Djamel Benaouf : Ecritures berbères

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De notre envoyé spécial Aomar Mohellebi

Dernier jour à Oran. Pour nos dernières vingt-quatre heures dans la capitale de l’Ouest, le romancier Youcef Dris, notre guide, devenu notre ami au fil des jours, propose de nous faire rencontrer l’ex-directeur de l’hôpital d’Oran. Avant cela, nous décidons d’abord de consacrer une demi-journée à l’un des Kabyles les plus solitaires d’Oran. En parlant de solitude, on pense directement à l’écriture et notre hôte est un homme de plume. Il s’appelle Djamel Benaouf. Il est membre fondateur de l’association Numidia. Il y active toujours, notamment en animant la troupe théâtrale “Action et parole”. Mais Djamel Benaouf est fondamentalement écrivain. Un vrai. Il a édité un roman, Timlilit n tghermiwin, et un recueil de poésie chez l’Harmattan. Afin de pouvoir réaliser son rêve, l’association Numidia lui a prêté main forte. De l’autre côté de la rive, c’est le grand spécialiste de la langue berbère Kamel Nait Zerrad qui l’a mis sur la piste pour parvenir à concrétiser la sortie de ses deux ouvrages. Il y a neuf ans, nous l’avons rencontré à Tizi Ouzou dans le cadre d’une activité culturelle inhérente au livre amazigh. A l’époque, Benaouf se trimballait avec ses deux manuscrits. Il a frappé à toutes les portes sans qu’aucune ne s’ouvre. Il n’a pas les moyens de se faire éditer à compte d’auteur comme le font certains. Aucun éditeur n’a accepté de prendre en charge ses écrits. L’écrivain n’ a pas fléchi. Il a continué à écrire. Il a terminé un recueil de nouvelles, d’autres recueils de poésie ainsi que des pièces de théâtre. Quand nous entrons le soir dans le siège de l’association Numidia, Djamel Benaouf est devant le micro. Il corrige pour la énième fois son manuscrit : une pièce de théâtre. «Il m’est plus facile d’écrire un livre que de le corriger», nous confie Djamel Benaouf. Cet homme exerce ce travail ingrat et captivant avec un amour incommensurable. L’écriture pour lui est sa bouée de sauvetage. On se demande sérieusement ce qu’il aurait fait s’il n’ y avait pas cet acte salvateur. La vie ne l’a pas gâté. Ce Kabyle d’Oran a eu à affronter avec une grande abnégation, en Homme, des difficultés que les surprises de la vie ont mis sur sa trajectoire mais son génie littéraire a fait de lui une exception à Oran. Aujourd’hui, il est l’un des rares écrivains en tamazight qui sont valables et dont les écrits resteront car ils sont un travail sérieux. Un écrivain comme Djamel Benaouf n’attirera jamais l’attention d’un Haut Commissariat à l’amazighité pris dans les serres du copinage. Il fait partie des écrivains sérieux, à l’instar de Mezdad, Zénia, Nekkar, etc., marginalisés par cette Institution. Mais Djamel Benaouf n’a jamais compté que sur lui-même. C’est peut-être, voire sûrement, le secret de sa réussite. On peut fabriquer des opportunistes mais jamais des écrivains. Pour rédiger ses livres, Benaouf ne possède même pas un micro-ordinateur. «Je travaille pendant dix heures par jour pour subvenir aux besoins de ma famille. La nuit, j’écris au stylo. Ensuite, je viens, le week-end, à l’association pour saisir mes textes», confie-t-il. Il écrit et chaque lundi et jeudi après midi, il pilote les répétitions de la troupe théâtrale. D’ailleurs, lors de notre entrevue, il demande au président de “Numidia” s’il a pu avoir la salle du Théâtre régional d’Oran car une présentation est prévue pour les journées Matoub Lounès, les 22, 23 et 24 juin prochain. Benaouf a-t-il un problème d’inspiration ? Jamais, répond-il. «Ce sont le temps et les moyens qui me manquent», dit il. Il publiera prochainement deux pièces de théâtre. Il espère bien trouver des éditeurs sérieux. Devant le micro, il lit et relit ce qu’il a écrit car, dit-il, «si nous dénonçons la présence de livres mal faits, pleins de fautes, et imparfaits dans le fond, il ne faut pas que nous-mêmes tombions dans les mêmes lacunes. Un livre, c’est quelque chose de sérieux. Il ne faut pas que ce soit du n’importe quoi». Djamel Benaouf nous confie que son écrivain en tamazight préféré est Amar Mezdad. “C’est le sommet”, dit-il. Il cite aussi Salem Zénia qui est une valeur en la matière. Djamel Benaouf nous déclare que la Kabylie lui manque énormément et avoue qu’il n’est pas du tout facile de vivre loin de sa région natale. Son grand père est arrivé à Oran en 1939. Il sera suivi de son père en 1962. Il a suivi des cours en tamazight en 1990. Suite au départ de Kamel Nait Zerrad en France en 1991, il prend la relève et assure l’enseignement de Tamazight à Oran. Ses premiers pas dans l’écriture berbère remontent à 1978 quand dire “je suis amazigh” menait à la prison. Ses premiers pas sont faits de poésie. Lui et ses compagnons déclamaient des poèmes pour sensibiliser. Djamel Benaouf est une fierté pour la culture berbère. Cette dernière a besoin de beaucoup d’autres Benaouf pour pouvoir s’enorgueillir d’avoir une littérature.

