Le chaînon manquant des discours politico-économiques?

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La wilaya de Tizi-Ouzou accueille ces jours-ci le premier Salon national de l’agriculture et de l’innovation. Un évènement auquel prennent part plus de 180 exposants et une dizaine de communicants issus du monde professionnel et académique. La mission principale assignée à un tel évènement est la diffusion d’un nouveau paradigme innovateur au service du monde agricole pour l’amélioration des rendements des exploitations, tant à l’échelle locale que nationale. Au-delà de l’intérêt événementiel d’un tel salon, la question qui se pose avec acuité est de savoir dans quelle mesure peut-on assurer le passage à l’économie agricole et rurale innovatrice ? Nous pensons que la clé de voûte d’une telle transition est entre les mains des acteurs territoriaux de toute nature, institutionnelle, économique, associative, coopérative, consulaire, environnementale, citoyenne… L’innovation d’envergure territoriale précède l’innovation à l’échelle microsociale et/ou microéconomique. La première constitue un terrain fécond pour la seconde. L’ouverture économique et la mise en œuvre du Plan national du développement agricole et rural et des dispositifs institutionnels ont été conçus afin d’encourager l’agriculture moderne comme le Fonds national de développement de l’investissement agricole (FNDIA). Le bilan de ces programmes n’est pas négligeable, notamment pour certaines filières agricoles. Cependant, beaucoup reste à faire avant d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Présentement, notamment dans un contexte de restriction budgétaire, l’idéal est de faire passer les acteurs du monde rural d’une logique de moyens à une logique de résultats. Celle-ci ne serait possible que par la mobilisation de tous les acteurs territoriaux, les pouvoirs publics ne seront qu’une partie prenante parmi d’autres. L’innovation doit de ce fait émaner de l’organisation spécifique de l’écosystème d’acteurs. Si cette logique de régulation des territoires ruraux a porté ses fruits dans les espaces français et italien au Nordeste brésilien, pouvons-nous concevoir un modèle innovateur pour le cas algérien ? Sans doute oui, dans le cas où les acteurs du monde agricole et rural adopteraient une démarche consensuelle en se démarquant de la gouvernance centralisatrice qui freine l’émergence des modes d’organisation spécifiques et innovants. Afin d’arriver à pareils résultats, un processus de management territorial est alors nécessaire. La pierre angulaire y serait l’identification des ressources matérielles (races rustiques, terres fertiles, ressources hydriques…) et immatérielles (savoir-faire, ingénierie locale, us, coutumes…). Cette mission est incombée à des agents spécialisés comme les observatoires territoriaux et les bureaux d’étude, ou à des structures produisant de l’information territoriale comme les centres de recherche, les associations et les organes de presse et médias. Quoiqu’il faille signaler que la révélation des ressources locales ne doit pas être l’apanage des acteurs locaux, certaines coopérations décentralisées et jumelages en sont plus innovants. A titre d’exemple, la wilaya de Tizi-Ouzou abrite au moins trois formes d’agriculture : de montagne, de piedmonts et de vallée. Chacune d’entre elles nécessite des facteurs d’innovation qui lui sont propres en fonction de plusieurs déterminants pédoclimatiques, sociotechniques, culturels et spatiotemporels. Après le diagnostic des ressources, la deuxième étape consiste en l’identification des opportunités d’investissements. Cette étape est cruciale dans la mesure où les innovations microéconomiques prennent forme de façon concrète. Dans l’élevage bovin laitier, l’innovation peut concerner la conduite alimentaire, la reproduction et la production du cheptel, les conditions d’élevage, la gestion des pépinières de génisses ou de veaux, etc. En revanche, dans le domaine des produits du terroir, les idées innovantes peuvent par exemple être le fruit d’une rénovation d’un procédé ancestral, ou la mise en œuvre d’un nouveau panier de bien alimentaire… de telles innovations doivent être protégées par des instances de labellisation mais aussi prises en charges par les dispositifs d’aide à la création des entreprises. Les opportunités entrepreneuriales peuvent être aussi générées en appliquant une stratégie de marketing territorial visant à créer une nouvelle demande plus qualitative (qualité sanitaire, qualité nutritionnelle, qualité gustative) que quantitative. Étant Conscients de l’intérêt de telles innovations dans le développement des performances des exploitations, les acteurs entourant les différentes filières en question doivent jouer le rôle d’intermédiaires entre la source innovante et les porteurs de projets agricoles. Chaque acteur va apporter ainsi sa pierre à l’édifice. L’ITMAS de Tizi-Ouzou est en train d’adopter une nouvelle stratégie de formation adaptée aux spécificités locales, néanmoins, l’élargisement de son réseau au niveau communal est nécessaire afin d’être à proximité du monde agricole et paysan. Les mouvements associatifs et coopératifs doivent aussi s’approprier la signification des innovations afin de participer réellement dans le processus de diffusion et de vulgarisation des nouvelles techniques.

Par Ahmed Kabene, doctorant en économie

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