Pr Tessa, recteur de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, fait le tour de la situation qui prévaut au sein des facultés. Il parle sans tabou des manques, de pédagogie et des perspectives qu’il s’est tracées.
La Dépêche de Kabylie : Pour commencer, quel est l’état des lieux qui prévaut à l’université au jour d’aujourd’hui ?
Pr Ahmed Tessa : L’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou a toujours été un chantier, les besoins augmentent et les moyens sont limités. Selon les principes de l’économie, et vu la situation, on est obligés de faire des arbitrages, et quand on procède ainsi, on est obligés de faire des priorités, donc hiérarchiser. A mon arrivée, je n’ai pas trouvé un désert. Un grand travail avait été fait par mes prédécesseurs et par leurs équipes. Moi, je suis arrivé juste après les résultats du baccalauréat. Les inscriptions se sont déroulées dans de très bonnes conditions. Nous avons reçu une moyenne de 11 750 nouveaux bacheliers. Puis c’était la reprise durant laquelle je voulais assurer avec toute l’équipe une stabilité relative. Je dois souligner là la participation du syndicat des travailleurs, des enseignants et des étudiants. Ma porte était ouverte à tous, surtout pour les comités d’étudiants, afin de discuter des problèmes et des solutions que nous préconisons. Je base mon travail sur des principes et je compte m’y tenir jusqu’à la fin de mon mandat.
Et quels sont ces principes ?
La concertation, le dialogue, la transparence et l’équité. Notre objectif est une bonne gouvernance. Il faut écouter les partenaires car 50% des solutions viennent d’eux. Ils posent des problèmes mais ils apportent aussi les solutions. Il n’y a pas d’intouchables et il n’y a que le mérite de tout un chacun.
Comment s’est opérée la reprise au niveau des différentes facultés ?
C’était tendu au départ. Pour les premières années, nous fûmes confrontés aux problèmes de l’insuffisance des places pédagogiques, mais avec la réception des 4 500 places au niveau du campus de Tamda à la fin octobre, nous avons commencé les cours début novembre. Une présence relativement bonne, en attendant le grand démarrage. Ensuite, il y avait les rattrapages qui se sont déroulés dans de bonnes conditions. Je tiens à dire la vérité sur ce point. Les facultés qui m’ont inquiété à mon arrivée ce sont celles des sciences économiques, des sciences et d’agrobiologie. Elles ont connu un énorme retard dû à la grève, les examens du premier semestre ainsi que ceux du deuxième semestre qui n’avaient pas eu lieu. Tout avait été reporté à septembre. Chaque mardi, je fais des réunions avec les doyens, et chaque lundi, le vice-recteur fait des réunions avec les vice-doyens. Les décisions prises par les vices doyens, nous les examinons au niveau des directions pour essayer de trouver des solutions collégiales. Pour ceux qui ne connaissent pas la situation au niveau de ces facultés, on va parler juste du retard. Oui, il y a du retard. Mais je ne m’attendais pas à ce qu’ils rattrapent tous les examens et le temps perdu aussi vite. En Sciences économiques, cette semaine, ils ont fait les délibérations pour les deuxièmes années et les troisièmes années, donc ils vont reprendre bientôt. Pour les premières années, ils ont tous repris début novembre. Pour la faculté de droit, cela s’est fait au début d’octobre. Les sciences sociales ont fait une année satisfaisante. Ils ont commencé à la mi-septembre. Voilà les faits dans l’ensemble et je reste toujours convaincu de la nécessité des dialogues. Il y a aussi des problèmes qui sont récurrents, vu notre effectif. On a presque 60 000 étudiants, 2 100 enseignants et 2 200 travailleurs.
Quels sont les chantiers qui restent encore en cours au niveau du campus de Tamda ?