Le Pr Salah Lellou : «Ath Yenni sont mes racines»Lorsqu’il parle en kabyle, on reconnaît vite l’accent de la région d’Ath Yenni. Pourtant, le Professeur Salah Lellou a appris cette langue à Oran et il n’a jamais vécu à Ath Yenni. En compagnie de Youcef Dris, nous le rejoignons dans son bureau au CHU d’Oran, service de pneumologie. Notre hôte est professeur en pneumo-phtisiologie. Sa famille s’est installée en 1940 à Oran. D’autres membres sont partis à Sougueur et à Tiaret. La plupart des Lellou sont des commerçants. «Mon père avait 12 ans quand il avait quitté Ath Yenni», souligne le professeur. A l’époque déjà, il était un grand importateur. Il avait un magasin au quartier Derb (derrière le Théâtre régional). Il avait aussi un magasin au boulevard Maâta et depuis 1956, à Mdina Djedida. En 1972, notre médecin a pu assister très jeune aux Jeux olympiques de Munich grâce à un Français, ami et collègue de son père, et qui était son fournisseur. Salah Lellou est né à Oran en 1951 mais son père l’a inscrit à Ath Yenni. Il a fréquenté la faculté de médecine d’Oran avec des stages de courte durée, entre autres à l’hôpital de Toulouse. Il devient spécialiste en pneumo en 1981. De 1981 à 1983, il passe son service militaire à l’hôpital Maillot à Alger. «Dans cet hôpital, tous les collègues pensaient que j’étais Oranais. Quand je recevais des patients de Kabylie qui ne parlaient pas l’arabe, les collègues s’étonnaient de me voir m’exprimer en kabyle. Ils m’ont demandé comment j’ai fait pour apprendre le berbère en moins de trois mois !». Salah Lellou visite la Kabylie pour la première fois en 1964. La beauté de la nature est la chose qui l’a impressionné le plus dans cette région. Il a passé des vacances chez ses oncles à Ait Boumahdi : «J’ai aussi découvert les mariages traditionnels et les coutumes kabyles». Le village de ses ancêtres s’appelle Tansaout. Il a été complètement rasé par l’armée coloniale. Il est situé à un kilomètre à vol d’oiseau de Taourirt Mimoun, où vécut Mammeri. Dans l’un de ses romans, l’écrivain décrit ce village et le sort qu’il a subi. «Nous avons dans mon village une maison fermée», confie Salah Lellou. Actuellement, ce dernier se rend rarement en Kabylie à cause de ses obligations professionnelles. La dernière fois qu’il a foulé son sol, c’était à l’occasion des journées de pneumo-phtisiologie au CHU Nédir Mohamed, il y a quatre ans. Le mois de mars dernier, il a été à Bgayet pour des motifs professionnels également. Ses jeunes frères, par contre, se rendent souvent en Kabylie à cause de leurs activités professionnelles. En 2002, le Pr. Lellou est directeur de l’hôpital d’Oran puis directeur des activités médicales et paramédicales. Comment maîtrise-t-il le kabyle aussi parfaitement ? «C’est grâce à ma mère, décédée en 1986. Elle ne parlait qu’en berbère. Dans notre maison, c’était la seule langue de communication. Dans toute la famille, nous parlons kabyle. Un correspondant de la Chaîne II m’appelle pour intervenir dans ma langue quand il s’agit d’aborder des sujets médicaux sur les ondes», explique-t-il. Pour lui, la Kabylie représente les racines. Ses enfants le tarabustent souvent pour qu’il les emmène à Yakouren, une région qu’ils aiment beaucoup. Comme quoi, on ne peut pas oublier ses racines même sans avoir vécu dans cette contrée.

A.M.

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