je m’y sens tout à fait à l’aise”.Ainsi, la position de Mammeri est d’une audacieuse lucidité qui ne cède pas aux schémas préétablis ni aux pensées à l’emporte-pièce. Sa situation est celle d’un intellectuel algérien profondément enraciné dans sa culture ancestrale et qui s’ouvre sans complexe à l’universalité dans laquelle sa contribution et celle des siens constituent une petite pierre de ce grand édifice de l’humanité qu’est la culture tout court. D’autres écrivains algériens ont alimenté la polémique au sujet de l’écriture en langue française. Cependant, le sort florissant de la littérature algérienne de langue française plus de quarante années après l’Indépendance et le couronnement de certaines de ses œuvres par des prix prestigieux dont le dernier est l’élection d’Assia Djebar à l’assemblée des Immortels (Académie française) jettent une lumière nouvelle sur cette controverse qui paraît, avec le recul, idéologiquement puérile et esthétiquement infondée. C’est en 1961, avec ‘’Les Zéros tournent en rond’’ de Malek Haddad, que la polémique a été lancée tendant à faire sentir aux écrivains algériens francophones un sentiment de culpabilité.M. Haddad écrivait alors : « Nous écrivons en français, nous n’écrivons pas le français ». En 1964, il affirme qu’écrire dans la langue de l’ennemi était impossible. « Nous devons disparaître en tant qu’écrivains…Nous gênons ». Sa proposition était que tout le monde se mette à écrire en arabe, langue dans laquelle lui-même ne pouvait pas écrire. Peut-on réellement être sevré d’une langue- l’arabe littéraire en l’occurrence- que l’on ne connaît pas ? Mammeri pense que « l’on n’est réellement sevré d’une langue que quand elle fait consubstantiellement corps avec la vie que l’on mène, que quand elle émane de soi comme un prolongement naturel » (in Entretien avec Djaout-1987).Vingt ans après la “proposition de Malek Haddad, un autre poète, Youcef Sebti, a essayé de raviver la polémique- sans aucune suite notable- dans l’hebdomadaire ‘’Révolution Africaine’’ en lançant sa fameuse sentence : « La littérature algérienne de langue française est une littérature émigrée » ! Il n’y a pas lieu de s’étaler ici sur les positions fort inconstantes de Rachid Boudjedra qui, plusieurs fois, a déclaré abandonner l’écriture en français mais qui se délecte narcissiquement des saveurs de cette langue en forçant la cadence de la publication dans la langue de Molière. Aujourd’hui, avec les nouvelles productions de la littérature algérienne depuis le début des années 90, la polémique semble céder la place à la lucidité et au travail de création. Mieux encore, une nouvelle génération d’écrivains bilingues commence à frayer son chemin dans le paysage littéraire algérien. De même des efforts de traduction sont accomplis un peu plus chaque année pour briser les barrières et les cloisons qui enserraient jusque-là les trois langues d’expression du pays : l’arabe, le français et le tamazight.

A. N. M.

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