A Tamda, je fus agréablement surpris. Récemment, on avait un problème d’électricité mais grâce à la volonté de M. le wali et de son équipe, qui nous ont beaucoup aidés, on a pu rétablir l’électricité et pour le campus des 4 300 places et pour la cité des 1000 places qui accueille actuellement les nouveaux étudiants. Je ne vais pas dire que nous avons réglé tous les problèmes, mais nous sommes en train de trouver des solutions conjoncturelles. Le premier problème donc, est celui du gardiennage. Pour ces 4 300 places par exemple, ils n’ont pas prévu de gardiens. Grace à la coordination avec les DOU, j’ai récupéré les gardiens qui étaient au pôle technologique de Génie mécanique à Oued Aissi et les ai affectés à Tamda. Le deuxième problème, c’est l’entreprise d’entretien qui n’a pas été prévue non plus, nous étions obligés de faire toute une gymnastique pour combler toutes ces lacunes. Les entreprises qui sont déjà sur le site de Hasnaoua et Tamda ont eu la gentillesse de contribuer à l’entretien de ce nouveau campus. Nous avons également enregistré un manque concernant le personnel d’encadrement, mais il est géré par les enseignants. Les départs à la retraite nous ont causé des problèmes. La solution que j’ai trouvée fut de bloquer toutes les mutations sur Hasnaoua. Elles sont au nombre de 8 et j’ai pris la décision de les affecter directement sur Tamda. Tout le personnel qui sera recruté cette année ira à Tamda. Des problèmes existent, mais nous apportons des solutions à court et à long terme, comme l’installation de salles équipées pour les enseignants… Je salue la patience des étudiants. Il faut éviter le mensonge, le langage de la vérité est la clé.
Quelles sont les doléances qui arrivent à votre bureau ?
Dernièrement, on a déjeuné avec les étudiants au réfectoire universitaire, et c’était la deuxième fois, avec M. Kamel Daoud, le DOU. Leur principale préoccupation c’est la transparence et l’équité aussi. Quand un étudiant termine sa première année, il y a des filières qu’on affiche dès le début. Quand on transmet l’information, il y a moins de problèmes. Deuxième élément : c’est l’accueil et la réception des étudiants. C’est vrai que l’effectif est important et je comprends mes collègues travailleurs, mais les faux problèmes qui ne sont pas pris en charge immédiatement éclatent tôt ou tard. Nous devons avant tout assurer pour chaque étudiant une place pédagogique. Les taux de réussite sont énormes et c’est excellent, mais certaine filières sont en surcharge et la solution c’est la patience. Les enseignants doivent accompagner les étudiants et faire de leur mieux pour assurer un meilleur rendement.
Qu’en est-il du manque du personnel ?
Il y a une nette amélioration. J’ai toujours travaillé dans des universités, donc je connais leurs problèmes. Depuis 2001, il y a eu des recrutements massifs. On a amélioré l’encadrement, sans pour autant faire face à l’effectif important qui arrive à l’université. Pour cette année, on a installé plus de 80 enseignants. Pour certaines facultés, comme celle de droit, on a une certaine aisance parce que l’effectif commence à diminuer. Le recrutement des enseignants est national, l’adaptation est difficile, ils arrivent de partout, la formation est hétérogène. Cette année, il y a une commission de suivi de ces enseignants qui a été installée.
Au début de l’année, vous avez enregistré beaucoup de réticences concernant la délocalisation de certains départements vers Tamda, comment ça se passe finalement ?
Quand il y a de la concertation et du dialogue, ça donne des solutions. Il y a eu consensus. Le déplacement à Tamda s’est fait dans une conjoncture difficile. On avait rattaché à l’institut des sciences financières et comptabilité la section maths-Info, ce qui a rendu la cohabitation difficile. Les déplacements aussi causaient un problème, parce que les étudiants ne connaissaient pas le site. Maintenant c’est différent. Certains sont carrément repartis à Bastos, ils refusent le changement comme ceux de Biologie. Mais pour tout changement, il y a une certaine réticence au début. Il faut accompagner ce changement et tracer les objectifs. Notre principale préoccupation c’est l’étudiant.
Vos perspectives ?
J’espère renforcer la coordination avec tous les acteurs au sein de l’université. J’espère aussi qu’il y aura un rebondissement dans le prix du pétrole pour relancer les 10 000 places de Tamda plus les 2 500 places qui nous sont promises pour avril prochain, comme ça on va respirer.
Un dernier mot ?
J’espère que l’université Mouloud Mammeri retrouvera sa place. Les étudiants sont très conscients. On leur demande juste de travailler et de rester neutres au sein de l’université pour l’intérêt général. On ne va pas participer à casser l’université. Il faut que nous ayons tous un seul objectif, celui de valoriser l’université de Tizi-Ouzou, avec une pédagogie de qualité et un syndicalisme constructif. On ne peut pas empêcher les étudiants de faire du syndicalisme ou de la politique, mais je leur demande de travailler ensemble et de laisser leurs choix politiques à l’extérieur. Nous devons nous rassembler.
Entretien réalisé par Kamela Haddoum.