Le rapport “partiel et incomplet” de l’Unesco

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Dans un article publié il y a à peine quelques jours sur le site web «Algérie-Eco», il a été rapporté que l’Unesco a publié un rapport sur l’état des sciences dans le monde, dans lequel l’Algérie a été sérieusement égratignée.

En effet, selon ce site web, «Dans son dernier rapport sur l’état des sciences dans le monde, l’UNESCO a mis en évidence, à travers les deux indicateurs de mesure essentiels que sont le nombre total de publications scientifiques par pays et le ratio nombre de publications scientifiques par million d’habitants, les sous-performances de tous les pays membres de l’Organisation de Coopération Islamique (OCI) sans exception. Et, plus gravement encore, notre pays qui n’a produit en 2014, que 58 publications scientifiques». Ce constat est largement partagé à la fois par les observateurs et les analystes spécialisés. Il est en effet de notoriété publique que le monde musulman se désintéresse de la recherche scientifique, au profit de la propagande religieuse, jugée plus rentable tant au niveau spirituel que social. Cependant, au sein de ces pays, existe une véritable communauté scientifique qui se bat dans l’ombre, pour hisser le niveau scientifique de leur population, en diffusant le savoir et en étudiant les diverses disciplines scientifiques. Le rapport de l’Unesco semble donc souffrir de quelques ambiguïtés. Dans le cas de l’Algérie par exemple, ledit rapport affirme que «l’Algérie n’a produit en 2014 que 58 publications scientifiques». Selon l’encyclopédie Wikipedia, «L’expression ‘’publication scientifique’’ regroupe plusieurs types de communications scientifiques et/ou techniques avancées, que les chercheurs scientifiques font de leurs travaux en direction de leurs pairs et d’un public de spécialistes». Il s’agit entre autres, d’articles publiés dans des revues spécialisées, de comptes rendus de conférences, de communications présentées à l’occasion de ces mêmes conférences, d’ouvrages scientifiques, de thèses et rapports de recherches, etc… Ainsi, le chiffre avancé par l’Unesco a de quoi surprendre concernant notre pays. En effet, dans une interview réalisée avec le professeur Boualem Saidani, recteur de l’Université de Béjaïa, celui-ci affirme : «Notre université est également reconnue pour sa production scientifique. Toutes les thèses de doctorat en sciences et technologie soutenues à l’université de Béjaïa sans exception, sont publiées dans des revues scientifiques de renommée internationale de catégorie «A». En 2014, nous avons eu 186 articles publiés». Voici donc un démenti catégorique par rapport aux affirmations de l’Unesco. Et ce chiffre ne vaut que pour la seule université de Béjaïa. Si en plus on ajoute celles publiées par les universités de Bab Zouar, Constantine, Oran, Annaba, Blida et autres, ce chiffre peut aisément être multiplié par dix. L’ambiguïté entretenue par le rapport de l’Unesco réside dans la méthode de recensement de ces publications. Si l’Organisation des Nations Unies pour l’Education la Science et la Culture fait référence aux publications intramuros, c’est-à-dire publiées dans le pays même, ce chiffre est probablement proche de la réalité. En effet, l’Algérie a un réel manque de revues scientifiques spécialisées, et l’ensemble des chercheurs le déplorent. Les sociétés savantes, les centres de recherches, les universités et les différents laboratoires de recherches ont de la peine à assurer l’édition de revues spécialisées, capables de rendre compte de leurs activités pédagogiques et scientifiques, et de s’ouvrir aux chercheurs désireux de faire connaître en Algérie, les résultats de leurs travaux. Les tentatives des uns et des autres ont pour la plupart échoué. Il reste quelques bulletins, annales et autres feuillets partagés par un nombre réduit de chercheurs, pour essayer de constituer des réseaux de coopération et d’entraide, pour essayer de booster le secteur de la recherche et de se faire connaître, puis reconnaitre dans la communauté scientifique. Le site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ne fait quasiment pas état de publications scientifiques. Il contient essentiellement des informations sur les activités du ministre et quelques informations d’ordre juridique, suivies de différents appels à candidatures pour l’obtention de bourses à l’étranger. La part des appels à communication reste dérisoire dans cette liste régulièrement mise à jour. Pourtant, il existe bien un Office des Publications Universitaires avec un réseau de vente réparti sur la presque totalité du territoire. Tout enseignant universitaire, pour peu qu’il présente un travail sérieux, a le droit de publier à l’OPU. Celui-ci publie essentiellement des ouvrages à destination des étudiants, et rarement des rapports de recherche de niveau international inédits. Le ministère de la Recherche devrait sérieusement se pencher sur la question de la création de véritables revues scientifiques dans plusieurs disciplines. A défaut, créer une grande revue scientifique multidisciplinaire de niveau international, capable de permettre à nos chercheurs de faire connaître leurs travaux au travers de supports de publication scientifique. Car actuellement, et le rapport de l’Unesco n’en fait pas part, des centaines de chercheurs algériens publient à l’étranger, présentent des communications scientifiques dans des congrès internationaux, développent des brevets d’invention déposés dans des organismes étrangers, etc. Le problème des publications scientifiques algériennes c’est justement une question d’organisation, et non de production scientifique.

Algériana

Au début des années quatre-vingt-dix, un chercheur algérien, Dahmane Madjid, avait soutenu une thèse sur un projet de création d’une base de données recensant l’ensemble des publications scientifiques dans le monde, ayant pour thème l’Algérie. Cette base de données avait également pour objectif de recenser l’ensemble des chercheurs intéressés par notre pays, tous domaines confondus. Ce projet avait ensuite été confié au CERIST (Centre de Recherches sur l’Information Scientifique et Technique). Si ce projet avait abouti, l’Unesco aurait pu s’apercevoir de la richesse des publications algériennes dans le monde, et non pas seulement celles qui ont été signalées au Dépôt Légal de la Bibliothèque National. A l’exemple de Tunisiana et de Canadiana, cette base de données aurait même aidé à booster le secteur de la recherche en Algérie, en fournissant aux chercheurs un accès à ses publications, dont les données ne sont pas disponibles sur la place publique.

De même, ce centre de recherche, le CERIST, avait à l’époque créé une publication appelée RIST (Revue de l’Information Scientifique et Technique) qui avait l’ambition de vulgariser le domaine auprès des chercheurs et les sensibiliser à la nécessité de publier leurs travaux. Mais ladite revue n’a pas duré faute de contributeurs, et n’a donc pas pu aller plus loin que quelques numéros. C’est dire la difficulté de créer des revues scientifiques en Algérie. Il faudrait une réelle volonté politique et que l’Etat fasse un effort particulier pour réussir à créer cet outil dont nos chercheurs ont tant besoin, et montrer au monde la valeur de nos chercheurs.

Académie Algérienne des Sciences et de la Technologie

La récente décision de création de l’Académie Algérienne des Sciences et de la Technologie est de nature à donner quelques espoirs à nos scientifiques et chercheurs. Car dans ses objectifs, figurent «- La publication de revues assurant la diffusion de nouveaux résultats à destination des communautés scientifiques nationales et internationales ; La participation au débat scientifique sur les grands thèmes d’actualité ; L’organisation de colloques nationaux ou internationaux, ainsi que la remise de prix et médailles aux plus méritants», comme précisé sur son site web. Pour l’instant, le projet n’en est qu’à son démarrage, et il faudra certainement un certain temps pour qu’il devienne opérationnel et qu’il mette en pratique ses objectifs. Le rapport de l’Unesco reste donc incomplet et partiel. Même si sur le plan du principe, il faudrait reconnaitre l’insuffisance des publications scientifiques algériennes, comparativement aux pays avancés, tels les USA, le Japon, la Grande Bretagne, etc. Et il ne faudrait surtout pas les comparer à celles des pays de l’OCI, l’un des plus mauvais exemples à prendre.

Alors que le volume des publications scientifiques a augmenté de 230% dans le monde, entre 2008 et 2014, le monde arabe ne représente que 2,4% de cette masse de documentations.

N. Si Yani

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